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Les émotions de la Bible 3 : La colère

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Suite de la nouvelle série de 6 articles écrits par Hervé OTT autour des émotions que la Bible évoque avec constance car elles nous parlent de Dieu et sont au cœur de notre condition humaine. Ils sont publiés ici avec l’autorisation de www.reforme.net

Troisième d’entre elles : la colère

Elle peut conduire au pire, si elle n’est pas accueillie en soi sans la juger. Mais si elle est nommée, la colère peut se révéler porteuse d’énergie. Jésus différenciait la colère « contre » de la colère « pour».

Comme les autres émotions, la colère est universelle. Elle va se manifester différemment selon les cultures : chez nous, il est « normal » qu’un homme se mette en colère, alors que si c’est une femme on dira qu’elle est « hystérique » !

Je suis énervé, mécontent, irrité, fâché, j’en ai marre, « ça me gonfle », je n’en peux plus (de me retenir !), je suis exaspéré, je suis en fureur, j’ai la haine… sont toutes des façons d’exprimer sa colère sans le dire.

Plus que les autres émotions, la colère est une énergie. C’est l’énergie mobilisée pour défendre un territoire, une identité, des valeurs (justice, liberté, etc.). Elle est la manifestation qu’en nous une limite a été atteinte, du moins qu’elle est menacée. Elle provoque un tonus musculaire, en particulier dans les bras et les poings, pour préparer la défense. La chaleur intérieure (ça bout !) provoquée par une accélération de l’oxygénation du corps (les rythmes respiratoire et cardiaque augmentent) se manifeste clairement sur le visage pour signaler aux autres que ça peut tourner mal. La colère prévient l’entourage que nous sommes prêts au combat. A cause de tout ce qui précède, on la confond facilement avec la violence et fait partie à ce titre des « sept péchés capitaux ».

Jaillissement d’énergie

Ce n’est pas la colère en tant que telle qui est violente, c’est ce qu’on y associe quand on refuse de l’accueillir en soi comme émotion, comme alarme qu’une limite est menacée. Alors on accuse l’autre d’avoir réveillé cette blessure, transgressé cette limite, on l’insulte, on le frappe. Et la soudaineté de ce jaillissement d’énergie est telle qu’elle peut, si nous ne nous sommes pas entraînés, tout emporter sur son passage, et en particulier notre capacité à prendre de la distance. C’est pourquoi elle joue un rôle très important dans tous les mouvements sociaux ou révolutionnaires : non canalisée, elle peut conduire au pire.

C’est souvent par peur de ne pas maîtriser cette énergie que nous la refoulons. Mais c’est cette peur qui la rend monstrueuse. Elle rejaillira froide et encore plus blessante, ou plus chaude, renforcée parce qu’accumulée. Ou elle se perdra dans la mémoire de nos cellules et finira un jour par se manifester sous forme de maladie, de « mal-à-dire » ! La colère qui nous épuise est une colère refoulée, qui retient son énergie. C’est l’effort produit pour la retenir qui nous épuise, par peur de ce qu’elle représente.

Derrière toute condamnation portée contre une personne, il y a une colère (ou une peur) cachée qui déclenche une autre colère et ainsi de suite. Quand je suis de la sorte accusé, autant dire : « Je sens que tu es très en colère et j’aimerais bien connaître ce qui la provoque. » Je peux l’avoir provoquée chez l’autre sans le vouloir, en réveillant une vieille blessure, en transgressant sans le savoir une règle implicite pour l’autre, ou en causant une réelle injustice sans m’en rendre compte. Sans dialogue, la colère devient destructive.

Verbaliser la colère

La colère doit en effet être nommée comme telle. Si je dis à un enfant : « Je sens que tu n’es pas content » alors qu’il est en colère, je ne l’aide pas. Car une émotion, même un ressenti, est verbalisable positivement et sans négation : le cerveau limbique – le cerveau des émotions – est sourd aux négations ! Nommer le ressenti de l’autre est le meilleur service qu’on puisse lui rendre lorsqu’il en est submergé ou inconscient. On peut au moins dire : « J’ai l’impression que tu ressens de la… ».

