Comment faire droit à la fois à la forme des contenus véhiculés par la Bible et à une démarche d’apprentissage autonome du destinataire ?
Une catéchèse véritablement biblique et chrétienne ne peut être que véritablement existentielle.
Article de Daniel Alexander et Armin Kressmann
Catéchèse biblique ou / et existentielle ?
- Être adolescent, dans le corps et dans l’âme, c’est être remis en question et c’est remettre en question
Qu’est-ce qui m’arrive ? Qui suis-je ? D’où je viens ? Mon père, est-ce vraiment mon père ? Qui es-tu, toi, l’autre, lui, elle ? Et Dieu, dans ce monde ? S’il existait, le monde ne serait-il pas différent ? Vers quoi allons-nous ? Quel est le sens de tout cela ?
- Être biblique, dans le corps et dans l’âme, n’est-ce pas aussi être remis en question et remettre en question ?
Qui dit catéchèse biblique dit se familiariser avec un code de salut extérieur qui nous vient du fond des âges, raconter des histoires qui se passent dans un autre contexte historique, transmettre des éléments doctrinaux de base qu’a sédimentées l’histoire et les conditions d’émergence de notre christianisme protestant. Peut-on alors se passer d’une démarche cognitive qui mette nos enfants et nos catéchumènes en contact avec un monde qui n’est pas le leur ?
La catéchèse biblique s’est largement véhiculée jusqu’à présent à travers une pédagogie procédant de ce qu’on appelle l’hétéro-structuration. II s’agit ici d’entrer dans un moule qui ne peut venir du destinataire de la catéchèse lui-même, mais que ce dernier est appelé à adopter comme un corps étranger, dans un premier temps du moins.
Dans une société marquée par la pluralité des références, le déficit de traditions et le bricolage des identités, l’hétéro-structuration ne peut que s’amplifier si l’on continue de prétendre véhiculer les contenus de jadis, même assortis d’un lifting pédagogique.
Inversement, qui dit catéchèse existentielle, signifie faire du destinataire un partenaire, le rejoindre en lui laissant trouver lui-même le lieu de sa question et plus encore ce qui va l’interpeller, le toucher, dans son vécu au cœur de la phase de vie qu’il traverse.
Pas de démarche existentielle donc sans pédagogie de la découverte et ce qu’on appellera une auto-structuration des apprentissages, c’est-à-dire participation à une recherche, dont le catéchumène organise lui-même les principales étapes en fonction de ses besoins et de son développement. Mais, dira-t-on, connaissez-vous beaucoup d’enfants et d’adolescents qui, spontanément, décident de creuser leur Bible pour y découvrir le Christ ?
Comment faire droit à la fois à la forme des contenus véhiculés par la Bible et à une démarche d’apprentissage autonome du destinataire ? Une catéchèse véritablement biblique et chrétienne ne peut être que véritablement existentielle.
Enjeu de la catéchèse existentielle
- Entrer dans le cercle d’interprétation du christianisme. Spécifiquement chrétien ? Dieu parmi nous, Dieu sur terre, Dieu être humain, Dieu qui souffre, Dieu qui demande : « Qui suis-je ? Qui dites-vous que je suis ? » et « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Biblique et spécifiquement chrétien, c’est-à-dire existentiel : l’humanité de Dieu est en jeu ! La divinité de Dieu est une évidence ; Dieu dans le ciel c’est normal, c’est son humanité qui pose question et qui remet en question.
- Dieu, déclencheur d’une humanité plus humaine. Être ou ne pas être, être humain ou ne pas être, telle est la question, le dépassement du ne pas être, la mort et la résurrection ! Voilà, pour un adolescent d’aujourd’hui, l’enjeu de la catéchèse existentielle biblique, l’enjeu de toute catéchèse qui se veut biblique et existentielle. Noël – Dieu descend du ciel –, l’Ascension – il y remonte –, voilà ce que nous croyons. Dieu a relié la terre et le ciel, mon journal et sa présence, ma vie et la Bible, voilà ce que les spécialistes appellent le cercle herméneutique (l’herméneutique comme art d’interprétation et de compréhension, notamment de textes). Entre les deux, il y a la croix et la résurrection, Vendredi saint et Pâques, l’expérience humaine fondamentale, le mal, la souffrance, la mort et leur dépassement, centre et sujet prédominant de la Bible et du journal, point de départ de toute bonne catéchèse. Et tout cela n’est saisissable qu’avec l’Esprit, l’aide de Dieu lui-même, sa présence, ici et maintenant : Pentecôte.
