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Dieu rit… les humains aussi ! Clins d’œil divins et éclats de rire…

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Quand on consulte les forums religieux sur le net et les sujets qui y sont abordés, la religion de l’amour ne rime pas toujours avec humour ! Certains pensent que les religions sont sources d’intolérance et de guerres plutôt que des facteurs de paix et de compréhension entre les humains ! D’ailleurs, a-t-on le droit d’en rire ?

La religion est beaucoup trop sérieuse pour ne pas plaisanter avec cela… Le rire et l’humour peuvent-ils préserver le croyant de toute prétention à détenir la vérité ? Est-il nécessaire, pour préserver la divinité du Christ et la gravité de son message, de lui dénier le droit d’avoir ri ou simplement souri ? C’est une question éminemment sérieuse sur laquelle se sont penchés d’illustres philosophes et théologiens. Le film « Le nom de la rose » évoque cela d’une manière remarquable !
Pour développer cette réflexion et découvrir maint sourire de Dieu, Frédéric Gangloff propose d’abord un parcours de perles humoristiques à travers l’Ancien Testament ; dans cette alliance « pas pour rire » où il est question de vie ou de mort, nous découvrirons de nombreuses traces d’ironie et même d’humour. Nous survolerons ensuite les évangiles et la prédication du royaume de Dieu de Jésus. D’ailleurs, les grands mystiques ne se sont pas toujours pris au sérieux comme St Jean de la croix qui a déclaré : « Celui qui aime ne se fatigue pas…et ne fatigue pas les autres ! »

1. L’humour de Yhwh dans les récits fondateurs (Genèse 1-11) et ailleurs : des mises en bouche !

– Le soleil et la lune, adorés comme des divinités à l’époque antique, deviennent de simples lampions qu’Elohim accroche au firmament comme luminaires et calendrier…
– Dans Genèse 2, avant de bricoler une aide quasi divine en face de l’homme, Dieu fait défiler devant lui les animaux, au cas où !
– La femme – côtelette, (isha en hébreu) – est prise d’une côte de l’homme (ish), alors que lui-même est un merdeux, poétiquement, un poussiéreux…
– Dieu est présenté comme un jardinier, qui prend le frais le soir dans son jardin et finalement devient couturier…
– Dans le récit de la tour de Babel, Dieu invente le langage crypté…
– Dans les psaumes, Dieu se moque des puissants et des monstres qui hantent l’imaginaire collectif tel le Léviathan.

2. L’humour du nomade : ou comment agrémenter les conversations autour du feu ! Dans le cycle des patriarches, on tourne en dérision la virilité masculine, la tromperie, le marchandage, les rapports entre hommes et femmes sous la tente… :

– La mésaventure d’Abraham en Egypte où il fait passer la belle Sara pour sa sœur. Grâce à ce stratagème, éventé par Pharaon, il récupère tout de même quelques chameaux au passage ! Il refait le même coup à Abimeleck…
– Abraham marchande avec Dieu, comme n’importe quel bédouin, pour sauver quelques justes à Sodome ; il a tout de même réussi à faire baisser le seuil de 50 justes à 10…
– Dieu annonce une première fois à Abraham qu’il aura un fils. Abraham se jette face contre terre et rit. C’est un rire intérieur, une forme d’autodérision… Encore un fils pour un centenaire… et avec une jeunette de 90 ans, cela semble même de la science-fiction. Puis, on annonce à Sara qu’elle va devenir mère. On comprend dès lors que, cachée derrière l’entrée de la tente, Sara ait rit… Ne dit-on pas que tout en elle s’est tari ! Elle ne se fait plus guère d’illusion sur l’état de sa libido. Maintenant que je suis usée, flétrie et plus très fraîche, est-ce que je vais au moins pouvoir jouir ? En plus, mon époux est un vieillard alors même si j’aimerais bien, lui ne peut plus ! Et finalement celui qui rit en dernier c’est bien Dieu, car justement Isaac signifie « il a ri ». C’est pourquoi Sara s’exclame : « Dieu m’a donné sujet de rire ! Quiconque l’apprendra rira à mon sujet ».
– Jacob, le roublard, se fait rouler à son tour par son beau-père Laban en héritant de deux femmes, non pas pour le prix d’une, mais après 14 années de labeur…

