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- La Cène du Christ et l’art contemporain

ID 1280 115 

La Cène ne laisse pas indifférent. De nombreux artistes contemporains la représentent et lui donnent un sens original, entre invention et subversion. Martine Grenier, historienne d’art contemporain nous présente ici trois œuvres : La Cène de Bernard Buffet (1928-1999) ; Le dernier repas, de Simon Patterson (1967) ; Le dernier repas, par Andy Warhol (1928-1987).


La Cène de Bernard Buffet, entre le tribunal et la grâce 

La Cène de Bernard Buffet (1928-1999) appartient à un ensemble de tableaux retraçant des épisodes de la vie du Christ. Réalisées en 1961 pour décorer la chapelle de sa résidence de Château l’Arc, près d’Aix-en-Provence, ces œuvres furent données au musée du Vatican par le peintre en 1971.

Dans cette toile, l’institution de la Cène est délaissée au profit du jugement de Judas. Pendant longtemps la communion de Judas a été ressentie par l’ensemble des chrétiens comme l’effrayante image de la communion sacrilège. Pourtant, la présence autour de la table de Pierre le renieur, de Judas le traître et d’autres disciples plus ou moins dignes, est bien le signe de la Grâce de Dieu qui nous accueille tous.

La composition reprend la tradition occidentale médiévale de la représentation de la Cène qui s’appuie sur le texte de Jean 13. Les protagonistes sont assis derrière une table à tréteaux, Judas est seul en face d’eux. L’absence d’auréole le désigne. Traditionnellement, lorsque les apôtres et Jésus sont nimbés, soit Judas n’a pas d’auréole soit elle est noire. Le fond jaune sur lequel se déploient avec rigueur les lignes étirées, l’angulation et le squelette des formes géométriques, évoque l’or des icônes de l’art byzantin. Sa spiritualité fait de l’image une fenêtre ouverte sur l’invisible.

 

ID 1280 Buffet

Entre les bons apôtres autour du Christ et Judas le traître, se trouve la table recouverte d’une nappe blanche dont les plis forment des barreaux et renforcent l’idée de partage de l’espace entre bons et méchants. Le climat de l’œuvre aux couleurs sombres est sinistre, toute humanité en semble absente. Les visages des apôtres sont de vraies têtes de morts, les corps sont traités comme les carafes, ils sont réduits à une forme pyramidale : cet ensemble d’éléments donne à la Cène l’aspect d’un tribunal inhumain obéissant seulement à la loi. C’est devant ce tribunal que comparaît Judas : celui du jugement dernier. Rien ici ne témoigne d’une grâce possible ! Où est l’amour de Dieu ?

Mais dans un second temps, la chaleur du fond et le jeu des regards corrigent cette impression. Attentifs, tous les yeux et les visages convergent vers Jésus. Il est au centre de la composition. Dans la prière, ses yeux sont-ils baissés vers la table, où se trouvent le pain et le vin, ou dirigés vers Judas ? Exclu du groupe, ce dernier oriente son regard lourd de pensées vers nous. À sa droite, la signature du peintre et la date répondent en symétrie au nom de l’apôtre inscrit en haut à droite de la toile. Peut-être une façon de dire « nous sommes tous des Judas ».

Évangile & liberté _ Numéro 208 - Avril 2007 - cliquez ici

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Le dernier repas, de Simon Patterson

Avec ce dessin mural, l’artiste conceptuel anglais, Simon Patterson, perturbe tous les codes du thème, mais qu’en est-il de son propos ? S’agit-il uniquement d’un résidu de culture chrétienne qui teinterait encore l’art, ou d’une représentation contemporaine du tragique de la condition humaine ?

Bien en phase avec la culture populaire, ses mythes sportifs et ses dieux du stade, la métaphore fait de Jésus, le goal, le dernier recours, des apôtres, les joueurs, les porteurs de la balle, la Parole, et des participants au repas fraternel, une équipe de foot soudée. Lors des grandes rencontres, au-delà d’elle-même, l’équipe devient la chair et le sang, le corps même de la nation qu’elle représente, sentiment à l’origine de la violence qui transforme souvent cette grand-messe du sport en véritables jeux du cirque. De la même façon, lors de la Cène, les chrétiens unis en Christ par l’Esprit sont membres d’un seul corps.

ID 1280 Patterson

The last supper arranged according to the Sweeper Formation (Jesus-Christ in goal),
dessin mural, dimensions variables, 1990

Comme pour l’amateur, la tactique choisie est primordiale, S. Patterson a donné plusieurs versions de ce mural. Pour chacune, les noms des joueurs sont organisés selon une stratégie précise du jeu, Jésus-Christ étant toujours le gardien de but. Avec la Sweeper Formation, l’accent porte sur l’offensive. L’arrière-offensif, ou libéro, peut relancer le jeu et participer aux attaques ; ici, c’est Pierre, celui qui, à la fois, maintient la tradition et devient missionnaire en terre païenne.
Sport d’équipe, le football impose à ses joueurs des règles fortes et une éthique. Le temps du match, le combat est acharné et dur mais il obéit à des règles strictes. En revanche, à la fin du match, une paix nouvelle s’instaure. Elle est jalonnée de rites de reconnaissance mutuelle. Ainsi, les uns et les autres se saluent, se congratulent et échangent leurs maillots.

Au final n’est-ce pas une véritable parabole que S. Patterson nous livre ? La tactique renvoie à l’expérience acquise aux cours des années par l’équipe, elle fait mémoire, elle est un choix de jeu pour le présent qui augure d’un avenir en suspens auquel on croit.

Évangile & liberté _ numéro 212 - octobre 2007 - cliquez ici

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Le dernier repas, par Andy Warhol

Andy Warhol, le chef de file du Pop Art, utilise des images témoins de la consommation de masse qu’il reproduit jusqu’à saturation. C’est parce que La Cène de Léonard de Vinci (1495-1498) participe de notre culture et de notre mémoire collective que l’artiste, de confession catholique, s’y est intéressé au point de réaliser une centaine d’œuvres sur ce thème. Reproduite partout et sur n’importe quel support, devenue une icône de notre société, l’œuvre de Vinci a changé de statut, elle a perdu son caractère religieux. Warhol s’en est saisi comme d’un bien culturel quelconque au même titre que la boîte de soupe Campbell.

C’est sous l’impulsion de son marchand new-yorkais, Alexandre Iolas, que Warhol a entrepris cette série qui fut présentée en janvier 1987 dans une galerie milanaise située en face du couvent dominicain de Santa Maria Delle Grazie où se trouve la fresque originale. Une confrontation, original / reproduction, pouvait ainsi avoir lieu en direct.

ID 1280 Warhol

Last supper, 1986, par Andy Warhol (1928-1987). 2 m x 10,1 m, Collection particulière

Une grande partie des œuvres de cette série a été réalisée en sérigraphie. Warhol a travaillé d’après une reproduction noir et blanc, une copie XVIIIe de l’œuvre de Vinci. Doublement éloigné de l’œuvre originale, son travail lui permet de dénoncer à la fois la simplicité et la pauvreté des reproductions des œuvres artistiques ainsi que leur tendance à la dégénérescence kitsch. Grâce à cette technique, le motif originel peut être coupé, juxtaposé à l’endroit ou à l’envers, ou inversé. Par la répétition, Warhol pousse l’image originelle, reconnaissable, aux confins de l’abstraction. Cet effet est renchéri par l’emploi de la couleur indépendamment des formes. Le rouge qui envahit la toile est-il signe de vie, évocation de la transsubstantiation ou provocation ? La pratique religieuse de Warhol qui refusait de recevoir la communion et de se confesser irait plutôt dans ce dernier sens.

En mettant en scène une situation limite, la dénonciation de la perte du sens religieux de la Cène au profit d’une culture de consommation, cette œuvre prend valeur de véritable cri prophétique. Attention à notre relation à l’Église, station-service, et à notre relation à Dieu !

Évangile & liberté - Numéro 214 - Décembre 2007 cliquez ici

Il ne nous est pas possible d'utiliser ici des reproductions de tableaux grands formats ! Pour travailler avec vos catéchumènes, vous les trouverez sur Internet.

 

 

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- Le mythe de l’austérité protestante !

ID 1281 115 

Olivier Bauer, Pasteur réformé et docteur en théologie, ancien chargé de cours à l’université de Lausanne, a été en charge de l'Église protestante francophone de Washington, DC, après avoir été aumônier scolaire pendant six ans à Tahiti. Il est l'auteur du Protestantisme à table ou les plaisirs de la foi (Labor et Fidès, Genève, 2000).   Il nous dit : Martin Luther a inventé le repas d'affaires et Jean Calvin prône le jeûne « à titre exceptionnel ». Pourtant le protestantisme a l'image, trop simpliste, d'un christianisme austère.


J'appartiens à une famille réformée très multiculturelle, qui cultive les souvenirs liés à la table. Au gré des mariages des uns et des autres, nous goûtons - et cuisinons !- les mets de conjoints originaires de Chine, du Chili, de Madagascar ou du Sri Lanka, au foie gras d'un cousin hongrois. À la maison, nous passons actuellement par une période « canard à la pékinoise » : un délicieux canard laqué.

Des souvenirs de table, j'en ai aussi en paroisse. À Tahiti, j'ai goûté à la cuisine « protestante » locale : différente, originale et toujours généreuse. Il faut dire qu'au Sud, protestantisme ne rime pas avec austérité, bien au contraire! En Suisse, j'ai organisé plusieurs dégustations interreligieuses de nourritures chrétienne, juive, musulmane et bouddhiste ! A Washington, nous avons préparé avec des paroissiennes des « nourritures célestes», un vrai repas biblique autour des cailles et de la manne. Au menu, cailles farcies aux lentilles et, pour évoquer la manne, gelée de lait d'amandes. Les amateurs en trouveront les recettes Jans le superbe ouvrage de Ruth Keenan intitulé la Cuisine de la Bible(1). »

Certes, la préparation de ces repas de fêtes est souvent longue, et l'élaboration des plats, minutieuse. Est-ce un péché comme le prétendent certains chrétiens ? Ne faudrait-il donc avaler les aliments que dans l'état où Dieu les donne ? Mais alors, que manger, sinon des fruits et quelques carottes ? J'ose prétendre que le fait de cuisiner tient de la collaboration entre Dieu qui donne et les humains qui apprêtent ce don pour en faire quelque chose de mangeable, de bon si possible ou, mieux encore, de délicieux. »

 Je suis gourmand. Je ne crois pas un seul instant qu'il s'agisse d'un péché, même pour le calviniste que je suis. Depuis que j'ai lu dans les évangiles que Jésus était traité d'ivrogne et de glouton (2), mes derniers remords métaphysiques ont été balayés. Restent quelques remords physiologiques : comme chacun le sait, les bonnes choses font souvent prendre du poids, ce qui n'est pas bien vu dans notre société qui culpabilise les bons mangeurs. J'ai aussi des remords éthiques, non pas parce que je mange de bonnes choses, mais parce que je ne peux pas les partager avec tous les habitants de la terre.

Parlons théologie. En lisant la Bible, force est de constater la part importante qui y est faite aux repas. Depuis les premières lignes de la Genèse, jusqu'aux dernières lignes du Nouveau Testament. Remarquez que le Seigneur préfère le sacrifice des agneaux de Caïn aux produits de la terre d'Abel.

Voyez Noé qui, sortant de son arche, commence par planter la vigne puis s'offre une bonne cuite. Dans le désert, Dieu donne à Israël non seulement la manne, qui est l'aliment de base, mais aussi les cailles pour la gourmandise. Le pays de Canaan est celui où coulent le lait et le miel. Sans oublier Jésus qui multiplie les pains et les poissons, qui transforme l'eau en vin à Cana. Un très bon vin, d'ailleurs. Et le royaume de Dieu n'est-il pas semblable à un repas de mariage? Toutes ces nourritures, ce souci de la qualité des aliments offrent une justification biblique à ma gourmandise, et me laissent penser que je suis en bonne compagnie.

ID 1281 345

Le Festin de Babette, ou comment la bonne chère et le bon vin transfigurent
un petit groupe de protestants perdu au fin fond de la Norvège.

Allons même plus loin. Même si je reconnais que le christianisme, toutes confessions confondues, est imprégné de l'idée que la vie sur terre ne doit pas être trop agréable, et qu'on payera dans l'au-delà les plaisirs que l'on prend ici-bas souffrance rédemptrice dans une vie qui n'est que vallée de larmes - , malgré tout, c'est parce que je suis protestant que je peux m'affirmer gourmand. Car la Réforme a remplacé les sept péchés capitaux - parmi lesquels le péché de gourmandise- par les Dix Commandements qui n'interdisent pas de bien manger.

