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Espérer en Exil – Psaume 80

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Le livre des Psaumes n’est rien d’autre qu’un recueil de cantiques retenus par les lévites. Il en a donc toutes les caractéristiques : il réunit des prières composées et chantées à des siècles de distance, par des poètes et des musiciens croyants qui ont mis dans leurs œuvres les joies et les préoccupations de leur temps, que ce soient celles de tout le peuple, ou des sujets tout personnels.

Le verset 1, comme le début de nombreux Psaumes, comporte un certain nombre d’indications dont la traduction et la compréhension restent très hésitantes. À titre d’information, voici ce qui peut en être dit, étant bien entendu qu’il s’agit d’une introduction mise là lorsque le Psaume a été intégré dans le recueil, et dont la compréhension ne changera pas le sens général du psaume.

Du chef de Chœur : ou « au chef de Chœur » ou « pour l’exécution musicale ». 55 psaumes portent cette introduction qui signifie que les indications qui suivent concernent l’interprétation du chant.

El-shoshannim : peut-se traduire « sur les Lis » ce qui serait une indication de mélodie ou « sur un instrument » à 6 cordes ».

D’Asaph : est une indication d’auteur qui, dans ce cas précis, ne nous apprend rien, sinon que ce Psaume est du même auteur que les Psaumes 73 à 81, 50 et 83.

Psaume : le mot traduit ici par psaume implique qu’il s’agit d’un chant accompagné avec des instruments de musique.

Berger d’Israël : L’image qui fait de Dieu le berger d’Israé1 est traditionnelle (Genèse 49,24) et courante dans le culte de Jérusalem (Psaumes 23,2 ; 77,21 ; 79,13 ; 95,7 ; l00,3). L’image du berger est de toute manière courante dans tout le Moyen-Orient Ancien. Elle exprime à la fois la puissance, 1’autorité et l’attention bienveillante de celui qui détient le pouvoir sur le peuple. Ici la formule souligne le lien étroit qui unit Dieu a son peuple, et qui rend incompréhensible que Dieu laisse le peuple dans la situation difficile que décrit le Psaume.

Israël : ce nom désigne les 12 tribus, la totalité du peuple, même si la suite n’en mentionne qu’une partie. Il y a dans le Psaume, comme chez les prophètes, une aspiration à 1’unité du peuple de Dieu qui s’exprime ainsi a travers des détails dans l’expression auxquels il convient d’être attentif.

Joseph, Ephraïm, Benjamin, et Manassé : Les tribus ainsi désignées sont étroitement liées entre elles : Ephraïm et Manassé sont deux demi-tribus qui se réclament du même ancêtre commun : Joseph (Genèse 41,50-52 ; 48,1-20).Benjamin est le jeune frère de Joseph, né de la même mère, Rachel (Genèse 30,22-24 et 35,16-18). En parlant de Joseph, le Psaume fait allusion au séjour en Egypte. Ephraïm était devenu la tribu la plus importante de Palestine centrale, et il arrivait qu’elle soit nommée seule pour désigner le royaume du Nord (Osée 5,3-14).

Les chérubins : le mot désigne un animal composite (bœuf, homme, ou lion doté d’ailes). Il représente un monstre des origines que Dieu a écrasé et qu’il utilise comme son « siège ».

Toi qui sièges sur les chérubins : la désignation est fréquente (I Samuel 4,4 ; II Samuel 6,2 ; II Rois 19,15 ; Ésaïe 36,l6…). Elle tire son origine du culte de Silo, et de l’Arche de l’alliance surmontée de deux chérubins qui est comprise comme le siège de Dieu (Exode 25,22 ; II Rois 6,23-28). Avec l’Arche, cette représentation est passée à Jérusalem et devenue une formule traditionnelle du culte de Jérusalem. Or les traditions sur l’Arche de l’alliance sont marquées par la notion de guerre sainte, ou plus exactement de la guerre livrée par Dieu lui-même en faveur de son peuple. C’est ce Dieu-là qui est appelé à se manifester.

Reléve-toi : ce qui est demandé à Dieu, c’est de se manifester comme le Dieu qui, de toute sa puissance, vient combattre pour son peuple, comme au temps de la conquête et des Juges.

