C’est bien connu, l’humour est un remède universel. Dès lors, pourquoi s’en priver ? Cet ouvrage est issu d’une patiente enquête de Béatrice et Freddy Sarg, dans la pénombre des confessionnaux, dans les couloirs oubliés des Consistoires et au fond des sacristies. Au cours de votre lecture des savoureuses nouvelles histoires drôles, vous y verrez les hommes de Dieu et les fidèles s’asticoter pour votre plus grand plaisir. Ouvrez ce livre au hasard, et rendez hommage à la Divinité, de la plus belle façon qui soit : rions ensemble, mes frères. Lisez-le, relisez-le et citez-le, car ce livre a le meilleur des imprimatur : il fait rire. Merci à l’interprète de ces drôles de visions mystiques : l’illustrateur Charly Barat.
- Biographie des auteurs : Pasteur, ancien inspecteur ecclésiastique, ancien vice-président de la Fédération protestante de France, ethnologue, Freddy Sarg, ainsi que son épouse Béatrice, psychanalyste, collectent depuis des années les histoires humoristiques que se racontent les Alsaciens.
- Extrait de la préface du livre par Matthieu Arnold, théologien, professeur d’Histoire moderne à la Faculté de théologie protestante de Strasbourg : Le rire chez Martin Luther
Martin Luther (1483-1546) entretient-il un lien particulier avec le rire ? À certains égards, on pourrait en douter : Luther n’est-il pas connu pour maints écrits polémiques, et, dans sa prédication, n’a-t-il pas supprimé les exempta, ces historiettes dont usaient – voire abusaient – les prédicateurs du Moyen-âge pour susciter chez leur auditoire parfois la crainte, mais le plus souvent le rire ? D’un autre côté, l’attention qu’il accorde à la langue, « coffret dans lequel on transporte le joyau de l’Évangile », son authentique génie littéraire, sa profonde sensibilité et sa capacité à se moquer de lui-même en font indiscutablement le Réformateur du XVIe siècle que l’on peut associer le plus étroitement au rire.
Pour mettre les rieurs de son côté, Luther peut recourir à la plaisanterie lourde – il affuble ses adversaires de sobriquets –, mais l’ironie légère ne lui est pas étrangère. Ainsi, dans la Gazette du Rhin, qu’il publie en 1542 à l’occasion du transfert de certaines reliques à Mayence, Luther associe, par contraste, des unités de poids et de mesure aux « babioles remarquables » que pourront vénérer les fidèles afin d’obtenir des indulgences : « Ce sont notamment : un bon morceau de la corne gauche de Moïse, trois flammes du buisson de Moïse au Sinaï, […] toute une livre du vent qui passa en soufflant devant Élie dans la grotte du mont Horeb, deux aunes du son des trompettes, sur le Mont Sinaï, […] un bon gros morceau des cris poussés par les enfants d’Israël pour faire tomber les murailles de Jéricho. » L’effet comique obtenu par ces associations baroques a pour but de ridiculiser l’usage mercantile de choses spirituelles : les propos de Luther ne nous transportent-ils pas devant les étals du marché de Wittenberg plutôt que dans l’église Saint-Martin de Mayence ?
Dans le microcosme protestant d’aujourd’hui, au contraire du temps de Luther, la société n’est plus chrétienne : l’humour permet aux pasteurs contemporains d’affronter tant l’essor des « croyants non pratiquants » que l’érosion de l’Église multitudiniste ou encore les exigences de leurs rares ouailles.
Dans ce « tout petit monde » protestant, on critique la longueur des sermons, et les professeurs en théologie – qu’ils se caractérisent par leur magnanimité à l’endroit de leurs étudiants ou par leur pédanterie – jouent un rôle non négligeable. L’humour stigmatise les divisions entre les multiples familles du protestantisme (réformés, luthériens, baptistes, méthodistes…), ainsi qu’entre ses diverses tendances ou sensibilités théologiques (orthodoxes, libéraux, charismatiques…). Dans ce panorama pittoresque apparaissent souvent la figure du curé ou de la moniale, voire celle du rabbin : l’humour permet de dédramatiser les divisions confessionnelles et religieuses, et les nombreuses historiettes juives attestent de l’ouverture des conteurs, dont plusieurs narrations dépassent le monde luthéro-réformé.
Sur ces dernières questions, on aurait de la peine à trouver quelque humour chez Luther : s’il fait rire, lorsqu’il parle des « papistes », des Juifs ou des adeptes de Zwingli, c’est aux dépens de ces derniers, et surtout dans ses propos de table. Mais les traités théologiques qu’il leur oppose, alors que le Salut lui paraît en jeu, préfèrent, au ton badin d’Érasme, la véhémence voire les imprécations du prophète. C’est pourquoi on peut gager que Luther n’aurait sans doute pas goûté les plaisanteries relatives à Jésus-Christ ou à sa mère qui parsèment cet ouvrage.
Et pourtant, pour le Réformateur, le rire a bien une fonction salutaire, au sens le plus fort du terme. Il ne concourt pas seulement à la guérison du malade, comme le rappelle Luther au jeune et mélancolique prince Joachim d’Anhalt, lorsqu’il lui conseille de préférer, aux pratiques ascétiques, des occupations de son âge en compagnie d’amis enjoués ; le rire fait fuir le diable, affirme-t-il dans ses lettres pastorales à ceux que tourmentent une conscience trop scrupuleuse : « Moquez-vous du diable et dites : « Si j’ai péché, eh bien ! J’ai péché et je le regrette. Mais le Christ a ôté tout le péché du monde entier […]. Aussi a-t-il assurément ôté mon propre péché. Va-t’en, diable, je suis absous, et il me faut le croire. » L’invitation à tourner Satan en dérision ne relève donc pas seulement de la recette psychologique, comme la donnaient les confesseurs de la fin du Moyen-âge ; ce conseil est fondé sur le message central de l’Évangile, redécouvert par Luther : le diable et ses auxiliaires – la mort et le péché – ont déjà été vaincus sur la croix de Jésus-Christ, et il suffit au chrétien d’y accorder foi.
À lire les récits rassemblés par Béatrice et Freddy Sarg, on peut établir un parallèle entre l’histoire drôle et la prédication.
Dans les cercles divers – ecclésiaux ou non – auxquels ils appartiennent, semblables aux preneurs de notes zélés qui nous ont conservé les propos de table de Luther, Freddy Sarg a collationné, avec son épouse Béatrice, des histoires drôles par centaines.
Aussi, à n’en pas douter, accueilleront-ils avec humour cette consigne de Catherine de Bora, l’épouse de Luther, que nous livrons en guise d’adresse à leurs lecteurs – et notamment à ceux qui leur fournissent la matière de leurs livres – : « Alors que quelqu’un interrogeait le Docteur Martin Luther au sujet d’un point précis, la Doctoresse [Catherine Luther] répondit en plaisantant : Seigneur Docteur, ne les enseignez pas gratis ! Car ils rassemblent vos propos en grand nombre. » (24 août 1540).
Rions ensemble mes frères, Le Verger Éditeur, 2009, 110 p.
Crédit : Point KT