La Bible nous raconte l’histoire d’Abraham, les paroles et les promesses que Dieu lui adresse, les événements qui précèdent et permettent la naissance d’Isaac. De sentiments, il n’est pas beaucoup question et pourtant ils sont là, derrière la sobriété du récit biblique. Les voici exprimés du point de vue Sarah.
Elle s’appelle Sara, elle est vieille à présent et elle mourra bientôt. Elle le sait et pourtant elle n’a pas vraiment peur de la mort, peut-être parce qu’elle a eu une vie si longue et si remplie qu’elle aspire au repos. Elle a été belle autrefois, si belle que Pharaon, le roi d’Egypte l’a arrachée à son mari pour faire d’elle sa concubine. Mais quand elle repense à ce temps-là, elle n’a ni regrets, ni nostalgie parce que ce n’était pas la période la plus heureuse de sa vie. Bien sûr, elle était jeune et belle, elle avait un époux qu’elle aimait et qui l’aimait, mais il y avait entre eux ce manque, cette peine, cette douleur de ne pas pouvoir avoir d’enfant. Oh bien sûr, il ne lui faisait pas de reproche, peut-être pour ne pas en rajouter à son sentiment de culpabilité, peut-être aussi parce qu’il pensait qu’elle n’y était pour rien et que Dieu leur refusait cette joie, ou alors au contraire peut-être qu’il avait simplement confiance en Dieu pour leur donner l’enfant qu’ils désiraient tant. Après tout, ils avaient tout quitté pour répondre à Dieu.
En ce temps-là, ils habitaient Haran. Dieu avait parlé à son mari Abram et lui avait dit : « Quitte ton pays, ta famille et la maison de ton père. Puis va dans le pays que je vais te montrer. Je ferai naître de toi un grand peuple, je te bénirai et je rendrai ton nom célèbre. Je bénirai les autres par toi ». Alors ils avaient fait confiance et ils étaient partis avec Loth leur neveu. Le pays promis, ils l’avaient vu, ils s’y étaient installés. Mais le grand peuple qui devait naître d’Abram… ça, c’était une autre histoire. Le pays était fertile, mais le ventre de Sarah était stérile.
Pourtant Dieu a répété sa promesse à Abram : « Je te donne pour toujours tout le pays que tu vois. Je le donne à tes enfants et aux enfants de leurs enfants. Tes enfants et les enfants de leurs enfants, je les rendrai aussi nombreux que les grains de poussière sur le sol. On ne pourra pas les compter, comme on ne peut pas compter les grains de poussière ». Mais le ventre de Sarah est resté désespérément plat et vide.
Et puis un jour, elle n’a plus eu la force de croire en la promesse, elle se savait déjà trop vieille pour donner un enfant à son mari, alors, elle a voulu qu’une autre le fasse. Elle a poussé Abram dans les bras de sa servante Hagar. Et Hagar a eu un fils, Ismaël. Sarah l’a détestée pour ça. Pourtant, c’était son idée : elle espérait qu’ainsi son époux aurait la descendance qu’elle ne pouvait pas lui donner, seulement… ça c’était le discours raisonnable. La réalité : sa douleur n’en a été que plus grande, car dans l’insolence de sa jeunesse, Hagar donnait à Abram ce que Sara ne pourrait jamais lui donner. Et en plus, Hagar s’est moquée d’elle ! C’était comme un coup de poignard, un coup de poignard de plus au creux de ce ventre qui avait toujours refusé de s’arrondir. C’était un déchirement si grand que Sara a failli tuer Hagar, Hagar et l’enfant qu’elle portait. Les choses ont failli mal finir et puis elles se sont calmées : pour Sara, ça n’a pas été sans effort, mais elle avait pu voir qu’Abram tenait à elle, plus qu’à l’autre et son rejeton… Il l’avait choisie, elle la stérile, plutôt que l’autre et son ventre rond… malgré tout…
Pourtant même si elle n’y croyait plus, Dieu n’avait pas renoncé à tenir sa promesse. Il a fait alliance avec Abram qui s’est dès lors appelé Abraham, il lui a rappelé sa promesse de lui donner un fils et une descendance nombreuse, mais cette fois, il a aussi promis que Sara lui donnerait un fils : « Je la bénirai et par elle je te donnerai un fils. Oui, je la bénirai : elle deviendra la mère de plusieurs peuples et des rois naîtront d’elle ». Abraham n’en a pas cru ses oreilles, il faut dire que Sara avait 90 ans, même lui ne pouvait pas croire qu’elle allait être enceinte. Il a ri.
Sara aussi a ri lorsque, quelques temps plus tard, un envoyé de Dieu a répété à Abraham que Sara aurait un fils dans l’année à venir. Elle a ri parce qu’elle ne pouvait pas croire, c’était un rire d’amertume, un rire qui cachait en fait bien des regrets et des larmes. Et bien Dieu a transformé ce rire d’amertume en rire de joie, il a transformé sa peine et sa honte en allégresse car elle a eu un fils et ils l’ont appelé Isaac. Dieu a réalisé sa promesse.
Depuis Sara sait, elle sait que Dieu tient parole : elle sait que d’Isaac, de ses enfants et petits-enfants naîtra tout un peuple et qu’ils vivront dans le pays que Dieu a donné. Elle sait que selon sa promesse, par Abraham, Dieu bénira tous les peuples de la terre. Elle sait qu’à travers les méandres, les détours, les impasses de nos vies, Dieu nous rejoints et trace un chemin de grâce…
Crédit : Claire de Lattre-Duchet (UEPAL) Point KT