Préface Le mot ange, directement calqué sur le grec angelos, signifie bien sûr messager. Il en va de même pour le mot hébreu. Mais on aurait tort de réduire l’ange à un simple huissier divin. Il y a dans le mot ange plus de l’émissaire responsable de ce qu’il transmet que du facteur. Comme en allemand, où message se dit Botschaft, un Botschafter est un ambassadeur.
A préciser d’entrée : jamais la bible ne parle d’ailes pour les anges au sens strict du terme. Ce qui pourrait pousser les bons protestants que nous sommes, toujours prêts à chasser les fausses images religieuses, à conclure la question des anges sur le paradoxe suivant : les anges sont des porte-parole sans ailes, où ceux qui ont des plumes n’en sont pas. Ce raccourci serait pourtant tout à fait abusif. Pour l’illustrer, voici une proposition de systématique angéliaire en six familles : le cache-dieu, les emplumés, les nommés, les spécialisés, les mauvais et les intérimaires.
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Le cache-dieu
L’ange du Seigneur, c’est donc presque un synonyme de Dieu, ou Dieu avec juste ce qu’il faut pour rester un brin incognito. Il n’est là que comme un ultime rempart à la rencontre de Dieu tout nu, un protège-mystère minimum. Il disparaît d’ailleurs bien vite du texte, puisque c’est Dieu lui-même qui appelle Moïse du milieu du buisson au verset 6, puis converse directement sur deux chapitres.
La bible est coutumière de ces chassé-croisé entre Dieu et son ange. On retrouve le phénomène dans le chapitre d’Abraham sacrifiant (Genèse 22), où il se passe l’inverse : Dieu commence par intervenir tout seul comme un grand, puis se cache – très peu – derrière l’ange du Seigneur. Très peu car, quand en fin du chapitre, l’ange promet qu’il bénira et multipliera la descendance du père des croyants, chacun entend bien la promesse de Dieu lui-même.
D’autre part, il y a tout un courant qui minimise la place de tout intermédiaire entre Dieu et nous, à côté du Christ. Paul ne semble pas particulièrement apprécier le culte des anges (Colossiens 2,18), et prétend même que nous les jugerons. Même s’il s’agit des anges déchus, comme le prétend la TOB dans sa note sur le verset 3 de I Corinthiens 6, la polémique reste violente.
Les deux premiers chapitres de l’épître aux Hébreux s’acharnent, eux, à montrer que les anges ne soutiennent bien sûr en rien la comparaison avec le Christ. Les anges eux-mêmes semblent très protestants dans leur peur d’être adorés à la place de Dieu seul, si l’on en croit celui qui accompagne Jean tout au long de l’Apocalypse : quand l’apôtre se prosterne à ses pieds, au chapitre 22 (v. 8), il se dépêche de l’en empêcher, se traitant lui-même merveilleusement de « compagnon de service ».
Malgré cela, la venue du Christ, seul médiateur, ou le don de l’Esprit Saint, messager par excellence à partir de la Pentecôte, ne met curieusement pas l’ange du Seigneur définitivement à la retraite, loin s’en faut. Il intervient à tour de bras dans le livre des Actes lui-même, étant tour à tour serrurier sur porte de prison au profit des apôtres (6,19) ou de Pierre (12,7), envoyeur en mission évangélisatrice de Philippe (8,26) ou, plus difficile pour nous autres modernes, exécuteur de CIA divine contre un tyran mécréant (12,23). Un grand bosseur décidément…
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Les emplumés
On l’a déjà dit, les anges n’ont normalement pas d’ailes, même si on en trouve une fois trois qui volent dans l’Apocalypse (14,6, pour les curieux). D’où viennent alors tous ces sublimes plumages qui remplissent nos tableaux et nos imaginaires ? De deux créatures aussi curieuses l’une que l’autre : le mystérieux chérubin et l’ultra-rare séraphin.
Un chérubin, s’il a gardé l’apparence en plus du joli nom mésopotamien de karibu, semble être une créature à corps de taureau. Je dis « semble », car je ne veux pas me prononcer plus avant, n’en ayant jamais tenu un au bout de ma longue-vue. Sa fonction principale est d’entourer la demeure de Dieu et de soutenir son trône, I Samuel 4,4 ne laisse aucun doute sur le sujet.
Deux chérubins sculptés entourent aussi le couvercle de l’arche, les instructions précises de Dieu à Moïse concernant leur construction nous permettant de savoir qu’un chérubin a deux ailes (Exode 25 et 26). Quand un chérubin ne sert pas de tapis volant au Seigneur, il peut lui arriver de travailler au WWF : plusieurs d’entre eux, avec épées s’il vous plait, gardent désormais le chemin qui mène au seul exemplaire recensé de l’arbre de vie (Genèse 3, 24).