Réveille ta vaillance : c’est toujours le thème de la guerre sainte ou Dieu intervient comme un héros courageux dans la pratique des combats singuliers par exemple (David et Goliath).

Dieu, fais-nous revenir : le v. 4 est une sorte de refrain qui sera repris sous des formes légèrement différentes en 8 et 20. Le verbe hébreu traduit ici par revenir est aussi celui qui est ailleurs utilisé pour parler de conversion. Il a sans doute ici les deux sens : le peuple demande à être restauré par Dieu dans sa situation passée, situation faite de prospérité et de victoire, mais aussi d‘une relation vraie entre le peuple et son Dieu.

Que ton visage s’éclaire : Cette formule fait partie des images qui servent à exprimer les sentiments. Si le visage s’éclaire, c’est que la colère, la sévérité est passée, que Dieu sourit à son peuple avec bienveillance.

Seigneur Dieu le tout-puissant : cette expression traduit une désignation de Dieu assez fréquente dans l’ancien Testament que d’autres traductions rendent par « Dieu des armées » ou transcrivent simplement de l’hébreu : « Tsébaoth ». C’est un titre donné au Dieu d’Israël dans le cadre du culte de l’Arche de l’alliance qui était emmenée au combat (I Samuel 4,4 ; l7,45). On a pensé que ces armées pouvaient être des armées d’anges (Psaume 103,2l) ou d’étoiles (Esaïe 40,26), mais l’Ancien Testament parle dans ces cas-là toujours au singulier -l’armée des anges ou l’armée céleste-. La formule au pluriel désignait bien des armées de guerriers humains, avant de devenir une abstraction pour dire la puissance de Dieu, puissance qui agit sur la terre et dans l’Histoire des peuples.

Pourquoi… ? Jusqu’à quand ? : ces deux questions qui se retrouvent dans d’autres psaumes de lamentation (10,1 ; 13,2,3 ; 22,2 ; 44,24,25 ; 74,1,l0 ; 79,6 et 88,15) disent le désespoir d’une souffrance inexplicable qui se prolonge et dément tous les espoirs de délivrance, et qui met en cause la confiance du croyant en Dieu.

Contre les prières de ton peuple : l’idée n’est pas que Dieu condamne les prières qui lui sont adressées, mais que malgré les prières, la colère de Dieu se prolonge, que la souffrance du peuple est un état durable.

Un pain pétri de larmes : Les images de ce verset indiquent elles aussi un malheur qui dure. Le peuple continue à vivre, il a de quoi faire son pain et se nourrir, mais tout en faisant ce pain qui assure sa survie, il pleure et ses larmes se mêlent à la pâte.

Tu fais de nous la querelle de nos voisins : indique une situation où les puissances voisines d’Israël s’affrontent pour dominer le pays, situation qui peut correspondre à différents moments de l’Histoire d’Israël. Ces ennemis se moquent de la faiblesse d’Israël, mais le peuple sait que son sort dépend avant tout de son Dieu.

 

 

La vigne que tu as retirée d’Égypte : l’image de la vigne pour désigner Israël est aussi courante que celle du berger pour désigner Dieu (0sée 10,1 ; Ésaïe 5,1-7 ; Jérémie 2,21). C’est une image très concrète, qui parlait tout naturellement à tout habitant de la Palestine. Chacun savait en effet tout le travail et tout le soin dont il faut entourer une vigne : dépierrage, plantation, mur de clôture pour abriter la plantation des animaux et des rôdeurs, taille et entretien. Dire qu’Israël est la vigne de Dieu, c’est rappeler d’un mot tous les efforts de Dieu en faveur de son peuple, tous les soins attentifs dont Dieu a entouré Israël et que le psaume détaille brièvement :

– v. 9 Exode et installation en Canaan
– v. 10 temps des Juges
– v. 11 la souveraineté assurée et tranquille
– v. 12 l’extension maximum d’Israël à la fin du règne de David, qui atteignait la Méditerranée à l’ouest et à l‘Euphrate au nord-est.
Ainsi la prière -refrain des versets 4,8 et 20- renvoie à la splendeur du royaume de David et demande sa restauration.