Il se peut que sur une colère viennent immédiatement se coller une honte ou une peur, lesquelles refoulent l’énergie de la première et nourrissent le sentiment d’impuissance. Il faudra d’abord évacuer honte ou peur pour pouvoir retrouver l’énergie de la colère.

Lorsqu’on est en colère sans savoir comment l’exprimer, on peut s’en libérer en faisant plusieurs respirations ventrales profondes : l’énergie de la colère va se dissoudre. Pour se servir de cette énergie comme support à notre expression, il importe de bien l’accueillir en soi sans la juger.

Après une colère qui aurait débordé les règles de la politesse, mettre immédiatement des mots dessus, éviter de rester sur un non-dit : soit en s’excusant sans renier le fond du problème, soit en annonçant qu’on a besoin de prendre du recul pour en reparler.

Gandhi disait qu’il vaut mieux être violent que lâche. Au regard de la colère, je dirai qu’il vaut mieux exprimer sa colère que la fuir car, même maladroitement, elle permet de régénérer la relation. Et la sécurité ! Beaucoup d’enfants perturbés n’ont pas été confronté à la « saine » colère de leur parents, comme limite ultime qui témoigne de leur amour.

De la colère à la compassion

La colère est évoquée quatre fois plus souvent pour Dieu que pour les humains dans la Bible. Lorsqu’il se met en colère (on parle alors de son jugement), c’est parce que les humains ont trahi les règles de la relation et qu’il les confronte sans détour. La compassion prend alors immédiatement le pas sur la colère : Osée (11,8-9) est le premier prophète à avoir annoncé la fin de la colère de YHWH et développé le thème de sa compassion. C’est sans doute pourquoi elle est absente de la prédication de Jésus (sauf indirectement dans les paraboles). Mais pourquoi Paul et les apôtres en parlent-ils si souvent ? La question reste ouverte.

La première évocation de la colère concerne précisément la relation : Caïn est très irrité en raison du sacrifice refusé par YHWH. Mais, au lieu de lui crier sa colère, il s’en prend à son frère et le tue. En jouant au grand soumis à la volonté de YHWH malgré tout ce qui l’accable, Job tombe malade d’une inflammation (ça bout en lui !) puis dans la dépression. Et après, seulement, il se révolte… au grand dam de ses amis pieux ! Les psaumes, au contraire, sont pleins de colère, d’expressions de haine et d’appels à la vengeance : Dieu saura s’en débrouiller. Le fils aîné de la parabole, très en colère, répond vigoureusement à son père qui a tué le veau gras pour fêter le retour du fils perdu. Il se voit alors mis en face d’une réalité qu’il ignorait : la joie du père. Confronter l’Autre dont on se sent victime provoque ainsi un « recadrage », une sortie de la prison « souffrance » dans laquelle on s’est très vite enfermé.

La colère peut en effet conduire au meurtre si on ne met pas dessus les mots qu’il faut ! Jésus dit qu’il commence déjà avec l’injure, l’insulte (Mt 5,21-22). « Quiconque se mettra en colère contre son frère en répondra du tribunal. » C’est la colère « contre » que dénonce Jésus, celle qui emprisonne le fils et produit des condamnations, celle qui renonce à définir ce qu’elle défend, qui tait son origine, qui étouffe notre être. Jésus affirme en revanche la valeur de la colère « pour » la justice, le respect.

Hervé OTT
consultant et formateur en approche et transformation constructive des conflits.

À lire :

Sainte colère, Jacob, Job, Jésus  vLytta Basset  Labor et Fides, 2002.

L’intelligence du cœur  Isabelle Filliozat  J.-C. Lattès, 1997.