Nous connaissons tous le séraphin, au moins de nom, alors qu’il n’apparaît qu’une seule fois dans la bible. Il est vrai que c’est au début du chapitre 6 d’Esaïe, dans un passage célèbre repris lors de chaque eucharistie ; ce sont les séraphins qui, les premiers, ont créé le tube céleste : « Saint, saint, saint, le Seigneur, le tout-puissant… »
Un séraphin, dont le nom signifie « brûlant », possède six ailes, record absolu, mieux que les libellules ou les êtres fabuleux de la vision du début d’Ezéchiel, qui s’arrêtent à quatre. Mais deux seulement leur servent à voler. Deux autres leur servent de chapeau, et les dernières « pour se couvrir les pieds », autrement dit d’habit. On ne les représente donc d’habitude que par un visage entouré d’ailes, et si la tradition les voit chantant le Sanctus, Esaïe les entend plutôt le crier.
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Les nommés
Certains anges nous sont connus par leur nom propre. Trois particulièrement, archanges, ou anges en chef : Raphaël, Gabriel et Michaël. A vrai dire, deux seulement volent dans les bibles protestantes : Gabriel et Michaël.
Gabriel – force de Dieu – intervient pour la première fois dans le livre de Daniel, en plein essor de la littérature apocalyptique. Son rôle y est de faire comprendre au prophète la vision qu’il vient d’avoir et de lui annoncer le temps de la fin (8,16). Mais nous le connaissons surtout pour ses deux visites dans Luc 1, au futur père de Jean Baptiste d’abord, puis à une jeune fille nommée Marie. Là aussi, il dialogue, explique, tout en signalant l’arrivée d’une ère nouvelle. Particularité : il doit détenir le record de vitesse angélique, puisqu’il a impressionné Daniel par la rapidité de son vol.
Michel – en hébreu Michaël, ou : qui est comme Dieu ? – est le chef de l’armée céleste. C’est Gabriel – encore lui – qui en parle à Daniel (12,1, par exemple). Il combat avec ses anges le grand dragon, dans le chapitre central et décisif de l’Apocalypse, le chapitre 12. C’est pour ça qu’on le voit avec ailes, épée et grande lance sur les sommets des églises placées sur les hauteurs. On le voit aussi une fois se disputer avec le diable le corps de Moïse !
Cette mention dans l’épître de Jude montre à nouveau que la bible baigne dans une imagerie où anges et démons ont tout naturellement leur place – ce qu’on reverra un peu plus bas.
Raphaël – Dieu guérit – est l’ange qui accompagne incognito Tobias, le fils de Tobit, dans un voyage qui lui permettra et de trouver femme et de guérir la cécité de son père. Avant de disparaître au ciel, à la fin de l’aventure, Raphaël se dévoile et révèle que c’est lui qui transmettait les prières de la famille à Dieu – d’autres anges font de même en Apocalypse 5,8. On reviendra sur son rôle d’ange gardien tout bientôt.
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Les spécialisés
Après les célébrités, la cohorte des sans-grades, ceux qui volent jour et nuit dans l’anonymat pour toutes sortes de tâches. Les dénombrer serait fastidieux et de peu d’intérêt, hormis pour remarquer une fois de plus le naturel avec lequel la bible mentionne leurs interventions. Trois groupes intéressants :
° Les employés des pompes funèbres : les voici emportant le pauvre Lazare à sa mort au sein d’Abraham (Luc 16,22). Ou séparant à la fin du monde les bons et les mauvais, comme des moissonneurs dans l’explication de la parabole du bon grain et de l’ivraie (Matthieu 13), jetant les iniques dans le four crématoire. D’autres rassembleront les élus au son de la grande trompette (Matthieu 24,32). Ces éléments, alliés à l’image de l’archange Michel luttant pour Moïse avec le diable, fournissent tous les éléments de départ aux représentations du jugement dernier qui foisonnent dans l’art chrétien.
° Les anges personnels : si Raphaël est attaché à la sauvegarde de toute la famille de Tobit, d’autres semblent accompagner des individus. On retrouve à Babylone l’idée d’un esprit protecteur pour chaque être humain, et le judaïsme a autant développé ce thème que le christianisme. Dans le nouveau testament, Jésus parle chez Matthieu (18,10) de se garder de mépriser les petits, enfants réels ou simples croyants, car « aux cieux leurs anges se tiennent sans cesse en présence de mon père qui est aux cieux ». Et quand Pierre est sorti de prison, en Actes 12, les croyants ne croient pas la servante qui lui a ouvert la porte de la maison de prière, en déclarant : « C’est son ange ». Est-ce à cette catégorie qu’appartiennent les anges qui gardent le croyant en tous ses chemins au Psaume 91,12, ou ceux qui se réjouissent quand un pécheur se convertit (Luc 15,10) ? Pas sûr, ni de quoi monter une théorie complète sur les anges gardiens qui volètent mystérieusement à nos côtés peut-être, mais un écho biblique à la notion universelle d’animal totémique, d’esprit personnel ou de génie tutélaire, dans un monde où le ciel n’était pas encore déserté par le surnaturel.