- L’humanité de Dieu qui accueille et assume mon humanité, moi, toi, ma personne, ta personne, c’est cela la spécificité chrétienne et le sujet de la catéchèse biblique existentielle. Ainsi le contenu est posé : l’aventure de la personne humaine, son origine (l’être, la création, moi dans le monde), son aliénation (l’existence et le non être, le mal dans le monde, la mort), sa souffrance (la croix, l’angoisse du néant), l’irruption de la grâce (le Christ, le dépassement du mal et de la mort), et par là la vie, malgré tout (la résurrection et l’espérance).
- L’aventure de la vie – la rencontre de l’autre. Noël, Pâques, l’Ascension, Pentecôte, les contenus de la nouvelle catéchèse nous précèdent, sa pédagogie aussi. Dieu parmi nous, la rencontre de l’autre pour me trouver moi-même, une pédagogie de la rencontre. A la limite, le catéchète n’a plus rien d’autre à faire qu’à veiller qu’il y ait rencontre, rencontre de l’autre. II s’agit d’une catéchèse biblique existentielle quand elle respecte l’incertitude de chaque rencontre, le mystère de l’autre : qui est-ce, Dieu, un ange, un être humain ? C’est l’aventure de la rencontre qui est le lieu de la catéchèse biblique existentielle, la rencontre où la parole peut devenir événement, la rencontre entre trois pôles : Lui, moi et toi, c’est-à-dire Lui – l’autre, Dieu, la parole, la Bible, le contenu –, moi catéchète et toi catéchumène. Et cette catéchèse atteint sa visée quand le contenu n’est pas seulement savoir mais devient présence, voire personne : Dieu, un ange, un être humain ? Qui dit présence de Dieu, dit Esprit, et Esprit veut dire Pentecôte. C’est elle qui est le lieu de la catéchèse biblique existentielle où se déploie le cercle qui va de Noël à l’Ascension.
Une pédagogie protégée par l’espace du jeu et de l’expérimentation
La rencontre ne serait pas pédagogique si elle ne se déroulait pas dans un cadre protégé, dans un espace de jeu ou de mise en scène distinct de la vie proprement dite. Un espace où l’expérience peut être pensée et l’aventure réalisée sans menace existentielle.
Jeu, mise en scène, oui, la catéchèse biblique existentielle veut être ludique, sérieuse, mais légère et joyeuse, impliquant corps et âmes, intellect et tous les sens.
Espace de jeu, espace fictif, comme celui que construit Jésus lorsqu’il répond justement à la question par excellence, au cœur de toute rencontre « Qui est mon prochain ? », en inventant la parabole du Samaritain. Mais espace déclenchant une véritable prise de conscience néanmoins, puisqu’elle frappe l’interlocuteur dans son corps, son âme, et dans toutes ses émotions, lorsqu’il est acteur de sa propre scène existentielle.
Dans notre monde marqué par la violence des rapports humains, une confrontation conflictuelle entre les religions et les cultures, où le risque de « ghettoïsation » menace à tout moment, la parabole de Luc 10 permet de fonder un « vivre ensemble » qui ouvre au respect de soi et des autres, habité par l’amour de Dieu.
Le cadre de la rencontre est donc donné par le canon biblique aussi bien que par l’être des intervenants, leurs compétences, leur savoir et leur savoir-faire, les outils dont ils disposent – et la foi, la foi en l’autre, l’Esprit, la présence de Dieu. Avec les catéchumènes, ils forment le triangle pédagogique (contenu – enseignant – apprenant) où le cercle herméneutique peut trouver toute sa dynamique.