Pourquoi as-tu défoncé ses clôtures : le souvenir du passé rend le présent encore plus douloureux et plus incompréhensible. Dieu a abandonné sa vigne : tous ses efforts sont anéantis et le pays est livré au pillage et à la dévastation. Et tout cela à cause de la colère de Dieu.

Dieu le tout-puissant, reviens donc : dans une variante du refrain, le peuple qui prie appelle Dieu A revenir pour prendre soin de sa vigne abandonnée. Dieu est invité à sortir de son absence mystérieuse et à se manifester en force en faveur de son peuple. Il doit regarder, et voir, et mettre en route la délivrance, comme il l’avait fait au temps de Moise (Exode 3,7-10). Mais ce retour de Dieu vers sa vigne n’est pas sans impliquer aussi un retour de Dieu sur lui-même, un retour sur sa colère pour retrouver les relations anciennes.

Sur le fils qui te doit sa force : ce vers du psaume est probablement un rajout, qui s’appuie sur le ‘verset 18 et cherche identifier la vigne avec la dynastie davidique (un peu dans le sens de Ésaïe 11,1). Nous avons là une trace de l’histoire du psaume qui est adapté à une nouvelle compréhension.

Devant ton visage menaçant ils périssent : c’est un appel à Dieu pour qu’il intervienne contre les ennemis. Le Visage menaçant de Dieu les anéantit comme son Visage qui s‘éclaire fait vivre le peuple.

Pose la main sur l’homme qui est à ta droite : ce verset est une prière pour le roi, présenté comme celui qui est à la droite de Dieu, selon une habitude de l’Orient Ancien, qui place le roi en relation étroite avec la divinité du peuple. Le roi est celui à qui Dieu donne le pouvoir, il est le fils que Dieu éduque.

Cette prière pourrait concerner Josias, le roi dont on espérait la reconstitution du royaume de David. Mais la fin du verset 16 montre que cette prière s‘est aussi insérée dans l’espérance messianique du peuple privé de roi.

Alors, nous ne te quitterons plus… : le verset évoque un renouvellement de l’alliance (Comme Josué 24 et II Rois 24) qui serait l’aboutissement d’un double retour en arrière : celui du peuple restauré et celui de Dieu. Ainsi serait rétablie la vraie relation vivante de Dieu avec Israël (voir Psaume 71,20 ; 85,7 ; Osée 6,1).

On peut sans difficulté imaginer le chant de ce psaume dans la bouche des Juifs laissés sur place après la destruction de Jérusalem. La description de la vigne dévastée, incendiée et rasée les concernait dans leur existence même : ce tableau, ils l’avaient sous les yeux, jour après jour. Et même s’ils l’avaient (eux ou leurs ancêtres) déjà chanté auparavant, la catastrophe absolue qui s’était abattue sur eux donnait à chaque mot du psaume toute sa force.
Contrairement au Psaume 137, celui-ci contient, au moins de manière allusive, une reconnaissance de faute : une rupture a eu lieu entre Dieu et son peuple, une rupture aux conséquences désastreuses et à laquelle le peuple ne peut survivre que par le rétablissement d’une relation vivante entre Dieu et son peuple. Pour que ce rétablissement ait lieu, un double retour est nécessaire : celui de Dieu vers sa vigne, celui du peuple vers son Dieu. Pour le Psaume 80, c’est cependant le retour de Dieu qui est premier et décisif, car c’est aussi à Dieu de faire revenir son peuple.

Dans ce psaume de lamentation, l’espérance est tout entière tournée vers Dieu. On se lamente devant lui parce que lui seul peut apporter un secours et rétablir la situation. Tout le passé vécu entre Israël et son Dieu atteste aussi bien que Dieu peut sauver son peuple et qu’il éprouve pour lui un attachement qui justifie tous les espoirs.
Mais l’espérance est toute entière aussi dans un messianisme « politique ». Ceux qui prient ce psaume demandent la reconstitution d’un royaume avec des frontières sûres et reconnues selon les formules d’aujourd’hui. Leur idéal, c’est le royaume de David. Et ils comptent sur Dieu pour entreprendre une nouvelle guerre sainte qui leur rendra l’indépendance, la souveraineté, la sécurité et la paix.

Cette fiche biblique est en lien avec l’article : Là-bas au bord des fleuves de Babylone – Espérer en Exil cliquer ici