3. L’humour dans les fables (animaux et plantes)

– En Nombres 22, une ânesse voit plus claire que son maître, un voyant réputé (Balaam)
a) Elle évite l’ange de la mort sur le chemin en passant par les champs ;
b) Elle coince son maître contre un muret pour échapper à l’ange ;
c) Elle s’affaisse et n’avance plus… Elle sauve ainsi la vie de son maître…
– En Juges 9, un tyran s’apprête à régner ! Il est comparé à un vulgaire buisson d’épine qui s’agite au-dessus des autres arbres bien plus vénérables et productifs que lui
– Samson n’a besoin que d’une mâchoire d’âne pour massacrer mille philistins…
– Shamgar, lui, préconise l’aiguillon à bœuf pour en embrocher une série…
– En 1 Samuel 9, Saül court après les ânesses perdues de son père et trouve la royauté…

4. Humour noir et épisodes cocasses (les héros ne sont pas à la fête)

– En Juges 3, le roi de Moab surnommé taurillon grassouillet, se fait poignarder dans ses toilettes par un gaucher qui sauve ainsi la tribu des droitiers (Benjaminites),
– Samson – gros biscotos mais mini cerveau – se fait rouler à plusieurs reprises par une femme. Comme autres exploits, il lie ensemble des renards enflammés et sort la porte de Gaza de ses gongs…
– Le prophète Elisée, en pleine ascension, est ridiculisé par des jeunes garçons qui crient « monte, chauve, monte »…
– Le roi Saül, en bien mauvaise posture lorsqu’il va aux toilettes, se retrouve à la merci de David,
– David danse nu devant l’arche ou joue au fou – il bave et tag les portes – pour éviter d’être enrôlé par les Philistins,
– Lors d’un concours entre Dieu et Baal, Elie se moque des prêtres de Baal : « Criez à haute voix, puisqu’il est dieu ; il pense à quelque chose, ou il est occupé, ou il est en voyage ; peut-être qu’il dort, et il se réveillera ! »
– Le charme d’Absalom réside dans ses longs cheveux qui vont causer sa perte parce qu’il restera accroché à un térébinthe…
– Et le guetteur qui reconnaît de loin Jéhu à sa manière de conduire son char : il roule comme « un fou »…

5. L’humour du sage (littérature de cour)

Dans le livre des Proverbes, on y fait l’éloge de la sagesse, de la modération et du travail… Paresseux et femmes étrangères, prière de s’abstenir…
Quelques extraits :
– « La porte tourne sur ses gongs, et le paresseux sur son lit » ; « Le paresseux plonge sa main dans le plat, et il trouve pénible de la ramener à sa bouche » ; « Un anneau d’or au nez d’un pourceau, c’est une femme belle et dépourvue de sens » ; « Mieux vaut habiter à l’angle d’un toit, que de partager la demeure d’une femme querelleuse »…

6. L’humour décalé : (les canons de beauté de l’époque)

Allez dire à votre conjoint(e) : « Tes cheveux évoquent un troupeau de chèvres dévalant du mont Galaad, tes dents me font penser à un troupeau de brebis fraîchement tondues, ton cou a l’aspect d’une tour ronde, ton nez est aussi gracieux que la tour qui monte la garde… ».
Vous risquez d’être surpris…

7. Dieu fait-il de l’humour aux dépens de ses prophètes ?

Les prophètes étaient considérés par le peuple comme inspirés, peu fiables, et à la limite de la folie. Ils devaient faire des choses qui peuvent scandaliser ou choquer le commun des mortels : Jérémie doit rester célibataire, il porte un joug ; Ezéchiel cuit des gâteaux d’orge sur un tas d’excréments humains ; Osée divorce et se remarie avec une femme adultère ; Elisée guérit ses disciples atteints de diarrhée aiguë par une purge laxative.
Mais celui avec lequel Dieu s’amuse vraiment est le prophète Jonas :
– Il fuit dans la direction opposée pour être rattrapé,
– Il dort au milieu de la tempête déchaînée à cause de lui,
– Le sort s’acharne sur lui et on le jette à l’eau,
– Un gros poisson l’avale et le vomit aussitôt,
– La ville pécheresse Ninive se convertit immédiatement grâce à lui,
– Les humains et les animaux se repentent et portent le deuil,
– Dieu change d’avis,
– Furieux, Jonas s’en va bouder en face de la ville et demande à mourir,
– Pour le soulager de sa mauvaise humeur et le protéger du soleil, Dieu fait pousser un OVNI (objet végétal non-identifié) au-dessus de sa tête,
– Jonas s’énerve au sujet de ce machin que Dieu décide de faire périr.