Revenons à table. Luther, comme chacun le sait, était plutôt goinfre ; en bon Allemand, il était aussi amateur de bière. Le père de la Réforme, qui avait rejeté le jeûne obligatoire et institutionnalisé, tenait table ouverte. Il avait en quelque sorte inventé les déjeuners d'affaires, Et ses disciples ont pieusement relevé et publié ses Propos de table(3), en les augmentant d'aphorismes de leur cru. Calvin, lui, était plus maigre, plus austère. Dans son Institution de la religion chrétienne(4), il consacre huit paragraphes au jeûne qu'il recommande, à titre exceptionnel, parmi d'autres exercices d'humilité et de repentance.
J'aime à penser que c'est le refus du carême, du « manger maigre » catholique, qui explique la tempérance des protestants, injustement confondue avec l'austérité. Les catholiques alternent jeûnes et ripailles. Les protestants ont une relation moins chaotique avec la nourriture, une relation dominée par l'idée de mesure, de raison. C'est pour cela qu'ils ont toujours été actifs dans les mouvements dits « hygiénistes », qu'ils ont défendu l'idée d'une nourriture saine. Par exemple, c'est un médecin adventiste, John H. Kellogg, qui fut l'inventeur des céréales du petit-déjeuner ! Mais mangent-ils moins bon que d'autres croyants ? En Europe peut-être, où leurs terres d'élection sont moins pourvoyeuses de bonnes choses que les pourtours de la Méditerranée. Dans le reste du monde, y compris aux États-Unis, cette idée est tout simplement incongrue.

Encore une remarque : n'oublions pas qu'au centre de la célébration chrétienne il y a un repas avec du pain et du vin. Les catholiques sélectionnent leurs vins de messe. Les protestants, eux, peuvent se montrer très inventifs quand il s'agit de choisir du pain. Nous introduisons la Sainte Cène en disant : « Venez goûter comme le Seigneur est bon. » Un mot chargé de sens.

(1) La Cuisine de la Bible. Menus inspirés de l'Ancien Testament (Éditions de La Martinière, 2000).  
(2} Luc 7, 34.  
(3)Martin Luther : Propos de table (Aubier, 200 1).
(4) Jean Calvin : Institution de la religion chrétienne (Vrin, 1961-2000).

Propos recueillis par Djénane Kareh Tager - Article publié dans Le monde des religions - Septembre octobre 2004

Une autre information convaincante, le Bulletin de l' Église Protestante de Bruxelles - Musée • Chapelle Royale "LE LIEN" n° 406 cliquez ici

 

 

 

 

 

 

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- Nourriture et repas dans le premier évangile – Partie I

ID 1276 115 

Manger et boire : deux actes fondamentaux de l'existence humaine au travers desquels se jouent la vie et la mort de l'individu, non seulement sur un plan physique mais également sur un plan psychologique. L'être humain traduit quelque chose de sa compréhension de lui-même et du monde dans le rapport qu'il entretient à la nourriture (ainsi le boulimique ou l'anorexique)....


Dans sa façon de sélectionner la nourriture (ce qui se mange et ne se mange pas) de la préparer (crue, cuite, apprêtée de telle ou telle manière), de la manger (les rituels qui, dans toutes les sociétés humaines, entourent la prise de nourriture) et de la partager avec d'autres (la commensalité), se joue, non seulement un point de jonction essentiel entre nature et culture, mais également un rapport à soi-même et à l'autre incluant l'existence physique, psychologique, sociale ou religieuse de l'individu. Sans oublier, dans le domaine religieux, les relations complexes unissant nourriture, sang, violence et sacrifice .

L'Évangile de Matthieu est constamment traversé, du début à la fin, d'allusions à la nourriture et aux repas. Sans prétendre à l'exhaustivité, nous avons recensé près de trente passages (du simple logion à la péricope entière ) qui parlent de prise de nourriture ou de repas. Une enquête rapide à travers l'ensemble de ces occurrences permet d'identifier cinq entrées possibles  qui permettent de rendre compte de la richesse de ce thème de la nourriture et du repas dans l'Évangile de Matthieu.

a)    Les récits mentionnant la « faim» de Jésus et de ses disciples (Mt 4,1-11 ; 12, 1-8 ; 21,18-22).
b)    Les paroles sur la nourriture et le jeûne dans le Sermon sur la Montagne (Mt 5,6; 6,11 ; 6,16-18 ; 6,25-34; 7, 7-11).
c)    Les récits mentionnant des « repas» de Jésus (Mt 9, 9-19 ; 26, 613 ; 26, 17-29).
d)    La « section des pains» (14, 13-16, 12) et ses multiples allusions à la nourriture et aux repas (Mt 14, 15-21 ; 15, 1-20; 15,21-28 ; 15,3239; 16,5-12).
e)    Le thème de la faim, du manger et du boire, de l'excès de table et du repas de noce dans les paraboles de Jésus, en particulier dans le discours eschatologique (Mt 22, 1-14 ; 24, 37-41 ; 24, 45-51 ; 25, 1-13 ; 25,31-46).

Le cadre de cette contribution ne permet pas de parcourir l'ensemble du matériau relatif à un thème aussi riche. Nous avons donc choisi de privilégier les deux entrées où les thèmes de la faim et du repas apparaissent dans des récits mettant en scène Jésus et/ou ses disciples (à savoir les points a. et c.).

PARTIE 1.    LA « FAIM » DE JÉSUS ET DE SES DISCIPLES (Mt 4, 1-11 ; 12, 1-8 ; 21, 18-22)

À trois reprises, le narrateur utilise le verbe peinaô (avoir faim) pour indiquer la faim de Jésus et de ses disciples : 4, 2, epeinasen ; 12, 1, epeinasan ; 21,18, epeinasen (cf. également 25,35.37.42.44 : epeinasa ei peivônta deux fois, passages sur lesquels nous reviendrons à la fin de cette première partie). Ces trois mentions renvoient à trois épisodes dont l'analyse constitue l'objet du présent chapitre.

1.1.    La « faim » de Jésus comme discours d'incarnation (Mt 4, 1-11)

Faisant suite au récit du baptême, le récit de la tentation permet de vérifier ou d'éprouver la qualité de « fils » attribuée à Jésus depuis la révélation du baptême (Mt 3, 13-17) : comment celui que la voix du ciel a proclamé « Fils bien-aimé» (3, 17) est-il « Fils de Dieu » ? (4, 3.6). Cinq remarques en lien avec notre thème sur ce récit.

(1) La première tentation est relative à la nourriture. La faim est la première expérience du manque et le jeûne que vit Jésus en constitue une traversée. En se soumettant à la privation de nourriture, le Jésus de Matthieu subit rien moins que l'épreuve de l'incarnation.

(2) Le tentateur propose à Jésus de résorber l'expérience du manque, constitutive de l'humanité, par l'expérience de la toute-puissance qui est négation de la réalité commune (dans le monde des hommes une pierre ne se transforme jamais en pain). Sous forme d'un défi, il propose la disparition du manque en convoquant la puissance divine supposée demeurer dans la personne de Jésus. En somme, le tentateur déclare qu'est « Fils de Dieu » celui qui échappe à la condition humaine : ne plus connaître ni la faim (v. 3) ni la mort (v. 6) et recevoir le pouvoir (v. 9).

(3) À la tentation qui propose de ne plus connaître l'épreuve de la faim qu'expérimente tout homme, Jésus oppose son refus, fissurant ainsi la figure du Dieu définie par le tentateur. Jésus n'est « Fils de Dieu» qu'en renonçant à être « dieu » au sens où le terme définit le contraire de ce qu'est l'homme. Il n'est « Fils de Dieu » qu'en refusant en tout premier lieu le prodige permettant d'apaiser artificiellement la faim. Jésus refuse en somme le déni de la réalité.

(4) Outre ce refus de la toute-puissance, Jésus déplace la problématique de la faim du plan physiologique au plan métaphorique : non seulement, il ne succombe pas à la tentation du prodige qui n'est ni plus ni moins que la négation de la réalité, mais en outre il ne se laisse pas capturer par la fascination du simple assouvissement de la faim physique. Celle-ci est métaphore de la faim véritable. Se nourrir en vérité c'est écouter la parole de Dieu.

(5) L'épisode se termine par la mention « des anges vinrent auprès de Jésus et le servaient» (v. 11). On doit comprendre ici qu'ils viennent lui apporter de la nourriture (cf. Mt 8,15 ; 25,44 ; et 1 R 19,8 -où l'ange nourrit Élie pour lui permettre de marcher 40 jours et 40 nuits vers le Mont Horeb). On peut aussi entendre que Jésus est nourri dans le désert comme le peuple autrefois recevait la manne. Au « Fils » qui refuse de transformer les pierres en pain, Dieu accorde la nourriture nécessaire. Le Fils ne « force » pas le Père, il fait confiance en sa parole et reçoit de surcroît la nourriture du corps (cf. 6,33). Il n'y a donc pas négation du besoin physique.

Le récit de la tentation trace ainsi quatre directions : (1) le refus de la toute-puissance laquelle est déni de la réalité ; (2) l'ouverture sur une écoute métaphorique des signifiants : la « nourriture» véritable c'est l'écoute de la parole de Dieu ; (3) cette ouverture au symbolique n'est pas négation du besoin physique ; (4) est nourri celui qui, ne succombant pas à la tentation du refus de la limite, se sait dépendant de l'Autre.

1.2. La « faim » des disciples au risque de l'interprétation de Jésus (12, 1-8)

Le récit de la tentation a dénoncé un premier risque de déshumanisation (risque si on se réfère à Gn 3,5) : le désir de puissance et le refus des limites comme dénis de la réalité. Le « Fils de Dieu» y résiste en empruntant la voie de l'incarnation supposant acceptation du manque et confiance en une altérité secourable. Le récit des épis arrachés le jour du sabbat (Mt 12,1-8) met en scène une seconde tentation de déshumanisation de l'humain : le rapport dévoyé à la Loi entravant chez l'homme ce qui est du côté de la vie pour le lier à une règle asservissante et mortifère. Cinq remarques à l'appui de cette lecture.

(1) Dans Mt, la péricope se trouve directement reliée au logion de 11,28-30. Mt 12,1-8 se présente ainsi comme l'illustration directe de l'affirmation selon laquelle le «joug » - métaphore souvent utilisée dans la tradition juive pour désigner la Loi - de Jésus est « facile à porter et [s]on fardeau léger  » (11,30). En 12, 1-8 sont donc opposés le «joug» des pharisiens et le «joug » de Jésus. Autrement dit, ce n'est plus à la Loi de Moïse telle que les pharisiens en sont les dépositaires qu'il faut obéir (dont il faut se charger) mais à la Loi (i.e., au « joug ») de Jésus (cf. Mt 5,21-48 : « Vous avez entendu qu'il a été dit [...]. Mais moi je vous dis [... ] »). On est ici au cœur du changement radical de paradigme que propose Matthieu : ce n'est plus la Torah mais le Messie qui est au centre de la piété.

(2) Les disciples sont caractérisés par trois déterminations : ils ont faim; ils arrachent des épis ; ils mangent. Ils ne sont donc pas confrontés à la tentation de nier leurs limites en demandant par exemple à Jésus de les nourrir miraculeusement (cf. à l'inverse Mt 14,28-33 où Pierre demande à Jésus de marcher sur les eaux). Ils font simplement ce que chacun fait au quotidien : ils assument pleinement leur humanité. Ils sont dans le « besoin» de nourriture et ils l'assouvissent en humains, c'est-à-dire par un « travail » qui consiste à arracher les épis avant de les manger.

(3) Les disciples sont accusés de transgresser la règle du sabbat. Premièrement et principalement, du point de vue des pharisiens tels qu'ils sont mis en scène par Matthieu ; ils ne se soumettent pas à une obéissance stricte, légaliste, aurait-on envie de dire. Mais les disciples semblent aussi transgresser le sens premier du sabbat, son sens fondamental pourrait-on dire. Originellement, le sabbat est en effet compris comme un temps de rupture avec l'activité quotidienne, avec le besoin quotidien de nourriture, de travail, d'activité. II fait intervenir de l'écart, de la différence, de la distance par rapport au quotidien. En d'autres termes, le sabbat fait passer du besoin (par exemple de nourriture) au désir (de se « nourrir » de la parole de Dieu). Les disciples semblent s'en tenir à l'assouvissement de leur besoin primaire. Un besoin certes important mais non vital, en ce sens que s'ils avaient attendu la fin du sabbat pour manger, ils ne seraient pas morts!

(4) Pourtant Jésus justifie ses disciples. D'abord de la transgression de la lettre du sabbat telle que les pharisiens la défendent. Ici, le lien avec ce qui précède (le« joug» léger) indique bien que ce qui est enjeu c'est un rapport perverti à la loi du sabbat. Elle ne se soucie pas de l'humain mais de l'application stricte d'une règle. Elle ne se soucie pas du sens à donner au sabbat comme temps de mise à distance de l'activité quotidienne, possibilité de métaphoriser son agir, de penser différemment le rapport au monde, aux choses et aux autres. Le seul souci est l'application de la règle. Or ici, Jésus est clair ; sa parole fait autorité pour refonder un rapport à la Loi qui libère de son caractère mortifère.