° Les artisans de la fin : les anges font de tout dans l’Apocalypse. On les retrouve chefs des sept Églises qui reçoivent les lettres de Jean, mais aussi trompettistes, moissonneurs et vendangeurs des nations, héros de la guerre des étoiles cosmique. Même si ce n’est pas de là que vient l’expression ange exterminateur – elle se trouve dans I Chroniques 21,12, à propos de la peste que Dieu envoie sur Israël – nous en avons hérité quelques images de cauchemar pas piquées des… sauterelles ! Ces monstrueux insectes ont un chef : Abbadon, dit l’ange de l’abîme. Un déchu ? En tout cas, un vrai nom de truand sanguinaire, portrait complet en Apocalypse 9,11 !
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Les mauvais
Impossible effectivement d’aborder les anges de la bible sans parler des déchus, des obscurs, des ennemis de Dieu. Alors prenons tout de suite Satan par les cornes.
Au départ, le Satan ou l’Adversaire, pour traduire l’hébreu, semble un membre de l’entourage de Dieu comme d’autres. En Job 1,6 le texte parle de fils de Dieu à leur propos, même si toute la tradition, nouveau testament en tête, y voit des anges. Paul ajoute que « Satan lui-même se camoufle en ange de lumière » à propos de la méfiance à avoir à l’égard des faux prophètes (II Corinthiens 11,14), et si Jésus peut voir « Satan tomber du ciel comme l’éclair » quand ses 72 disciples sont en mission (Luc 10,18), c’est bien que le diable fréquente les hauteurs !
On pourrait penser, au vu du prologue de Job, que la bible évite de parler d’ange à propos de Satan, comme elle le fait dans le mystérieux passage des fils de Dieu qui désirent les femmes des hommes en Genèse 6.
Mais ailleurs, Paul, encore lui, évoque « un ange de Satan chargé de me frapper » à propos de l’écharde dans sa chair destinée à lui enlever tout orgueil, pour laquelle Dieu lui-même semble avoir une responsabilité, toujours dans la deuxième lettre aux Corinthiens (12,7) !
Le dragon de l’Apocalypse, chapitre 12, dont Jean dit qu’on le « nomme diable et Satan, le séducteur du monde entier », est lui-même à la tête d’une armée d’anges des ténèbres. Si l’on ne sait pas très bien d’où viennent, selon la bible, tous ces anges au profil sombre, la tradition, tant juive que chrétienne, y a vu des anges déchus dès le début de la création. Jude parle d’anges à propos de ces fils de Dieu qui convoitaient les femmes des hommes.
Ezéchiel, dans la grande imprécation contre le prince de Tyr du chapitre 28, compare aussi le roi orgueilleux, destiné à devenir objet d’épouvante pour tous, au chérubin dont on découvre soudain la perversité, et jeté à terre. Décidément, les anges ne sont pas à l’abri de la chute ou de la dégradation ! Ne nous en plaignons pas, ça donne de si beaux films…
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Les intérimaires
Il peut arriver enfin que Dieu utilise des créatures inattendues pour une mission ponctuelle. Bien qu’ils n’aient pas droit au titre, ce sont pour moi de véritables anges à un moment donné. Mes deux situations préférées :
° Élie au désert : les corbeaux viennent le nourrir quand il doit se cacher après avoir annoncé la sécheresse à Achab. Pain et viande matin et soir. Régime peu varié, mais meilleur que quand la situation se gâte par manque d’eau. Alors l’ange temporaire devient une veuve de Sarepta, et il n’y a plus que de la fougasse avec l’eau (I Rois 17).
C’est quand ni les corbeaux ni les humains n’arrivent plus à éviter à Élie une déprime à tendance suicidaire qu’intervient un ange patenté : pain tout seul et eau (I Rois 19).
Beau sauvetage, qui voit se relayer trois aides de nature fort diverses mais pour le même but. Remarquez en passant que nous n’avons jamais tort quand nous disons à quelqu’un, en remerciement : « Tu es un ange ».
° Jonas à la mer : alors que la mer est calme dès Jonas au bouillon, et qu’une simple planche suffirait à sa survie, Dieu utilise le grand poisson pour faire plonger le prophète qui veut se taire, au plus profond de la mer et de lui-même, les trois jours nécessaires à un retour à la vie au sens plein. Un ange pour traverser la mort…
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A venir
Bien que le nouveau testament soit d’une discrétion exemplaire sur le sujet, il affirme au moins deux choses sur notre nature à venir de ressuscités. Paul utilise l’image de l’arbre à partir de la graine, et Jésus, dans Matthieu 22 (v. 30), répond aux Sadducéens que nous serons « comme des anges dans le ciel« . Outre le fait que la condition angélique concerne donc aussi notre avenir à nous humains, j’en tire pour finir deux conclusions qui m’enchantent :
° Nous sommes toutes et tous de la graine d’ange.
° A voir ce qui se passe pour les anges aujourd’hui, nous n’avons pas à craindre l’uniformité éternelle. Tout en espérant vivre le plus longtemps possible les merveilles de notre vie actuelle, je me réjouis de découvrir le divin mélange des genres à venir…