Rejoindre l’adolescent d’aujourd’hui dans ses préoccupations identitaires
– Accepter tout d’abord que la catéchèse ne soit pas simplement une animation attractive autour d’un thème biblique, ce qui ne fait ni justice au texte, ni justice aux catéchumènes.
– Se dessaisir c’est véritablement se dessaisir de soi sujet pour se mettre à l’écoute des enfants et des jeunes et de leurs préoccupations. C’est surtout leur permettre de faire l’expérience d’un questionnement qui ne peut que les toucher dans la construction de leur identité, c’est-à-dire dans les questions essentielles de vie ou de mort auxquelles ils sont confrontés.
C’est pourquoi la catéchèse existentielle a un lien privilégié avec l’adolescence qui est le premier moment où l’être humain est capable d’une réflexion sur son vécu et son histoire de vie, à partir de laquelle il peut rejoindre la question de sa propre transformation, et donc la question clef du passage de la mort à la résurrection ; le passage de l’enfance à l’adolescence se vit d’abord dans cette capacité de choisir de devenir autre que ce qu’on a été jusque-là et donc de mourir à quelque chose pour renaître autrement.
Dans un monde marqué par un cruel déficit d’espérance, par un difficile avènement du sujet bousculé par le désordre et la complexité des références qui s’offrent à lui, sans parler de l’allongement de la conquête de l’autonomie psychologique et sociale de l’adolescent, la rencontre avec le Christ agit justement comme modèle d’identification, comme parole inspiratrice de foi et d’engagement.
– A un deuxième niveau, il convient d’accepter, comme catéchète, de ne pas tout savoir en matière de foi. Respecter les mots et l’univers de foi de nos interlocuteurs, c’est accepter qu’ils aient des choses à nous apprendre sur notre foi, même si c’est de manière souvent très déconcertante, voire décousue et provocatrice, parce que dans des termes forcément inappropriés pour nous. Mais lorsqu’on parle de Dieu, ne faut-il pas se placer en position d’être, tous, les apprenants d’un être vivant qui nous précède et nous conduit là où il veut ?
La catéchèse biblique et existentielle est catéchèse réformée
– Certains s’imaginent encore que la catéchèse existentielle consiste simplement à choisir une bonne question thématique et de faire passer le message en mettant en rapport une parabole avec une question actuelle comme par exemple les ouvriers de la onzième heure avec la question des chômeurs. Une telle démarche, à la vérité, n’est existentielle que si la question du chômage (des parents, des risques de l’avenir professionnel, etc.) est réellement comprise comme question vitale par le catéchumène.
– C’est notre mission de répondre à leur intérêt, une mission évangélique, non pour les divertir, mais pour creuser avec eux leurs questions existentielles, qui d’ailleurs sont les nôtres aussi. Leurs intérêts ? « Ce qui est entre » – entre nous, parmi nous –, ce qui fait la qualité de nos relations, ce qui leur permet de se trouver eux-mêmes, se situer et se structurer face à l’autre, afin de répondre à la question « Qui suis-je ? » La rencontre avec le Christ permet alors d’orienter la construction de soi et de son projet de vie. Cette démarche est déjà biblique.
– La pédagogie de Jésus était biblique (scripturaire) et existentielle, basée sur la rencontre, permettant à ses interlocuteurs de se situer face à l’autre (lui, le prochain), et le Tout-Autre (le Père).
– Quoi qu’on puisse penser aujourd’hui de la pédagogie de l’époque, cette démarche était bien celle des réformateurs qui dans leurs catéchismes partaient précisément des questions existentielles de leurs contemporains : « Quelle est ton unique assurance dans la vie comme dans la mort ? Combien de choses dois-tu savoir pour vivre et mourir dans cette heureuse assurance ? Par quoi connais-tu ta misère ? » Le catéchisme de Heidelberg comme les autres de son époque était un catéchisme existentiel, dans la mesure où les questions traitées répondaient bien à des préoccupations quotidiennes du XVIe siècle, la misère de l’homme et sa délivrance.
Daniel Alexander et Armin Kressmann, Point KT N° 41, Février, mars, avril 2003