(5) Mais de façon plus fondamentale, notre hypothèse est que la parole de Jésus lève l'accusation selon laquelle les disciples transgressent l'esprit même du commandement du sabbat. Pour affirmer cela nous nous appuyons sur le constat de l'étendue de l'argumentation par laquelle le Jésus matthéen justifie l'attitude de ses disciples (6 versets sur les 8 que contient la péricope). Cette longue argumentation a pour effet de donner à l'attitude des disciples une épaisseur qu'elle ne possède pas dans la narration lapidaire du v. 1 (« Ses disciples qui avaient faim, se mirent à arracher des épis et à manger »). Il aurait pourtant suffi que Jésus affirme qu'il ne faut pas appliquer la Loi de façon casuiste et légaliste, qu'il en appelle au souci de l'autre constitutif de la Loi mosaïque . Au lieu de cela, le Jésus matthéen répond par un long détour, pas moins de quatre arguments dont l'essentiel peut se résumer ainsi :

a)     v. 3-4 : en faisant ce qu'ils font les disciples remémorent rien moins qu'une situation où David a sauvé la vie de ses compagnons en danger de mort (l S 21,3-7) ; ils accomplissent un geste assimilé à un geste de salut ;

b)     v. 5-6 : ils sont, dans le même mouvement, «prêtres» de Jésus, plus grand que le Temple ;

c)     v. 7 : ils accomplissement également la parole prophétique d'Osée dont ils reçoivent une interprétation autorisée  ;

d)     v. 8 : ils sont sous l'autorité souveraine du Fils de l'homme.

Le moins qu'on puisse dire est que tout cela n'était pas exprimé dans la narration de leur action initiale ! Autrement dit, cette longue argumentation a pour effet de donner de la profondeur à l'agir des disciples et, avec la profondeur, une interprétation théologique qu'elle reçoit de la seule parole de Jésus. Les paroles de Jésus donnent du sens au geste des disciples tout comme les paroles de Jésus donneront du sens à l'attitude de la femme de Béthanie (Mt 26,4-13). Les paroles de Jésus font faire au geste des disciples un détour qui est le détour de l'interprétation. Elles construisent un écart entre leur attitude et le sens qui lui est donnée. Ainsi, les paroles de Jésus fonctionnent comme le sabbat: elles créent un écart entre le « besoin» des disciples (leur faim) et l'interprétation que Jésus en donne ; une interprétation qui renvoie à la christologie et au lien qui unit les disciples à Jésus.
Concluons. Pas plus qu'apaiser la faim ne suppose d'en appeler à une toute-puissance divine qui est déni de la réalité, la Loi n'exige qu'on entrave ce qui en l'homme relève de son humanité au nom d'une obéissance aveugle, oubliant que le commandement a été fait pour le bonheur de l'homme. L'autorité du « Fils » qui a assumé pleinement l'humanité et ses limites libère les disciples des règles mortifères qui entravent leur vie d'hommes. En même temps, la parole du Fils de l'homme donne du sens à l'agir des disciples, interprétant leur geste non comme simple « besoin» de nourriture mais comme rien moins qu'accomplissement des prophéties. En arrachant des épis un jour de sabbat, parce qu'ils avaient faim, les disciples - du point de vue du récit évangélique - se sont tout simplement mis sous l'autorité du Fils de l'homme et de sa parole. Est-il exagéré de dire qu'en transgressant la lettre du sabbat les disciples en accomplissent l'esprit si l'on se souvient que Jésus est celui qui donne le « repos» (v. 28 : anapauô, verbe - substantif anapausis -, souvent utilisé dans la LXX pour indiquer le repos du sabbat, cf. Ex 23,12) ? Quoi qu'il en soit, ce surplus de sens donné au geste des disciples est donné par la parole de l'interprète autorisé de la Loi qu'est Jésus.

1.3.    Faim de Jésus et malédiction du figuier (Mt 21, 18-22)

Jésus passe devant un figuier. Il a faim. Il ne trouve rien. Il ordonne et le figuier sèche. Ses disciples ébahis l'interrogent sur ce prodige. Il répond que foi et prière peuvent les rendre capables de prodiges plus grands encore. Deux questions se posent alors : Jésus aurait-il finalement cédé à la tentation de la toute-puissance ou, à tout le moins, la frustration créerait-elle chez lui une violence vengeresse ? Les disciples seraient-ils invités, en fin de compte à entrer dans la logique de la demande de puissance ? Trois remarques sur cet épisode.

(1) Notons d'abord que Jésus ne fait pas venir des figues sur un arbre qui n'en possède pas. Il n'y a donc pas déni de la réalité (il ne fait pas pousser « miraculeusement» des figues) mais, au contraire, prise en compte de celle-ci comme pour constater qu'il ne peut pas en aller autrement. La parole de Jésus entérine un état de fait : elle révèle la mort du figuier en la rendant visible. On reconnaît l'arbre à ses fruits dit ailleurs en substance le Jésus matthéen (cf. Mt 7,15-20). Pourquoi donc s'obstinerait-on ici à attendre de cet arbre ce qu'il ne peut pas donner. Là résiderait le déni de la réalité !

(2) Ensuite, l'encadrement de l'épisode invite le lecteur à entendre le figuier comme une métaphore du Temple. Certes Matthieu ne reprend pas la construction marcienne « en sandwich » (cf. Mc 11,12-14 et 20-25). Dans Matthieu, l'épisode des vendeurs chassés du Temple (Mt 21,12-17) et celui de la controverse sur l'autorité (Mt 21,23-27) encadrent notre récit (Mt 21,18-22). Pourtant, le sens n'en est pas moins évident que dans Marc : les figues que Jésus n'a pas trouvées, ce sont bien ces fruits qu'il était en droit d'attendre de l'institution religieuse du Temple. Il n'a donc pas été nourri par elle.

(3) Enfin, les disciples sont invités à avoir la foi qui permet de recevoir tout ce qu'on demande. Mais que demander ? L'assouvissement du fantasme de toute-puissance (cf. Mt 21, 22, « tout ce que vous demanderez ») ou l'ouverture à la volonté de Dieu ? Le récit global offre une réponse à mon sens assez claire. Pour ne nous en tenir qu'à trois passages en lien direct avec notre thème, en amont, c'est le « donne-nous notre pain quotidien » (Mt 6, 11) du « Notre Père» et l'invitation à vivre dans la confiance en cherchant prioritairement le Royaume de Dieu (cf. Mt 6,25-34) ; en aval c'est le « s'Il est possible que cette coupe s'éloigne, toutefois non pas ce que je veux mais ce que tu veux» (Mt 26,42) de Jésus. Bref, l'enjeu est le suivant : à lire l'épisode coupé de son contexte narratif large et étroit, on a un réinvestissement d'une figure puissante du Messie et une invitation faite aux disciples à se situer dans sa lignée ; le thaumaturge tout-puissant qu'est Jésus peut combler la frustration de ses disciples en les faisant participer à sa puissance. À replacer l'épisode dans son cadre narratif, on poursuit les axes précédemment entrevus : refus de la toute-puissance ; confiance dans une extériorité bienveillante ; métaphorisation. Quant à la prière elle n'est pas satisfaction des pulsions et frustrations infantiles mais ouverture au désir de l'Autre.

1.4.    Ouverture : se laisser nourrir par les autres

Indiquons seulement deux références qui abordent la question de la faim et de la nourriture en dehors des textes que nous venons d'analyser. Ces deux références confirment les perspectives entrevues (à savoir les axes que sont refus de la toute-puissance, confiance en un autre, métaphorisation des signifiants sans pour autant nier le « besoin » physique). En Mt 25,31-46, après les trois récits que nous venons de lire, c'est le « Fils de l'homme » glorieux qui s'identifie à l'un de ces « petits » affamés qui ne doivent leur survie qu'à ceux qui les nourrissent. Une image anticipée par les recommandations de Jésus aux disciples dans le discours missionnaire : invités à partir sans rien prendre en route car l'ouvrier « mérite sa nourriture » (10,10), ils se retrouvent liés à ceux qui voudront bien leur donner un « verre d'eau » en leur qualité de « petits» et de « disciples» (cf. Mt 10, 42). 

Élian CUVILLIER

Directeur des études des cycles Licence et Master - Nouveau Testament IPT - Montpellier

Article paru dans la revue ÉTUDES THÉOLOGIQUES ET RELIGIEUSES 82e année - 2007/2 - P. 193 à 206

Publié ici avec autorisation

 

 

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- Regarder une œuvre d’art

  Il nous arrive plus d’une fois d’utiliser un support visuel pour une séance de catéchisme, une animation d’enfants, une célébration. Voici quelques clés de lecture pour entrer dans un tableau. Elles ne sont pas exhaustives, mais permettent d’avancer, de se promener, d’être attentif tant à l’ensemble qu’au détail, et pourquoi pas, oser un pas plus loin : interpréter et utiliser l’image comme un parcours pédagogique.

Préambule : Nous parlerons ici d’image, de tableau, peinture, gravure ou dessin .L’architecture, la sculpture ne sont pas prises en compte mais certaines clefs fonctionnent aussi pour ces autres représentations plastiques.

Regarder un tableau nécessite une entrée. Mais celles-ci sont plurielles et très diverses.

  • La porte de l’histoire de l’art :

Une entrée possible est celle de la culture. Il est évident que des notions d’histoire de l’art, des connaissances  iconographiques, celles des mythologies et de l’Histoire biblique sont primordiales. L’auteur de l’œuvre, son époque, sa situation culturelle, historique et géographique ainsi que l’histoire du tableau, la commande par exemple, et son  titre  apportent maints éclairages sur l’œuvre. Mais cette porte d’accès n’est ni la plus simple, ni la plus immédiate.

L’œuvre peut aussi être abordée avec bien plus de spontanéité et avec une certaine humilité qui ouvre juste regard et cœur.
Osons une autre promenade, d’abord humble et dépouillée d’un bon nombre de connaissances
Choisir cette porte d’accès, c’est se mettre en relation directe avec l’image. Il faut alors apprendre à regarder un tableau et oser une promenade faite de recul et d’observation précise, faite de lumière et de couleur, d’ambiance et de regards, de jeux et de symbole, du caché et du révélé.
Dans une telle promenade il ya plusieurs  chemins pour une lecture singulière. D’abord :
=> Il faut admettre que cette lecture d’œuvre est avant tout  personnelle. En effet, une image agit sur la sensibilité de l’individu qui la contemple et cette même sensibilité donne par ailleurs ses clés d’interprétations.
Mais il nous faut là décider du chemin. Alors nous allons procéder par étapes.

- Première étape : regarder l’ouvre dans son ensemble. S’éloigner pour mieux contempler.
Soyons attentifs ! Avançons un peu comme sur la scène d’un crime !
Qu’est ce qu’on voit ? Il nous faut repérer : les personnages, les vêtements, les groupes, le décor,  les plans, la lumière, les couleurs, les lignes, les architectures, les objets.
Qu’est ce qui se joue ?
Quels regards ? Lignes des corps, combien de groupes, quel rapport entre un objet et un autre, quel rapport entre un personnage et un autre, un groupe et un autre, quel geste, quel mouvement, quelle partie du corps tendue, visible, élevée, abaissée, le bout d’une main tendue…
Quelle atmosphère ? Obscurité ou jour ou les deux, paysage ou intérieur ou les deux, espaces de communication (portes, fenêtres…) oppositions de regards, de gestes, quelque chose d’inattendue, couleurs opposées…

- Deuxième étape : prendre le temps d’observer les détails.
 Pour ce faire, reprendre les grands thèmes de lecture d’un tableau utilisé à la première observation : personnages, décor, lumière, couleurs
Les personnages : gestes, regard, ce qu’ils tiennent en main, où sont posé leur pieds, leurs regard, comment sont ils habillés, observer leurs mains, leurs situations dans l’espace et les uns par rapport aux autres. Quel détail est surprenant ?
Le décor : quelle ambiance ? végétaux, rochers  ou intérieur d’une pièce.
Quels en sont les détails ? tels des fleurs, des ornements, des éléments de nature morte (vaisselle, instruments, livres…) des vêtements particuliers, 
La lumière : Forte, faible ? Obscurité, ténèbres ? Détail d’un rayon de lumière ou au contraire d’un endroit obscur ? Origine de la lumière ou de l’obscurité (porte, fenêtre, bougie, luminaire…) Qu’est ce qui est  éclairé ou caché dans l’obscurité, quel détail ?
Les couleurs : les couleurs froides et les couleurs chaudes, les unes et les autres à quel endroit, dans quel élément de décor, de vêtement…Se demander s’il y a une harmonie ou une rupture par une couleur d’un autre registre que l’ensemble (par exemple une irruption d’une couleur chaude dans un ensemble de couleurs froides)
Qu’est ce qui semble peut être bizarre ?  toujours se demander  s’il y a des choses étonnantes, incongrues, un détail qui semble isolé ou disposé plus particulièrement dans la scène, prés d’un personnage ? (parfois un escargot en pleine annonciation, une mouche près d’une nativité : bizarre, vous avez dit bizarre ?)