8. Et Jésus ?

On fait souvent remarquer que, si les évangiles nous montrent Jésus en train de pleurer, de manger, de boire, voire de dormir, nulle part on ne le voit rire… Le rire était-il incompatible avec la mission de Jésus ? Les évangélistes n’ont peut-être pas jugé utile de tout consigner… On peut aussi raisonner de manière suivante :

– Pourquoi inviter Jésus et ses disciples à des noces (Jean 2) ? S’ils sont sinistres, ces jours de fête on évite les « raseurs »…
– Jésus est souvent accusé d’être « un ivrogne et un glouton »… On le voit mal garder son sérieux lors de ses nombreux repas…
– Comme prédicateur, il ne devait pas être ennuyeux, puisque la foule l’écoutait avec plaisir…
– On mentionne souvent le fait que Jésus était dans la joie… A moins qu’elle ne soit qu’intérieure, il a dû la manifester extérieurement…
– Que dire du premier signe à Cana ? Même s’il est symbolique, changer de l’eau en vin pour le simple plaisir des convives et pour que la fête ne tourne pas court, voilà une autre idée du royaume de Dieu ! D’ailleurs, à travers son ministère et ses paraboles, Jésus nous révèle un Dieu qui n’est pas avare de ses dons ni étranger à la joie des humains…

8.1 Les clins d’œil de l’Evangile

– Il y a ceux que les évangélistes nous adressent et qui semblent remonter à Jésus lui-même…
– Ceux qui sont adressés de manière implicite Marc 5, 26 : (médecins) moins on les voit, mieux on se porte…), et ceux à visée plus théologique…
– ceux qui, dans un contexte polémique, constituent des traits ironiques contre ses adversaires ou ses disciples, et ceux qui attestent d’un véritable humour…

8.2 Pas franchement la langue de bois !

Jésus ne semble pas être, au travers des évangiles, un personnage poli et bien éduqué, qui cultive le langage du « religieusement correcte » ! Au pharisien qui l’a invité à déjeuner, Jésus ne se gêne pas pour lui rappeler les rudiments de l’hospitalité. Il n’y va pas par quatre chemins lorsqu’il est en présence de ses adversaires : « Guides aveugles, vous arrêtez au filtre le moucheron et avalez le chameau ! » Matthieu 23,24.
Au lieu de proposer vos services pour ôter la paille qui est dans l’œil de votre voisin, commencez par enlever la poutre qui est dans le vôtre (Luc 6, 41-42). « Vous ressemblez à des sépulcres blanchis, qui paraissent beaux au dehors et qui, au-dedans, sont plein d’ossements de morts et de toutes espèces d’impuretés » ; « Vous pharisiens, vous nettoyez le dehors de la coupe et du plat, et à l’intérieur, vous êtes plein de méchancetés ». La Cananéenne qui est allée le voir s’est faite traiter de chiot ! Ses relations familiales sont assez conflictuelles ! On comprend, dès lors, les réactions de son auditoire qui est scandalisé et qui se sent insulté.

8.3 Certains quiproquos

On les trouve chez Jean qui construit la plupart des dialogues de Jésus sur un quiproquo initial, ses auditeurs prennent au sens propre tout ce que Jésus dit au sens figuré : Nicodème et la renaissance, la femme de Samarie et le messie, Jésus la manne céleste qui donne sa chair à manger…

8.4 Un changement de perspective

Dans la parabole du Samaritain, Jésus change de perspective à la fin du récit : la question n’est plus « Qui est mon prochain ? », celui de ma communauté, une manière de se limiter au second commandement de la Loi, mais accepterai-je de me faire le prochain de l’homme en détresse ? Dans le même ordre d’idées, Jésus arrive à éviter les pièges qu’on lui tend et fait en sorte que les responsables tombent eux-mêmes dans le panneau : L’homme à la main raide et l’histoire de la brebis qui tombe dans un trou le jour du sabbat ; le tribut à César ; les questions sur son autorité ; femme et ses sept maris, de qui est-elle la femme après la résurrection ?
L’histoire de la femme adultère et la violence de ses accusateurs contraste avec le calme de Jésus qui écrit par terre. « Que celui qui est sans péchés lui jette la première pierre… » La fin du récit est encore plus savoureuse : « Après avoir entendu ces paroles, ils se retirèrent l’un après l’autre, à commencer par les plus âgés ». Plus on vieillit, plus on accumule de péchés ?

8.5 Jésus et les « machos »

Jésus était un homme à « femmes », entouré par elles, financé par certaines, il en a guéri beaucoup et c’était très rare pour un prédicateur juif de cette époque. Il était, par contre, extrêmement pointilleux sur le thème du mariage : « Si quelqu’un répudie sa femme et en épouse une autre, il est adultère ». A tel point que les disciples hommes se découragent et disent : « Si telle est la condition de l’homme envers sa femme, il n’y a pas d’intérêt à se marier… » (Matthieu 19,10) !

