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Des petits déjeuners au temple

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Depuis l’automne 2008, la paroisse de la Servette, à Genève, propose cinq ou six fois par année des dimanches matin pas comme les autres. A la place du culte traditionnel, une matinée de rencontre, en trois temps, pour se nourrir et se faire du bien. Et ça « marche »!
Sans publicité, à chaque fois, ce sont de 80 à 120 personnes qui se se retrouvent dans la grande salle sous le temple de cette paroisse au cœur de la ville. D’abord pour un copieux petit-déjeuner communautaire, suivi par un débat sur une question de vie concrète (par ex. le travail, la souffrance et la mort, l’éducation des enfants), et, dans le temple, par un temps de méditation pour se retrouver soi-même, dans le silence et l’écoute d’un texte biblique faisant écho au thème abordé.
Un dimanche matin pour tous
Dans le bulletin de la paroisse, voici comment Philippe Rohr, diacre, et Emmanuel Rolland, pasteur, ont présenté ce projet dont l’objectif était de prendre réellement le temps de la rencontre.
Pourquoi ?

Pour de nombreuses personnes, le « culte » tel qu’il se pratique habituellement ne permet pas cette rencontre ! Pour toute une série de raisons : pas ou plus de lien avec les formes et le langage religieux ; craintes de rejoindre un « milieu » que l’on ne connaît pas; ou simplement peur de s’ennuyer dans une « activité » dont on se sent complètement étranger, et qui semble sans rapport avec la vie vraie telle qu’on la vit au quotidien… Alors pourquoi donc aller à l’église le dimanche matin ?
Si, dans les fondements de la foi chrétienne, le dimanche reste un temps « à part » et un symbole qui reste puissant (c’est le jour du Seigneur, mémoire de sa résurrection, nouveau commencement, nouveau premier jour de la semaine), aujourd’hui, en 2008,qu’en est-il ? Force est de constater que le dimanche serait plutôt le grand jour du week-end ! C’est-à-dire, dans nos rythmes contemporains de vie et de travail, cet espace où l’on peut enfin « souffler », s’extraire de la pression de la semaine, et se ressourcer, chacun à sa façon. Un jour nécessaire s’il en est ! Mais pas forcément ancré dans la vie spirituelle – ou pas de façon évidente, clairement lisible comme une pratique religieuse.


Pourquoi pas ?
Les formes bougent, évoluent (…ou se perdent !), mais la faim et la soif de vie demeurent. Et devant une telle réalité, il ne sert à rien de se plaindre, ni de juger. Plutôt proposer aussi, de temps en temps, une autre façon de se rencontrer. De se découvrir. Et de se retrouver, dans une vraie relation fraternelle.L’expérience d’une année a montré qu’une telle formule permettait vraiment d’atteindre ses objectifs. En donnant rendez-vous ces dimanche là aux différents groupes de tous âges présents dans la paroisse, les petits-déjeuners ont permis de rassembler des gens qui autrement ne se côtoient pas. Chacun, quel que soit son âge, sa situation dans la paroisse, s’est senti à l’aise, véritablement accueilli, sans stress, sans conditions particulières.

Un dimanche matin en trois temps
Les différents moments de la matinée forment un tout. Mais l’entrée, et la sortie, sont libres à tout moment. En d’autres termes, chacun participe à ce qui l’intéresse, selon ses envies et sa disponibilité.

1. Entre 8h30 et 9h45 : le petit-déjeuner

Un temps d’accueil et de détente, préparé par une première équipe, pour entrer dans la journée avec de belles et bonnes choses; bavarder avec ses voisins; lire la presse du jour, ou écouter un peu de musique – pendant que les plus petits commencent une matinée de jeux dans l’espace qui leur est proposé. Une attention particulière a été portée au confort et à la décoration du lieu. Exclu de recevoir les gens dans un espace froid et laid ! L’aménagement de la salle a donc été revu pour l’occasion, avec l’aide des catéchumènes, mobilisés pour la circonstance.

2. De 9h45 à 10h45 : débat et discussion

Le thème est présenté, puis lancé par un bref extrait de film. Ensuite, quelques invités, aussi divers que possible, viennent apporter leur regard et leur témoignage sur une question de vie concernant tout le monde de près ou de loin. Attention ! Le but n’est pas de convaincre ou de défendre des thèses, mais d’ouvrir l’horizon le plus largement possible, pour ensemble rechercher des pistes que chacun puisse ensuite méditer.
Par exemple, sur le thème du travail, c’est un clip de la chanson d’Henri Salvador, « Le travail c’est la santé », qui posait avec humour une première question. Ensuite, ont pris la parole un cadre supérieur dans une grande entreprise industrielle, une mère de famille qui n’a jamais exercé de profession salariée, mais n’a jamais cessé de travailler à la maison et comme femme politique, et un professeur d’éthique, chargé d’interroger les conceptions du travail souvent implicites dont nous héritons tant de notre tradition religieuse que du monde économique actuel. Et c’est bien le croisement de ces différents regards, et les questions et interventions des participants, qui permettaient à chacun, salarié, retraité, sans emploi, jeune ou vieux, de sentir que sa propre situation, sa propre expérience, n’étaient pas dénuées de valeur et de sens dans l’ensemble de la société.

3. 11h-11h30 : un temps de méditation

Après un quart d’heure de battement, les participants se retrouvent dans le temple, pour un temps de recueillement volontairement dépouillé, là aussi préparé par une équipe. Pas de message, mais une large place faite au silence, à la musique, à la lecture biblique. Ainsi, toujours sur le thème du travail, c’est l’image du corps que Paul développe en 1 Co 12 qui invitait chacun à ouvrir sa perspective, à prendre le temps de « relever la tête du guidon », pour se redécouvrir partie prenante et entière d’un tout dans lequel chacun a une place d’égale valeur.
Évaluation… et préparation

Après chaque petit-déjeuner, une équipe de pilotage prend le temps d’évaluer le déroulement de la matinée avant de construire la suivante. Là aussi, les ministres ont embauché des personnes souvent un peu à l’écart de la vie paroissiale habituelle. L’intérêt d’une telle formule, largement ouverte sur l’expérience de tout un chacun, est en effet de donner de la place à ceux et celles qui ne sont pas forcément à l’aise dans les activités traditionnelles. Le plus difficile, paradoxalement, est de trouver un bon équilibre pour le temps de méditation. Tout l’enjeu est de conserver l’énergie des personnes présentes, qui ont pu participer activement aux temps précédents, tout en vivant au temple un moment offrant des plages de silence, d’écoute, de paix. Il y a place ici pour la recherche et l’expérimentation. Rien n’est figé. Les petits-déjeuners de la Servette ont sans aucun doute un bel avenir devant eux.

(Crédit: Nicolas Künzler)