Après une telle promenade (et sans doute avons nous oublié des tas d’éléments mais selon le tableau, c’est vous qui les découvrirez bien mieux que nous), on peut s’interroger sur la fonction de l’œuvre.

En tous les cas, notre promenade y fut pédagogique. S’il y a des choses qui ont pu choquer au premier regard, la quête du détail a permis de faire un détour  pour trouver la porte d’accès nécessaire. Si au contraire, l’œuvre a pu sembler anodine, décorative simplement, là encore, ce type de promenade, "comme sur une scène de crime" aura pu relever notre intérêt et stimuler notre imagination et notre lecture de manière féconde.

  • Bibliographie : Il existe beaucoup d’auteurs et d’ouvrages qui accompagnent nos visites et lectures d’œuvres d’art. Je ne peux que recommander Daniel Arasse  « On n’y voit rien » (et bien d’autres ouvrages) mais aussi un livre extrêmement pédagogique de Françoise Barbe-Gall « Comment regarder un tableau », Ed. Du Chêne.

 

  • Pour approfondir  => Daniel Arasse : Une histoire de peinture n° 1 à 16 cliquez ici

 

 

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- Manger !

 

Manger est bien plus qu'un geste quotidien dicté par la nécessité de se nourrir. En témoignent les nombreuses émissions télévisées, le succès des livres, des cours, des blogs, des applications consacrés à la cuisine.

Vous trouverez ici une série de 7 brefs articles écrits par différents auteurs, pasteurs, théologiens, philosophe qui ont été publiés dans le mensuel "Evangile & Liberté". (reproduits ici avec autorisation)


1. « Donnez-leur vous-mêmes à manger » Marc 6,37

Manger. Manger. Voilà une préoccupation qui ne quitte pas les êtres vivants. Il faut manger pour vivre, mais aussi manger ensemble pour se rencontrer, cultiver les amitiés, apprécier les douces saveurs de la terre. Pas étonnant que la Bible baigne dans les questions de nourriture. Elle se déploie depuis cette faute initiale, dans le jardin d’Éden, où Adam et Ève ont mangé ce qu’il ne fallait pas, jusqu’à cette excellente grillade de poissons, à la fin de l’évangile de Jean, partagée entre le Jésus ressuscité et ses disciples.

Entre ceux qui mangent trop et ceux qui ne mangent pas assez, l’humanité ne parvient pas à résoudre ses problèmes. Les questions lancinantes de la faim et du partage de la nourriture ressortent de la Bible comme elles ressortent de notre monde contemporain.
   En témoigne cette fameuse multiplication des pains, racontée si souvent dans les évangiles : Jésus et ses disciples sont en face d’une foule affamée qui n’a rien mangé depuis trois jours et qui risque de défaillir à chaque instant. Cinq mille hommes, sans compter les femmes et les enfants. Ne sommes-nous pas en pleine actualité ? Les disciples ne veulent pas faire d’ingérence. Ils ne sont pas là pour s’occuper de ces besoins élémentaires : « Que ces braves gens aillent donc dans les villages, s’acheter de quoi manger ; qu’ils se débrouillent ; nous avons tout juste assez pour nous-mêmes », disent-ils, en substance, à Jésus.
   Mais Jésus tranche avec autorité : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » Sous-entendu : « Vous craignez de ne pas pouvoir les nourrir, mais vos ressources vous permettent de partager davantage que ce que vous pensez. » Les disciples s’inclinent, le Maître a dit. Il a dit que son enseignement et tous les beaux discours qui s’en suivent sont vains si d’abord les disciples ne donnent pas à manger aux foules qui ont faim.
   Et il resta 12 corbeilles pleines, une pour chaque disciple. Ils ramenèrent à la maison plus que ce qu’ils ne voulaient pas donner.

Henri PERSOZ

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2. Manger ou prier ?
 
   J’admire les moines. Ils ont du temps ! Du temps pour faire ce qu’aucune autre personne ne ferait. Tenez, par exemple, voici quelques années, l’un d’entre eux a compté dans toute la Bible le nombre de récits de repas pour le comparer au nombre de récits… de prières ! Il en est arrivé à la conclusion suivante : il y a cinquante fois plus de récits de repas que de prière. Faut-il en tirer une conclusion radicale ? Faut-il manger cinquante fois plus qu’on ne prie ? D’ailleurs si l’on regarde les trois religions monothéistes, leurs coeurs se définissent dans un rapport à la nourriture : la cacherout (NDLR : règles alimentaires juives), la Cène, le Ramadan… En positif comme en négatif, la nourriture joue un rôle déterminant dans la pratique religieuse, d’ailleurs bien au-delà même des frontières de nos trois religions soeurs. Seul – semble-t-il– le protestantisme (surtout libéral) échappe relativement à cette règle. Bien que les repas de paroisses et autres repas-conférences aient encore de l’avenir.
   Allons plus loin… Pourquoi la nourriture est-elle si « religieuse » ? Je l’ai sans doute mieux compris en apprenant à faire la cuisine qui est devenue ma seconde passion (après la théologie, cela va de soi… un peu de sérieux !). Parfois ce questionnement intérieur naquit d’une certaine frustration : préparer la cuisine pendant des heures, monter un plat avec une superbe présentation… qui s’effondre à peine arrivée sur la table ! Le plat, mon patient labeur, est mangé en un rien de temps… L’éphémère frustrant comme seule récompense !

Et pourtant… Les plaisirs de la table sont éminemment spirituels car ils sont un lien complice (une communion ?) entre les personnes. Le cuisinier se fait démiurge des relations et artisan de paix. Le plaisir ouvre à l’autre, il interdit la sinistrose. La spiritualité de l’angoisse solitaire devient spiritualité de la connivence humaine, où les mots peuvent alors nous ouvrir à un ailleurs, à une nouvelle création…
   Et la parole s’est faite chair… 

Jean-Marie de BOURQUENEY

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  3. Le miel est doux mais une abeille ça pique
 
   Pourquoi la Terre promise est-elle présentée comme un pays où le miel se trouve en abondance ? Sans doute parce que le miel est, dans l’Écriture, signe de douceur. Ce que Dieu nous promet, c’est la plénitude de sa présence, présence qui est une nourriture, une source de force et de vie, et aussi quelque chose d’infiniment doux et agréable.
   Mais dans la nature, et même dans la Terre Promise, le miel ne se trouve pas tout conditionné en pots. Le miel est doux, certes, mais il est extrêmement difficile à récolter. De même, la présence de Dieu, la foi, sont des choses merveilleuses, mais qui ne s’achètent pas en supermarché, il y a tout une démarche personnelle, une quête pour les obtenir.
   Le miel est fait par les abeilles, or « l’abeille » se dit « Deborah » en hébreu, et ce mot n’est rien d’autre que le féminin du mot « Dabar » qui signifie « la parole ». Voilà un premier indice : la présence de Dieu dans nos coeurs est produite par la Parole de Dieu ; c’est en écoutant, en méditant cette Parole que notre foi peut très progressivement se constituer et grandir.
   Mais une abeille ça pique ! Aller récolter du miel est donc quelque chose de difficile, il faut de la méthode et du courage. Le croyant doit en avoir aussi : la parole de Dieu n’est pas une chose sirupeuse facile à avaler, elle est d’une approche difficile, elle nous contrarie, nous blesse parfois ; il faut se battre avec elle pour pouvoir y prélever les quelques grammes de vie et de douceur qu’elle peut nous donner.
   Et même, quand on prélève enfin les rayons, il ne faut pas tout gober sans discernement. La cire n’est pas bonne à manger. Il faut dans cette Écriture faire un travail critique, prendre ce qui est bon et nourrissant, et laisser le reste.
   Mais l’apiculture aurait-elle autant d’intérêt si les abeilles ne piquaient pas ? La vertu principale de la Parole, c’est de nous nourrir... mais aussi de nous aiguillonner pour nous mettre en mouvement et nous contraindre à agir avec intelligence et attention, tout en sachant, comme les abeilles, se nourrir du meilleur que produit le monde, en laissant de côté le reste.

 
Louis PERNOT

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4. Manger : « une effroyable nécessité »
 
  Manger est un acte apparemment assez indifférent. Mais dès qu’on y réfléchit, les choses se compliquent. D’abord, la convivialité des repas est un vain mot pour tant de personnes dont les repas solitaires sont bien souvent une épreuve quotidienne. Ensuite et surtout, nous savons les ravages causés par la faim dans le monde. Quand une telle pensée nous traverse l’esprit, manger devient quelque chose de secrètement très douloureux. Une troisième raison vient obscurcir les plaisirs de la table : manger est une forme inévitable de violence « une effroyable nécessité » (Albert Schweitzer, La civilisation et l’éthique). Se nourrir est en effet incompatible avec le principe absolu du « respect de la vie ». On nous dira qu’il suffit d’être végétarien ou végétalien pour résoudre ce drame. Mais une salade ou une poire sont, elles aussi, une prodigieuse manifestation de la vie.  

 Il y a un scandale dans l’ordre naturel des choses et, à cet égard, notre monde correspond à une sorte de machine infernale. Je reste, pour ma part, scandalisé par cette fatalité d’avoir à tuer pour vivre. Quand des confessions de foi célèbrent le Créateur, je me demande si le Dieu de la vie a vraiment voulu une si impitoyable mécanique. S’interrogeant dans un sermon (L’avoir du chrétien) sur l’effroyable « entre-mangement » qui caractérise le monde naturel, Wilfred Monod s’interrogeait encore dans cette même prédication sur la difficulté qu’il peut y avoir alors à parler du « Bon Dieu ». C’est toujours lui qui déclarait que le lion est, tout compte fait, de la gazelle digérée et que la nature ressemble à un vaste tube digestif. Michel Houellebecq, dans Les particules élémentaires, n’a-t-il pas raison de faire dire à son héros que « prise dans son ensemble, la nature sauvage n’était rien d’autre qu’une répugnante saloperie » ? Il m’est arrivé parfois de me demander si la beauté de nos tables et le côté esthétique de certains repas n’étaient finalement pas là pour en masquer inconsciemment l’horreur secrète. 

Ce qui est certain, c’est que manger n’est précisément pas un geste indifférent, un acte qui va de soi.

 

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5. La Cène

Pour le repas de Jésus, à table ! Après avoir été joyeusement surpris, émerveillés, comblés par la proposition, la bonne nouvelle de Jésus, ce qui est de beaucoup le plus important, nous sommes conviés à nous rassembler autour de la table, avant de reprendre la route…

 À l’invitation du frère, nous nous accueillons avec bonheur les uns les autres… Table de famille, lieu joyeux du partage du pain et, si possible, d’un vin d’allégresse ! Lieu de parole et de convivialité, nous voici rassemblés…

Toi l’enfant, attablé pour la première fois, toi le père ou le frère aîné qui sait ce qu’il en coûte de travaux et d’efforts pour un gagne-pain ; toi, la mère ou la soeur aînée qui a mis tant d’amour dans les préparatifs ; vous les jeunes filles et les jeunes gens, pressés de découvrir le monde ; vous les blessés de la vie qui espérez toutes les guérisons ; vous les plus âgés qui évoquez en silence tous les absents ; toi l’ancien, l’ancienne que nous craignons de ne plus voir bientôt ; toi, le voisin avec qui on était brouillé, toi l’ami de passage qui a fait un détour pour être là ; toi l’étranger, que nous avons pris soin d’aller chercher ; vous les savants et vous qui avez tout à apprendre ; oui, vous tous, et beaucoup d’autres encore en des tables lointaines, rassemblés par le coeur et l’esprit, réjouissons-nous ensemble, car c’est la table de Jésus, la table de famille, comme une table de ferme avec une nappe à carreaux rouges et blancs, comme une table de fête, pleine d’inattendus, de surprises, de beauté, de sentiments parfois différents mais qui s’additionnent, des inquiétudes, des espérances, des interrogations… 

Ce n’est pas le menu qui compte, bien sûr, frugal ou copieux, symbolisé par ce peu de pain et de vin partagés, où l’essentiel est dans l’échange des regards et des paroles, promesses de nouveaux regards et de nouvelles paroles, dans l’enthousiasme discret ou éclatant pour les propositions de Jésus, son offre du monde renversé vers le bonheur pour tous, son appel qui donne sens à la vie…
 

Roger PARMENTIER

 

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6. Obésités
 
On nous le redit, l’obésité infantile est passée dans notre doux pays de 3 % en 1965 à 16 % aujourd’hui, et probablement 20 % en 2020 (avec une réduction de 13 ans de l’espérance de vie). C’est la fin de l’exception culturelle française. Comme si on s’était tous mis à grossir ensemble, un peu comme, dans le feuilleton des shaddoks, les gibis attrapent tous la maladie du temps, qui les fait à la fois grossir et vieillir ! C’est que nous avons changé de régime alimentaire, autant que de régime de dépense physique, et tout est devenu trop facile, jusqu’au dégoût de soi. Mais il n’y a pas que cela : l’imaginaire de notre société valorise la minceur au point d’en faire une valeur morale, un idéal, le résumé de toutes les vertus : le mince est ferme et flexible, actif, et intelligent puisqu’il sait remplacer la quantité par la qualité. N’est-ce pas cependant le conformisme de la minceur qui fait voir tout ce qui dépasse comme une obésité anormale ? Et c’est ainsi que notre société oscille entre l’anorexie adorée de ses top-modèles et la mal bouffe ordinaire des consommateurs.