8.6 La circoncision au secours de Jésus ?

On accusait souvent Jésus de guérir le jour du Sabbat. En Jean 7, 22-23, Jésus contre-attaque avec humour : « Moïse vous a donné la circoncision…et vous la pratiquez le jour du sabbat. Si donc un homme peut recevoir la circoncision un jour de sabbat sans que la loi de Moïse soit violée, pourquoi vous irriter contre moi parce que j’ai guéri complètement un homme un jour de sabbat ? » Le complètement est intéressant, car pour entrer dans l’alliance, on ôte quelque chose à l’homme en le blessant, alors que Jésus guérit entièrement, physiquement et surtout spirituellement…

8.7 Jésus prend la défense des « petits »

Ceux qui sont considérés comme des infirmes ou des pestiférés n’hésitent pas à taquiner ceux qui les méprisaient pour défier les autorités : « Je vous l’ai déjà raconté, mais vous ne m’avez pas écouté ! » dit l’aveugle aux pharisiens, venus enquêter sur cette guérison opérée un jour de sabbat. Et puis, encore plus subtil : « Pourquoi voulez-vous l’entendre encore une fois ? N’auriez-vous pas le désir de devenir ses disciples vous aussi ? » (Jean 9, 1-34). Jésus ne se laisse pas impressionner par les cartes de visite de ses interlocuteurs. Au notable Nicodème qui lui demande des explications au sujet de ses paroles, Jésus répond avec malice : « Comment, tu es maître en Israël et tu n’as pas la connaissance de ces choses ? » (Jean 3,10)

8.8 Et Dieu dans tout ça ?

Jésus entretient une certaine familiarité avec Dieu qu’il appelle « papa » ; ce qui n’est pas rien à l’époque. Il se permet même de pardonner les péchés à sa place… D’ailleurs, au travers de ses paraboles, on peut mesurer le sens de l’humour de Jésus tellement ses images sont extravagantes. Imaginons Jésus au milieu de la foule, en train de raconter ses paraboles, épié par ses adversaires, cela prend un tout autre relief : aux riches, et surtout à ceux qui pensent qu’il est impossible à un riche de rentrer dans le royaume de Dieu : « Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le royaume de Dieu ». A Pierre qui voulait faire du zèle en pardonnant déjà plus que prescrit : « Pas jusqu’à sept fois, mais jusqu’à 70 x 7 fois… » Lors du sermon sur la montagne : « Si ta main ou ton pied est pour toi une occasion de chute, coupe et jette, il vaut mieux entrer dans la vie boiteux ou manchot que d’avoir deux pieds ou deux mains et d’être jeté dans le feu éternel ». Les acteurs plus vrais que nature dans les différentes paraboles : le fils qui dit oui et n’y va pas ! Et le fils qui dit non, le fait tout de même… L’ami importun ; le riche et ses greniers ; la construction de la tour et le roi qui va en guerre sans avoir évalué ses forces ; le gérant avisé ; le pharisien et le collecteur d’impôt… La plupart de ces paraboles sont censées donner une idée du royaume de Dieu qui renverse complètement le système de valeur et les références de l’époque. Jésus ne conclut-il ses propos par les mots : « Que celui qui a des oreilles entende… »

La Bonne Nouvelle, est quelque chose de joyeux, de libératoire, qui implique que Jésus devait certainement avoir un sacré sens de l’humour et qu’il était justement connu comme un fêtard et un glouton fréquentant un public peu recommandable… Par la suite, dans la tradition chrétienne, il y a celles et ceux qui ont cultivé ce sens de l’humour : François d’Assise, Erasme, Thomas More… D’autres étaient de joyeux lurons (Rabelais, Luther). Et même dans l’univers protestant réformé, jugé austère, on peut citer Karl Barth : « La théologie est une science joyeuse » ou l’américain H. Cox : « Quand il est véritable, le rire est la voix de la foi ». Saint Thomas d’Aquin aimait jouer et dire des blagues, jugeant suspect ceux qui ne rient jamais… Mais le plus beau pied de nez de Jésus, c’est à la mort qu’il l’a fait en ressuscitant ou, comme le dit Paul : « Mort où est ton aiguillon ? » C’est le rire du matin de Pâques, un rire sain(t), où Dieu ne rit pas de ses créatures, mais rit avec elles.

Crédit : Frédéric Gangloff (UEPAL), Point KT