   Manger est une activité à forte charge affective et symbolique puisque nous ne vivons qu’à manger du vivant autre que nous-même, mais que ce que nous mangeons devient nous-mêmes. C’est pourquoi l’intime plaisir que cela procure n’est pas sans réveiller une certaine anxiété. C’est ce qu’on a pu appeler le paradoxe de l’omnivore : nous avons besoin de diversité, de variété (nous ne sommes pas capables, comme certains herbivores, de tout tirer d’une seule chose). Cela pousse à l’innovation, et à l’adaptation, mais tout nouvel aliment est un danger potentiel. D’où l’oscillation, fondamentale dans la culture humaine, entre innovation et tradition, entre « néophilie » et « néophobie », très sensible chez les enfants. C’est elle qu’il faut cultiver et éduquer, ne serait-ce que par les rythmes familiaux des repas : on a trop négligé le fait que le langage et la nourriture étaient intimement mêlés, et qu’il est bon d’intercaler finement la parole à l’aliment, car l’homme ne se nourrit pas de pain seulement, et les paroles sont comme des aliments, qui donnent de la saveur au monde.
 

Olivier ABEL

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7. Comment nourrir son âme ?
 
   Comment la nourriture pourrait-elle mettre l’être humain en relation avec son Dieu ? Examinons deux hypothèses… Première hypothèse, la nourriture permettrait une relation physique avec Dieu. En vertu de l’adage « on est ce qu’on mange ! », l’être humain prendrait la religion de ce qu’il mange. Certains chrétiens défendent une telle conception. Il y a ceux qui veulent gagner le paradis en ne mangeant que ce que Dieu a donné aux êtres humains dans le jardin d’Eden. D’autres préfèrent un régime plus évangélique, moins drastique, mais toujours un peu monotone : manger exactement ce que Jésus aurait mangé. Certains protestants polynésiens plaident pour le régime du fenua : ils mangent la nourriture locale, celle que produit le fenua – la terre-mère que Dieu leur a donnée – pour rester en relation avec Dieu. Certains chrétiens enfin mangent une hostie pour s’incorporer le corps du Christ.   

 Seconde hypothèse, la nourriture indiquerait symb oliquement la relation avec Dieu. Ceux qui préfèrent cette manière de penser – et j’en suis – estiment que, selon le principe du signifiant et du signifié, un aliment peut indiquer certains aspects de Dieu, de l’être humain et de la relation qui les unit. La nourriture fonctionne comme un symbole dont le sens dépend d’un cadre de référence. Ainsi, c’est dans la communion qu’un pain, constitué d’innombrables épis, peut signifier le rassemblement de la communauté. C’est dans une Église polynésienne que la noix de coco, parce qu’elle donne à boire et à manger, peut signifier l’unité de la personne du Christ. C’est en Suisse qu’un gâteau aux pruneaux mangé le jour du Jeûne Fédéral, peut signifier la repentance par la privation. C’est à l’Épiphanie que la couronne des rois peut rappeler la visite des mages ; et c’est dans l’esprit d’un théologien protestant gourmand que le chocolat peut résumer la foi chrétienne, puisqu’il mélange l’amertume de la Passion et la douceur de la Résurrection…
 

Olivier BAUER

 NOTES :
________________________________________
Pour aller plus loin : Olivier BAUER, "Le protestantisme à table", Genève, Labor et Fides, 2000.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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- La gourmandise est-elle un péché ?

 

Gourmand a longtemps signifié « qui mange avec voracité, de manière excessive ». Ce n’est que depuis le XVIe siècle que le mot « gourmand » signifie « qui aime la bonne cuisine et est exigeant en matière de nourriture » (Le Robert). Mais « gourmand » (qui viendrait de gourm, gorge) n’a pas la même racine étymologique que « gourmet » (à l’origine, « valet chargé de conduire les vins »). Le Littré a une définition très générale : « Le gourmand est celui qui aime manger ».

Hieronymus Bosch, « La gourmandise », détail des Sept péchés capitaux. Madrid,  réalisé vers 1500 ou ultérieurement, Museo del Prado

 

 

 

 


On se demande souvent pourquoi la gourmandise figure parmi les pêchés capitaux. On peut faire quelques remarques à ce sujet. – La liste des pêchés capitaux a été progressivement établie d’abord dans les couvents et les monastères. Elle concernait les tentations auxquelles étaient particulièrement exposés les moines et les nonnes. Il semblerait qu’ils étaient particulièrement enclins à la gourmandise, dans le sens premier de ce terme et peut-être aussi dans le second. Puisqu’ils faisaient voeu de chasteté, de pauvreté et d’obéissance, ils renonçaient en principe aux délices de la sexualité, de la richesse et du pouvoir et « compensaient » en succombant au plaisir de la chère et de la bonne chère. De fait, dans la vie monastique des premiers siècles, la gourmandise avait autant d’importance, et peut-être même plus que la luxure. Elle était d’autant plus insidieuse et difficile à vaincre que, à la différence de la luxure, elle est liée à la satisfaction d’un besoin naturel, le besoin de se nourrir, plus incontournable encore que le besoin sexuel. La gourmandise faisait fantasmer les anachorètes et les moines des premiers siècles de l’ère chrétienne plus encore que la sexualité.

  – Dès ses origines, le Christianisme a prôné les vertus du jeûne. Celui-ci existait déjà dans le Judaïsme et dans d’autres religions, mais il a pris une place très importante pour l’ensemble des fidèles du Christianisme, et aussi bien sûr dans les monastères. L’appel à renoncer à la gourmandise peut ainsi être considéré comme le corollaire de cette insistance sur les vertus du jeûne.

  – Quand on parle de péchés capitaux, l’adjectif « capital » ne signifie pas « premier par l’importance » mais « de tête », c’est-à-dire engendrant d’autres péchés. De fait, la gourmandise est considérée comme un péché « capital » parce qu’elle entraîne d’autres péchés, tels que la cupidité, l’égoïsme, l’envie, etc. Gide écrit dans son Journal, en date du 25 janvier 1929 : « C’est dans la gourmandise que l’égoïsme se manifeste le plus honteusement

  – Enfin, si aujourd’hui on considère la gourmandise comme un péché « mignon », le fait de manger gras, de fumer, parfois de boire, est devenu moralement répréhensible, comme si la notion de péché portant sur la nourriture s’était déplacée.
 
La gourmandise, le premier des péchés ?
 
La Bible ne minimise nullement l’importance de la gourmandise. De fait elle est présentée comme la première des tentations auxquelles ont été exposés non seulement Adam et Ève mais aussi Jésus-Christ.

On peut lire de multiples manières le récit de la désobéissance d’Adam et Ève. Si on en fait une lecture au premier degré, on peut considérer que ce qui motive cette désobéissance, c’est bien la gourmandise. En effet, il est dit (Gn 3,6) que le fruit qui suscite la concupiscence d’Adam et Ève apparaît « bon à manger et agréable à la vue ». Ainsi la gourmandise peut être considérée comme la première des tentations. Selon saint Jean Chrysostome : « C’est l’incontinence du ventre qui expulsa Adam du paradis ».

De même, la première tentation proposée à Jésus par Satan au désert (Mt 4,1-11) n’a pas été celle du pouvoir et de la puissance (celle-ci n’est que la troisième), ni celle de la présomption (qui est la deuxième), mais celle de changer les pierres en pain pour que Jésus puisse se nourrir et mettre fin au jeûne de quarante jours qu’il s’était imposé.

D’autres récits bibliques permettent de comprendre pourquoi la gourmandise a été condamnée. C’est par gourmandise que Noé (Gn 9,20-27) expérimenta pour la première fois les effets grisants du vin et, de ce fait, dévoila sa nudité à ses fils. C’est aussi du fait de sa gourmandise que Loth (Gn 19,31), en proie à l’ivresse, se laissa aller à des rapports incestueux avec ses filles et qu’Ésaü (Gn 25,34), parce qu’il aimait semble-t-il les lentilles par-dessus tout, renonça aux privilèges que lui conférait son droit d’aînesse. C’est également par gourmandise que le peuple hébreu, en route vers la Terre Promise, souhaita manger (Nb 14,2) autre chose que la manne que lui envoyait Dieu et regretta les nourritures plus goûteuses de l’Égypte où il était esclave. C’est encore par gourmandise que le riche « Épulon » (nom qui n’apparaît pas dans le texte biblique mais a été donné au mauvais riche par la tradition), dont le comportement est décrit par Jésus dans une de ses paraboles (Lc 16,19-31), se goinfrait tout en laissant le pauvre Lazare mourir de f aim à sa p orte.

On voit donc que dans la Bible, ce qui induisit la chute et le destin de l’humanité, suscita la transgression des tabous les plus sacrés et, de plus, fit bifurquer l’histoire, ne fut pas tant l’argent ou le sexe que la gourmandise.
 
Manger, un plaisir ou un dégoût ?
 
Mais venons-en au fond du problème : pourquoi la gourmandise est-elle considérée comme un péché ? La gourmandise (dans son sens premier, mais aussi dans son sens actuel) met à jour des questions fondamentales : quelle relation l’homme a-t-il avec la nourriture qu’il ingère et digère dans son propre corps ? Comment accepte-t-il de devoir, pour se nourrir, attenter à la nature et tuer des animaux ? Comment se fait-il que dans la plupart des religions il y ait des tabous alimentaires ? Comment comprendre le caractère quasiment universel des rituels de jeûne ? Quelle est la signification des phénomènes de boulimie et d’anorexie ?

Une première remarque s’impose. Le droit et même peut-être le devoir de manger sont indiqués dès les premiers chapitres de la Bible : « Vous mangerez des fruits de tous les arbres du jardin. » La toute première image qui est donnée de Dieu n’est pas celle d’un Dieu qui interdit, mais plutôt celle d’un Père qui encourage l’homme à se nourrir et lui donne vocation de cultiver la terre et de dominer les espèces animales pour pouvoir assurer sa nourriture. Noé est autorisé à manger de la viande animale (Gn 9,2-3).

Mais ce qui fait problème est que manger suscite un certain plaisir ! La gourmandise commence lorsque le plaisir de manger prime sur le besoin naturel de manger pour restaurer ses forces et satisfaire sa faim. Ainsi, c’est le fait que manger procure du plaisir qui suscite la gourmandise et nous induit dans le péché .

On peut donc se demander : pourquoi diable ce plaisir de manger ? Pourquoi Dieu, ou la Nature, nous ont-donné cette « prime » du plaisir ? Le Dictionnaire de Théologie catholique (rédigé au début du XXe siècle) répond : « Le plaisir naturel qui accompagne le fait de manger et de boire est destiné à nous faire aimer et désirer ces activités légitimes et à nous faire aimer une opération (celle de manger) qui sans cela nous répugnerait. » On notera ce terme de « répugner » qui connote avec la notion de dégoût . Selon le Dictionnaire, et il a sans doute raison, le fait d’avoir à ingurgiter de la nourriture et la nourriture elle-même peuvent être vus comme « répugnants ». Pour s’en convaincre, il suffit d’ailleurs de se rappeler les efforts des cuisiniers et des publicitaires chargés du marketing des produits alimentaires pour parer, accommoder et présenter la nourriture de telle sor te qu’elle ne soit pas répugnante.

Le Dictionnaire ajoute : « Jouir d’un certain plaisir lorsque l’on mange à sa faim et boit à sa soif n’est pas interdit, mais la recherche pour lui-même du plaisir, voilà ce qui est considéré comme une faute. » La théologie scolastique fait la même analyse pour ce qui est de la sexualité. La vie sexuelle est considérée comme normale et légitime, ne serait-ce que pour permettre l’engendrement et la conservation de l’espèce. Il n’en reste pas moins qu’en elle-même elle peut aussi, au même titre que l’activité alimentaire, être considérée comme répugnante. Et le plaisir qui accompagne l’activité sexuelle a pour but de « nous faire aimer et désirer une opération qui sans cela nous répugnerait ».

De fait, manger peut susciter une forme de répugnance. L’anorexie et le refus de la viande, en particulier de la viande rouge, le montrent bien. On peut penser à cette scène d’un film de Buñuel (Le charme discret de la bourgeoisie) où des cabinets particuliers permettent de s’isoler, non pour les besoins naturels ou pour la sexualité, mais pour « l’activité alimentaire ». Manger est considéré comme impudique et plus ou moins obscène. De fait, la nourriture peut même être ressentie comme une forme de souillure, quand bien même elle est nécessaire.

Pour certains, et en particulier pour les ascètes et les mystiques, manger, même le strict nécessaire, ne se fait pas sans quelque serrement de coeur. C’est pourquoi, tout comme saint Paul (1 Co 15,50) et saint Thomas d’Aquin (Somme Théologique, Supp. q. 81, a. 4), ils voient le Royaume qui leur est promis comme un monde où il ne sera plus nécessaire de manger même le fruit de l’Arbre de vie dont Adam et Ève se nourrissaient au paradis terrestre.

Tout ceci montre que la condamnation de la gourmandise, au sens premier de ce mot, est en fait sous-tendue par une forme de réticence vis-à-vis de la nutrition en tant que telle. Et cette réticence est sans doute présente dans les zones les plus profondes de l’inconscient de l’homme.

Nourriture, souillure et tabou

On peut s’interroger sur les causes de cette association entre les aliments et l’idée de souillure. Il y a certainement plusieurs facteurs : la répugnance vis-à-vis de l’abattage des animaux ; le lien entre la nourriture et le sang, symbole à la fois de vie et d’impureté ; le fait que l’absorption de la nourriture se fasse par un orifice communiquant avec l’intérieur du corps et ses viscères ; le fait que la digestion soit une forme de mélange et de malaxation ; le fait que l’absorption de nourriture soit suivie de défécation.

La tentation - Lucas Cranach le jeune (1515 - 1586)

On peut s’étonner que trois des péchés capitaux, la gourmandise, la luxure et la paresse, constituent des interdits portant sur des activités qui sont pourtant naturelles et indispensables à la vie : manger, engendrer et se reposer. On comprendrait davantage que les péchés capitaux portent sur des attitudes nuisibles. Mais il faut remarquer que ces trois activités naturelles relèvent non seulement du champ de la vie biologique, mais aussi de celui du sacré, et donc du tabou et du péché (puisque le péché est la transgression des tabous et la profanation du sacré). Ce qui a un lien avec le sacré est ipso facto l’objet d’interdits.

Si la nutrition, la sexualité et le repos font l’objet de prescriptions, de règles et de rituels, c’est parce qu’ils relèvent à la fois du sacré et du souillant. La nourriture est sacrée parce qu’elle contient un mana (puissance mystérieuse et surnaturelle interne à un être vivant – plante, animal, humain – et qui lui donne un rayonnement et une influence soit bénéfiques, soit maléfiques) qui restaure et se transforme en force physique et psychique. L’acte sexuel l’est aussi parce qu’il a le pouvoir et le mana d’engendrer une progéniture. Le repos est également sacré parce que son mana redonne de l’énergie et de la vie. Même pour nous, ces trois processus restent mystérieux. Aujourd’hui encore, la nourriture, la sexualité et le repos ont quelque chose de sacré et c’est pour cela qu’ils sont encadrés par des tabous et des rituels religieux ou crypto-religieux.

De fait, dans le Judaïsme, les règles de l’alimentation kascher légifèrent sur les aliments qui peuvent être consommés ; la circoncision et autres règles de pureté réglementent la vie sexuelle ; et les prescriptions relatives au shabbat font du repos une forme de rituel sacré.

Aujourd’hui autant qu’hier, la nourriture est ressentie comme relevant du sacré, du tabou mais aussi du souillant. Du sacré, parce qu’elle est considérée commele premier des dons des dieux, de la Providence et de la nature ; du tabou, parce que l’alimentation, après avoir été réglementée par le religieux, l’est maintenant par l’écolo-diététique (qui a d’ailleurs bien des traits religieux) ; et du souillant parce qu’elle fait grossir, rend malade et suscite la gourmandise. Aujourd’hui, les innombrables prescriptions de la diététique, de l’écologie, des labels « bio », des régimes végétariens, de la macro-biotique (doctrine diététique végétaliste qui prône l’équilibre entre le Yin et le Yang), remplacent avantageusement les règles et les tabous des religions ancestrales sur les aliments purs et impurs.
 
Les prescriptions alimentaires du Judaïsme
 
Ainsi le fait de manger peut avoir affaire avec le péché. La condamnation de la gourmandise est peut-être sous-tendue par une forme de tabou et de réticence profonde par rapport au fait même de manger parce qu’il relève du souillant. Les prescriptions religieuses et culturelles qui régissent, codifient et restreignent le champ de l’alimentation le montrent bien. Ainsi, manger un animal interdit, le porc par exemple, est bien de l’ordre de la souillure et peut entraîner des troubles psychosomatiques importants et même quelquef ois la mort.

Manger, c’est-à-dire ingurgiter en soi des animaux et des végétaux, n’est absolument pas anodin et peut être considéré comme une souillure, comme le montrent les trois points suivants de la pensée et de la pratique du Judaïsme.

  – Pour le Judaïsme, manger est peut-être déjà ressenti comme relevant de l’impureté, car cela consiste à assimiler une nourriture non humaine pour la transformer en de l’humain. En hébreu, manger se dit a’hol, qui évoque le français « assimiler » c’est-à-dire étymologiquement « rendre semblable à soi ». Manger consiste à rendre du végétal ou de l’animal semblable à de l’humain, et c’est pourquoi, pour le Judaïsme « ce qui entre par la bouche profane l’homme » (Mt 15,11). Manger, c’est mettre du non humain dans de l’humain, et c’est donc une souillure de l’humain. Ainsi, d’une part le cannibalisme est considéré comme un tabou et un péché, mais, d’autre part, l’alimentation non anthropophage est aussi considérée comme une souillure.

  – Dans le judaïsme, la souillure de manger est accentuée par le fait que l’homme est omnivore. Manger, c’est ingurgiter pêle-mêle des aliments différents, mettre du tohu-bohu en soi, mélanger des créatures (animales ou végétales) appartenant à des espèces différentes, autant d’éléments ressentis comme une forme de profanation du dessein de Dieu. Ce dessein est en effet d’extirper un monde ordonné et différencié hors du « tohu bohu » primordial et de s’opposer à de possibles réémergences de ce tohu bohu dans le monde.

  – Enfin, la viande que l’on mange a été celle d’un animal vivant qui a été tué. C’est ce qui incite certains végétariens à refuser de la viande animale. Cette réticence est fort ancienne. Ainsi dans le Talmud (Traité Sanhedrin, 56a), parmi les sept lois que Dieu a prescrites à l’ensemble des descendants de Noé, c’est-à-dire à l’humanité tout entière, l’une précise : « Manger, tu mangeras, mais non d’un membre arraché à un animal vivant. » On peut certes manger, mais sans torturer ni mutiler l’animal. Ceci explique que les règles d’abattage de l’animal du Judaïsme et de l’Islam précisent qu’il est interdit de consommer le sang d’un animal abattu parce que celui-ci était le siège de sa vie. Le sang est sacré et donc tabou (Gn 9,5 ; Lv 9,16 ; Dt 12,23, etc.). Il faut donc l’exprimer et l’enlever de la viande en la lavant pour ne pas manger la vie de l’animal.

Certes, le Christianisme n’a pas repris les prescriptions rituelles du Judaïsme en matière d’alimentation.Jésus a même dit clairement, au grand scandale des pharisiens auxquels il s’adressait : « Écoutez et comprenez, ce n’est pas ce qui entre dans la bouche qui profane l’homme » (Mt 15,11). Mais cette réhabilitation de l’activité alimentaire en tant que telle a fait long feu. Très vite, le Christianisme a remplacé les prescriptions alimentaires du Judaïsme par la règle du jeûne, c’est-àdire de l’abstinence de toute nourriture et, en particulier, de la nourriture carnée (celle-ci étant considérée comme la plus riche et aussi la plus sanguinaire). Il y a une horreur de la nourriture et de la viande comme il y a une horreur du sexe et de la chair, et les deux vont souvent de pair et sont plus fréquentes qu’on ne le croit. L’anorexie est peut-être une forme de jeûne involontaire et débarrassé de ses motivations religieuses. Et de fait, il y a sans doute des soubassements communs entre le refus de s’alimenter des mystiques, des moines et des religieux en général, et l’impossibilité de s’alimenter de l’anorexique. La limite entre l’anorexie et le jeûne volontaire est quelquefois difficile à établir. Bien des mystiques pratiquant l’abstinence, au Moyen-Âge (Catherine de Sienne, morte en 1380 ou Catherine de Gênes, morte en 1510) ou aujourd’hui (Simone Weil, Marthe Robin), furent peut-être aussi des anorexiques.
 
La gourmandise, pourquoi ?
 
Pourtant, dans la plupart des cultures et des religions primitives, il y avait aussi des orgies de nature religieuse au cours desquelles les tabous et les interdits pouvaient être transgressés. La gourmandise, dans son sens premier de gloutonnerie et d’ivrognerie, devenaitalors la règle. Il semble d’ailleurs que ces extravagances alimentaires continuaient à exister à l’époque de saint Paul, en particulier dans les communautés chrétiennes d’origine païenne qu’il avait fondées (cf. 1 Co 11,17-22 ; Jude 12 ; 2 P 2,13).

Tout comme les orgies d’antan, les repas de fêtes restent souvent, aujourd’hui encore, une revanche joyeuse, insolente et désinvolte sur la morale, la pression des traditions, l’image obsédante de la mort, des ancêtres et des parents.

  – La gourmandise et le besoin d’avaler de la nourriture de manière excessive ont à voir avec les peurs les plus profondes de l’homme : celles de perdre la vie, de perdre les dieux et de perdre la jouissance de la vie. De même que le nourrisson avale goulument le lait du sein de sa mère par peur de le perdre, de même nous nous gavons de nourriture par peur de manquer. La gourmandise, tout comme l’avarice, relève d’une peur de la mort.

  – La gourmandise est une transgression de tabous inscrits en nous depuis notre première enfance, lorsqu’on nous disait : ne mange pas trop, ne mange pas trop vite, ne mange pas de ceci ou de cela. Elle est une forme de meurtre joyeux et festif du père et de la mère. Elle est vécue comme une revanche à leur encontre pour les frustrations qu’ils ont suscitées chez nous.

De façon plus générale, la gourmandise est toujours une manière de faire « la nique » et un pied-de-nez festif et enjoué. Ma grand-mère, née en 1890, disait en reprenant du poulet : c’est autant que les Prussiens n’auront pas ! Aujourd’hui en reprenant du confit, ma fille dirait : Tant pis pour mon mari qui me trouve trop grosse !

  – Tout comme les orgies étaient à la fois un désordre et une manière de se purger du mal, de la souillure et du chaos, la gourmandise est à la fois un péché et un remède. Elle est ressentie comme une faiblesse et une tentation obsédante mais, paradoxalement, le passage à l’acte devient un remède et une libération. De fait, la gourmandise permet de se purger de la tentation de la gourmandise ! Comme le disait Oscar Wilde : « La meilleure manière de se débarrasser d’une tentation, c’est d’y succomber. » Tout comme les orgies d’antan, la gourmandise est une stratégie paradoxale pour se purger du mal, des obsessions morbides et des tabous aliénants.Plus généralement, elle est une forme de remède, ou tout au moins de compensation, pour bien des maux et des frustrations. Elle a la valeur d’un vaccin : elle est une petite souillure qui vous protège de bien des péchés plus graves et plus nuisibles. Quand on a du vague à l’âme, il vaut mieux s’offrir un éclair au chocolat que d’avoir envie de faire du mal à son conjoint !

  – Enfin, la gourmandise a sans doute à voir avec le désir de connaître un état où nous serions rassasiés à jamais, tel celui de la vie intra-utérine où, nourris par le cordon ombilical, nous n’avions jamais faim, ou celui de la vie éternelle où, Dieu voulant, nous ignorerons la faim… et la gourmandise.

C’est si bon que c’en est un péché !

La gourmandise, selon le Dictionnaire de Théologie Catholique, est la volupté et le plaisir de manger sans avoir besoin de manger. Et c’est en ceci qu’elle se différencie clairement de la faim. Saint Thomas d’Aquin écrit : « Il y a deux espèces d’appétit : l’un est l’appétit naturel… où il n’y a ni vertu, ni vice ; mais il y a un autre appétit, l’appétit sensible, et c’est dans la convoitise de cet appétit que consiste le vice de gourmandise. » Ainsi la gourmandise (tout comme d’ailleurs la luxure et la paresse) est la recherche d’un plaisir et d’une volupté physique sans qu’on y soit poussé par un besoin physiologique et naturel. C’est justement la raison pour laquelle elle a été réprouvée par les moralistes et les théologiens.

Scène du film Le Festin de Babette (1987) de Gabriel Axel


Mais rassurons-nous ! Le fait qu’il y ait « interdit » ne gâche en rien la gourmandise ! Bien au contraire ! De fait, il est constitutif de la gourmandise d’être le désir d’un plaisir ressenti comme interdit. D’où vient ce sentiment ? Il est peut-être enraciné dans la toute première enfance. Pour le petit enfant, la mère est bien sûr celle qui donne à manger (en français, tout au moins, « miam miam » consonne avec « maman »), mais elle est aussi celle qui interdit de manger ce qu’on aurait envie de manger et qui pourrait susciter du plaisir. Ainsi l’enfant, dès son plus jeune âge, inscrit en lui-même la gourmandise comme un plaisir interdit.

  En fait, il y a un parallèle très net entre le rôle de la mère (et peut-être ensuite, plus tard, du père) et celui de Dieu le Père pour ses enfants Adam et Ève, alors qu’ils étaient dans le jardin d’Eden, en situation d’enfance. Dieu dit : vous pouvez, et même peut-être vous devez manger de ceci (à savoir les fruits de tous les arbres du jardin sauf un), mais vous ne devez pas manger de cela (le fruit de l’Arbre de la connaissance, agréable à voir et suscitant le désir), sinon vous mourrez. Ainsi le fruit de l’arbre que l’on a envie de manger est justement,comme par hasard, celui qui est interdit et qui est censé vous faire du mal.

Ce sentiment de transgresser un interdit augmente le plaisir de la gourmandise. Le fait de reprendre du chocolat, alors qu’« on n’y a pas droit » augmente la jouissance. Reprendre d’un mets qui vous était interdit lorsque l’on était enfant est une jouissance en soi. De même que l’on dit « c’est si bon que ç’en est presque un péché », on pourrait dire aussi « c’est parce que je sais que c’est une transgression que cela devient si bon ».

  La gourmandise est certes de l’ordre du plaisir, mais elle relève plus encore de la jouissance. Lacan traduit « jouissance » par « j’ouïs (du verbe ouïr) – sens ». Et de fait, le plaisir de la gourmandise relève aussi du sens : la gourmandise est vécue sur le mode de la compensation (on se « gâte » pour compenser), de la régression (la gourmandise est un plaisir d’enfant et qui rappelle l’enfance) et aussi d’une forme d’égoïsme consenti.
 
La luxure et la gourmandise
 
Une petite amusette en guise de conclusion. Faut-il préférer les plaisirs de la chère et de la gourmandise ou ceux de la chair et de la luxure ?

Pour Brillat Savarin (Discours sur le vrai gourmand), la cause est entendue : les plaisirs que distillent comestibles et boissons délectables sont sans commune mesure avec ceux que sont censés produire « les caprices d’une femme, ses humeurs, ses bouderies et, osons toucher le mot , ses fugitives faveurs ».

On peut néanmoins tenter de réconcilier les deux. Certains mets délicieux sont aussi de puissants aphrodisiaques. Et aujourd’hui tout le monde sait qu’une entreprise de séduction commence par une invitation à un dîner gourmand et se termine par une proposition à "prendre un dernier verre à la maison".
 
Alain HOUZIAUX

Évangile & Liberté avril_2013

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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- Les chants de table : approche biblique et spirituelle

 

« Bienheureuse la famille dont Jésus est l'hôte ordinaire ! Lui présent, les convives indésirables s'en vont : égoïsme, dispute, mauvaise humeur » (Paul Doumergue).

D'où vient l'idée de chants de table ? On peut rapprocher la pratique des chants de table de deux traditions...


La première est lointaine. Au sein des communautés monastiques, la journée est rythmée par les temps d'office, c'est-à-dire les temps de prière, de chants et de méditation des Écritures, en communauté. Jusqu'à aujourd'hui dans les communautés monastiques, les moines ou les religieuses passent directement, et en silence, de la chapelle à la table - des chants en commun au repas partagé. Le repas en silence est alors l'occasion de repasser dans son cœur ce qui a été entendu ou chanté lors de l'office. Après la nourriture de la Parole vient la nourriture pour le corps. Dans cette logique, chant et table sont proches...

La Réforme radicale des anabaptistes au XVIème siècle est - selon certains - un "monachisme de substitution" : les anabaptistes ont cherché à vivre au quotidien, dans le monde, en famille souvent, le type de vie préconisé et vécu par les communautés monastiques. On pourrait dire que la pratique des chants de table est la version "laïcisée", c'est-à-dire pour tout chrétien, de la séquence office-repas de la tradition monastique.

La seconde tradition de laquelle rapprocher la pratique des chants de table, ce sont les Réveils piétistes et revivalistes et leur influence sur la vie en famille. Avec le souci d'irriguer la vie du croyant aux eaux de la Parole de Dieu et de la prière, on s'est mis à pratiquer une sorte de "culte de famille", avec prières et lectures de la Bible. On en trouve des traces, par exemple, au début du XIXème siècle dans les familles anabaptistes en France. Il est vrai que le chant semble ne pas avoir été pratiqué dans ce cadre à l'époque. La pratique actuelle des chants de table s'inscrit néanmoins dans cette logique de piété familiale.

Hors de la famille, les activités de jeunesse et d'enfance ont depuis longtemps mis à profit la pratique du chant autour des repas pour aider à la transmission de la foi. Les enfants qui reviennent de colonies ou de camps emportent souvent à la maison de nouveaux chants de table...

Aujourd'hui, la pratique des "cultes de famille" se perd même au sein des membres des Églises évangéliques. On peut le regretter et chercher à y remédier. Les chants de table sont une manière - modeste - de conserver cet héritage et de le renouveler dans un contexte changeant.

Chanter, bien sûr !

En maints endroits, les Écritures témoignent que le fidèle et le peuple de Dieu chantent, en diverses circonstances. Dès la libération du peuple hébreu hors d’Égypte, Moïse et Myriam célèbrent cette délivrance par des chants (Ex 15,1-21). Avant cela, la musique (plus largement) est décrite comme une activité humaine et une activité culturelle : Youbal est l’ancêtre des musiciens (Ge 4,21). Tout un livre de nos Bibles nous livre 150 chants sans partition : les psaumes ! Chants communautaires et chants individuels, chants de louange et chants de plainte, chants de mémoire et chants d’espérance... Tous les registres de l’expérience du croyant et du peuple croyant sont exprimés par le chant.

Le chant remplace les armes : c’est l’histoire de la prise de Jéricho (Jos 6). C’est Dieu qui provoque l’écroulement de la muraille ; la musique et les chants sont les “armes” données aux Israélites invités à la foi et à la confiance.

Quand l’arche de l’alliance contenant les tables de loi arrive à Jérusalem (2 Sa 6,1-19), c’est un véritable festival de chants et de musique qui l’accompagne. L’arche est le symbole de la présence de Dieu au milieu de son peuple ; les chants mettent en mots et en musique cette confession de foi. Ils reconnaissent et célèbrent le Dieu présent parmi les siens, invités à respecter les clauses de l’alliance dont l’arche témoigne.

Quand Dieu se fait présent en personne, à la naissance de Jésus, que se passe-t-il ? Une chorale d’anges chante (Luc 2,13-14) ! Ailleurs dans le Nouveau Testament, l’apôtre Paul invite les communautés d’Éphèse et de Colosses à chanter à Dieu de tout leur cœur (Éph 5,19-20 ; Col 3,16-17). Dans un cas, le chant est mis en rapport avec la plénitude de l’Esprit, don de Dieu et qui peut s’exprimer entre autres par le chant qui rend grâce. Dans le second, le chant est en rapport avec la parole de Christ, dont les chants disent la richesse et l’interpellation. Dans les deux cas, chanter ensemble contribue à la construction de la communauté chrétienne.

Paul lui-même, emprisonné injustement avec Silas, chante en pleine nuit, avec son compagnon. Par le chant, ils proclament leur foi dans le Dieu qui est présent jusqu’en prison, et dans le Dieu qui ouvre les portes. Leur chant est en avance sur ce qui va se produire, en avance sur le temps de Dieu.

Finalement, l’espérance de l’Église s’exprime par le chant : ceux qui ont lutté et vaincu les puissances d’opposition (la bête) à l’Église et à Dieu chantent ; ils chantent le chant de Moïse et le chant de l’Agneau (Ap 15,2-4). Dans le sanctuaire rempli de la gloire et la puissance de Dieu s’élèvent des chants, accomplissement ultime de l’espérance des prophètes (Jér 33,10-11).

Chanter à table ?

Tout cela est bien beau, mais où est-il question dans la Bible de chants de table ? De chants chantés autour du repas ? Eh bien..., la seule mention explicite à travers la Bible – sauf erreur de ma part – se réfère au dernier repas de Jésus avec ses disciples, juste avant sa passion (Mt 26,26-30). Avant ces heures sombres et au moment de la trahison annoncée de Judas, notre Seigneur a chanté les psaumes, dans l'atmosphère du repas de la Pâque... symbole de la délivrance de l'Exode, déjà chantée par Myriam et Moïse... Où l'on retourne à la case départ : par la foi, dans la foi, le croyant et le peuple croyant chantent en toutes circonstances le Dieu des délivrances. Car pour le peuple de la Bible, chanter fait partie de la vie, chanter fait partie de la foi.
Que feront les croyants près de Dieu, quand son Royaume sera entièrement advenu ? Nous ne connaissons pas à l'avance les détails du programme, mais la table d'une part, et le chant d'autre part, font partie des activités humaines connues qui se poursuivront (par exemple Mt 8,11 et Ap 15,2-4). Chanter à table, en vivant selon les valeurs de ce Royaume, anticipe donc l'espérance à venir.

À condition que...

Parfois, Dieu critique les chants qui lui sont adressés... « Éloigne de moi le tumulte de tes chants, je n'écoute pas le son de tes luths. » (Am 5,23). Par les prophètes, le Seigneur dit son ras-le-bol des chants et du culte d'Israël. Il demande qu'ils cessent, car l'ensemble des fêtes d'Israël le dégoûte. Pourquoi ? La réponse est capitale pour notre sujet, car elle conditionne le sens même de cet article. Si donc au temps d'Amos, Dieu ne voulait plus entendre les chants qui lui étaient pourtant destinés, c'est qu'il attendait autre chose. Quoi ? Réponse : « Que l'équité coule comme de l'eau, et la justice comme un torrent intarissable » (Am 5,24). En clair : le culte, les chants et la piété du peuple agacent Dieu, si le peuple n'a pas une conduite de vie selon les principes indiqués dans la Loi. Dieu se bouche les oreilles si l'éthique est bafouée, si l'injustice règne, si les pauvres sont maltraités et ne peuvent retrouver une dignité. L'attitude de vie n'y est pas : les lèvres chantent, mais pas les gestes concrets ; autrement dit, la bouche chante, mais d'autres bouches ont faim et crient...

Dieu agrée les voix qui le chantent, à deux conditions : ce qui est dit en musique va de pair avec la musique profonde du cœur ; autrement dit, ne pas chanter du bout des lèvres, mais "être" entièrement pour Dieu, l'aimer de tout son cœur, de tout son chant. La seconde condition rappelle que celui qui chante les louanges du Seigneur pour un repas pantagruélique sans agir en faveur de ceux qui n'ont rien à manger, celui-là est coupable d'égoïsme. Chanter oui, mais en agissant pour que d'autres puissent aussi accéder à la table et chanter les délivrances du Seigneur.

Approche humaine et spirituelle

Pourquoi proposer aujourd'hui de chanter avant de prendre un repas ? Voici quelques bonnes raisons, qui s'ajoutent à ce qui précède.

- L'être humain manifeste une de ses différences d'avec les animaux par le fait de ne pas déchirer et dévorer ce qu'il mange. En "s'arrêtant" avant de consommer, par ce recul pris quelques instants, il exprime son humanité et sa différence d'avec le monde animal ou végétal. C'est vrai pour tout être humain, c'est encore plus vrai pour le croyant qui discerne que tout vient de la main de Dieu.

- Pour qui ne mange pas seul, les chants de table sont l'occasion de s'arrêter ensemble, de s'unir par le chant autour d'un repas partagé. À l'époque du fast-food et des frigos self-service où chacun se sert quand il a envie, se mettre ensemble à table fait quasiment figure d'acte de résistance. Le couple, les parents et les enfants, se retrouvent tous ensemble : la "pause" du chant de table permet de se mettre au diapason.
Le chant qui remercie Dieu pour la nourriture ne devrait pas être un prétexte pour oublier les mains qui ont préparé et apprêté le repas. Souvent des mains féminines... Un « merci » au grand ou au petit "chef" est certainement bienvenu de temps en temps, un merci de tous ou au nom de tous...

- En chantant le Seigneur, nous le remercions. Beaucoup de chants de table expriment cette louange à Dieu par leurs paroles. Dire « merci » à Dieu régulièrement pour la nourriture (et pour le reste) est le signe de notre reconnaissance pour la générosité du Dieu créateur qui continue à prendre soin de la création. Dieu pourvoit, mais il demande de partager pour qu'Il pourvoie pour d'autres... Le « merci » de l'un devrait conduire au « merci » de l'autre.

- Le chant à table est une manière d'éduquer les enfants à la foi chrétienne. L'enfant, dès son plus jeune âge, entend les chants et les paroles, voit ses parents se recueillir et plus tard, chante lui-même. Même s'il faut que l'Esprit de Dieu le saisisse un jour pour accueillir Jésus-Christ dans sa vie, le rituel de la prière chantée à table trace un sillon souvent profond. Sillon dans lequel la Parole peut germer...
Un bémol à respecter : les parents seraient bien avisés d'accepter qu'un enfant ne veuille pas ou plus chanter. Peut-être de manière temporaire, peut-être plus longuement. Il s'agit cependant de faire la différence entre un caprice et une résistance plus profonde, pour laquelle le dialogue et la prière sont les bons remèdes.

- Les paroles de certains chants de table reprennent explicitement ou implicitement des textes bibliques. Alors qu'apprendre des passages de la Bible n'a plus bonne presse, chanter permet d'imprimer dans les têtes de chacun un stock de ces paroles venues de la Bible. Et si chanter par cœur aide à chanter par le cœur, le bénéfice ne sera que plus grand.

- Comme famille chrétienne, chanter ensemble à table permet à chacun d'avoir une place égale. Enfants, mère, père, chacun et chacune est à égalité quand on chante. Il n'y a pas de porte-parole officiel : l'ensemble des convives devient porte-parole. La famille se fait communauté où la voix de chacun et de chacune compte.
Il est possible de souligner encore cet aspect communautaire en se donnant la main tout en chantant. En cercle ou en tout cas autour de la table, dans la présence de l'Hôte invisible, les convives font corps...

- Et les personnes seules ? Exclues de cette pratique des chants de table ? Pas forcément, car après tout, il est possible de chanter même si l'on est seul. Cela rejoint la pratique de la prière individuelle à haute voix - qui permet parfois un dialogue plus conscient avec le Seigneur. Cela dit, le manque de compagnie à table peut parfois être difficile à vivre et le manque de compagnie pour chanter également.

- Pour les chrétiens, accueillir à table l'isolé, l'étranger, le pauvre ou le mal famé exprime l'accueil expérimenté à la table du Seigneur. Le signe du repas du Seigneur demande le signe de l'accueil du pauvre. « J'ai eu faim... et vous m'avez donné à manger. » En accueillant ainsi, on manifeste la présence de Dieu et on s'y ouvre. Comment mieux l'exprimer que par un chant à table ?

- Les existences surchargées risquent d'oublier ou de négliger Dieu. Chanter le Seigneur à table est une manière de lui faire de la place dans nos vies, dans nos familles. Ces petits moments permettent de reprendre conscience de la présence de Dieu au quotidien. Ce quotidien qui veut nous accaparer et nous "manger". Stop ! On arrête tout, ne serait-ce que quelques instants, pour passer de la consommation à la communion.

- La musique peut avoir un effet thérapeutique. David a calmé le roi Saül grâce à ses talents de musicien. (1 Sa 16,14-23). Parmi les effets du chant, la texture des notes et la mélodie des mots s'entrecroisent pour apaiser et réconforter. Pourquoi se priver d'une thérapie gratuite ?

- Lorsqu'il y a des invités non chrétiens ou en recherche de sens, chanter à table au Seigneur devient témoignage de foi. Il est dommage de mettre la lumière sous le boisseau ou de taire son chant. Chanter sa foi est une manière d'être missionnaire, même chez soi et devant un repas partagé. Missionnaire par le chant de table.

- Chanter à table des paroles et des airs venus d'autres pays, d'autres langues, d'autres cultures, d'autres continents, donne une réalité internationale voire mondiale à l'Église, cela permet au foyer et à la famille de s'ouvrir à l'universalité du corps du Christ par des chants de table internationaux.

Quelques obstacles ou comment faire pour bien faire

* Une des difficultés vient de la répétition. Même si l'on a un grand répertoire, chaque chant fini par être répété et le fait même de chanter à table se fait répétition. La répétition peut s'accompagner du danger de ritualisme et de formalisme : on chante parce qu'il le faut, parce qu'on a l'habitude, parce que c'est le signal du début du repas... Et finalement, on a beau chanter par cœur, le cœur n'y est plus.

Pistes : d'abord, étendre son répertoire ; se recueillir consciemment au moment de se mettre à chanter ou avant ; rompre avec la pratique des chants de table et pour une période, se mettre en présence de Dieu d'une autre manière, par exemple par la prière à haute voix ou silencieuse... ; reconnaître qu'il y a de bonnes ou de mauvaises habitudes ; considérer la répétition comme l'expression d'une vie chrétienne qui se confronte au défi de la durée et de la persévérance...

* Les conflits font partie de la vie de couple et de la vie de famille, même quand on est chrétien. Les tensions peuvent couper l'appétit et l'attitude de prière requise par le chant à table. Faut-il chanter malgré tout ou faire semblant ? Faut-il renoncer alors à chanter le Seigneur et se demander pardon et se pardonner ?

Pistes : un mot d'excuse aide dans certains cas à retrouver un minimum de sérénité pour chanter ; d'autres fois, il faudra davantage de temps et de dialogue ; un temps de silence au lieu du chant manifeste qu'il y a problème, tout en ne renonçant pas à faire de la place pour Dieu, même en conflit...

* Quel chant choisir ? Qui choisit ? Quand le chant devient chantage, quand le repas se fait pomme de discorde, il y a malaise... Les enfants peuvent parfois devenir des tyrans, les pères aussi, chacun voulant imposer sa volonté et son chant.

Pistes : une liste de chants, patrimoine familial, peut être reconnue comme autorité, comme "loi" ; on la parcourra de haut en bas et de bas en haut, ou de gauche à droite et de droite à gauche, pour que tous chantent de bon cœur... et mangent de bon appétit !

* « Remercier Dieu pour la nourriture surabondante chez nous alors que des enfants meurent de faim est hypocrite ou me donne mauvaise conscience ; je préfère donc ne pas chanter. » Voilà le genre d'objection que l'on entend parfois.

Pistes : si remercier Dieu me conduit à cette prise de conscience que d'autres meurent de faim, c'est bon signe ; des gestes de partage (parrainages d'enfants, ticket-repas...), de jeûne et une nourriture simple et frugale sont possibles ; favoriser la nourriture issue du commerce équitable permet de payer plus correctement les petits producteurs du Sud ; la prière et l'action vont de pair, la piété et l'éthique sont sœurs jumelles.

* Les paroles de certains chants de table sont discutables : soit pour cause d'ethnocentrisme caché (nous sommes les meilleurs, la preuve, Dieu nous bénit en nous donnant la nourriture...), soit par l'invocation de la bénédiction de Dieu sur des aliments, qui sont déjà bénis par le Seigneur ; la bénédiction de Dieu est à invoquer sur des personnes, leurs relations, leur communion, pas sur des objets. Il n'y a pas de "valeur ajoutée" à demander.

Pistes : ne pas retenir ces chants dans le répertoire familial ; si un poète est parmi vous, demandez-lui de changer les paroles.

Eh bien, chantez maintenant !

Un des plus beaux bénéfices de la pratique des chants de table, c'est la joie qui s'exprime sur les visages. Chanter la générosité de Dieu rend joyeux ! Le deuxième fruit de l'Esprit, juste derrière l'amour et avant la paix, c'est la joie (Ga 5,22). La joie est médaille d'argent au palmarès des fruits de l'Esprit. Je souhaite que cet article rende possible une large récolte de ce fruit dans les cœurs, les foyers, les familles, les camps et les colonies. Alors, chantez maintenant !

 

 NOTE : Cet automne, les Éditions Mennonites ont publié un Dossier de la revue Christ Seul intitulé :
Michel Sommer, animateur théologique au Centre de Formation et de Rencontre du Bienenberg, et rédacteur du mensuel des Églises Évangéliques Mennonites de France (Christ Seul), a rédigé cette introduction à cette publication. Pour atteindre le dossier => Cliquez ici

Vincent Nommay et Danielle Mobbs ont réalisé le recueil : "À table ! 75 chants pour les repas". Il  regroupe 75 chants de table, nouveaux et anciens, avec partitions. Toutes les mélodies de ces chants sont disponibles en écoute gratuite ici

 

 

 

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- L’Ascension et autres fêtes

La fête de l’Ascension est de toutes celles de notre calendrier la moins célébrée chez les protestants, plus particulièrement réformés. Plusieurs paroisses la suppriment purement et simplement. La principale raison de cette désaffection est à trouver dans le caractère mythologique d’un événement qui, il est vrai, n’occupe pas une place importante dans les textes évangéliques. Comment peut-on croire en effet que Jésus est monté au ciel comme une fusée ?

 

 


L’Ascension ?

Si la dimension mythologique de l’Ascension nous empêche de la prendre au sérieux, on ne voit pas pourquoi cette même dimension ne nous empêcherait pas aussi de célébrer toutes les autres fêtes chrétiennes. Nous pensons à Noël avec la naissance virginale, des anges (apparus à Zacharie, à Marie, aux bergers), une étoile qui se déplace dans le ciel pour guider des mages ; à Vendredi saint avec l’obscurité subite à l’heure de la crucifixion, un tremblement de terre, des rochers qui se fendent, le rideau du temple qui se déchire en deux, des tombeaux qui s’ouvrent et dont les morts entrent alors dans Jérusalem.

Nous pensons aussi à Pâques avec un autre tremblement de terre, une pierre roulée par un ange qui s’assied dessus, le tombeau vide, de multiples apparitions de Jésus (à Marie de Magdala, à Thomas, à deux puis onze disciples en présence desquels il mange alors du poisson grillé ou passe à travers les portes fermées à clef).

Autant de récits dont la dimension fortement mythologique devrait, elle aussi, nous interdire de fêter ces « événements » suspects.

Que dire encore du bruit violent et des langues de feu qui se posent sur la tête des croyants réunis à Jérusalem pour la Pentecôte ?

On ne saurait rendre notre foi solidaire du moule, des conceptions et des contextes culturels, dans lesquels elle a été coulée. Ce moule, en tant que tel, n’a d’ailleurs rien de spécifiquement évangélique ou chrétien. Il correspond à une vision du monde qui n’est plus la nôtre. Il ne s’agit pas de rayer ces passages bibliques sous prétexte qu’ils sont en contradiction avec ce que la science nous enseigne aujourd’hui.

Retrancher de la Bible ce qui contrarie notre vision actuelle de l’univers, l’expurger et la censurer au nom de la raison, c’est la réduire en fait à une peau de chagrin. Il ne s’agit pas tant de voir ce que le texte dit que ce qu’il veut dire et peut nous dire encore en nous interpellant aujourd’hui dans l’ordre de la foi. Un texte biblique, inséré dans une vision du monde dépassée, peut avoir une signification qui ne l’est pas.

Regarder au ciel ?

On pourra démultiplier les sens possibles de cette élévation de Jésus au ciel en la considérant sous l’angle de différentes tensions : présence et absence, terrestre et céleste, visible et invisible, départ et retour, immobilité et marche, par exemple.

Un sens très souvent retenu s’inspire de l’épître aux Colossiens : « Cherchez les choses d’en haut, où le Christ est assis à la droite de Dieu. Pensez à ce qui est en haut et non à ce qui est sur la terre. » (3,1-2) Mais ce texte, sorti de son contexte, peut nous conduire à un spiritualisme exsangue et désincarné, dans une sorte d’aliénation religieuse privilégiant le ciel au détriment de la terre, l’éternel au détriment de l’histoire, les âmes au détriment des corps, vision très exclusive et somme toute en contradiction flagrante avec un christianisme qui est, par excellence, une religion de l’incarnation. Notre foi, comme l’a souvent montré Albert Schweitzer, est faite d’attachement et de détachement, d’éthique et de mystique : attachement à ce monde créé par Dieu, attachement exprimé par la charité, la justice et l’amour, et détachement, parce que nous sommes orientés vers le Royaume de Dieu et l’espérance active qui nous anime sur une terre à laquelle nous ne saurions être purement et simplement asservis.

Ce passage de l’épître aux Colossiens, écrit un de ses commentateurs, ne nous indique pas « une fuite des réalités du monde ou une éthique utopique "impratiquestionnercable" » (Jean-Noël Aletti, S.J., Commentaire de l’épître aux Colossiens, Gabalda, 1993). Une des paroles significatives, sorte de mise en garde à cet égard, est bel et bien celle des Actes des Apôtres : « Pourquoi restez-vous là à regarder le ciel ? » (1,11) Il sera préférable, dans cette montée de Jésus au ciel, avec toute la symbolique que nous pouvons entendre dans ce mot « ciel », de considérer que Jésus nous échappe, n’est pas en notre pouvoir.

Il ne saurait y avoir de mainmise de notre part sur Jésus ou sur Dieu. Dieu, le tout premier, compris comme Transcendance, nous demeure inaccessible et nous ne saurions l’enfermer dans nos mots ni l’atteindre par nos définitions, aussi justes et orthodoxes seraient-elles. Dieu nous dépasse infiniment.

 L’Ascension, Giotto, Padoue, Chapelle Scrovegni

Jésus n’est pas dans le pain et le vin de la cène

L’Ascension de Jésus a été utilisée par les Réformateurs Zwingli, d’abord, puis Calvin, pour contester la présence réelle, matérielle, de Jésus dans le sacrement de la Cène. C’est un sens décisif, selon eux, à retenir de l’Ascension. Si Jésus est au Ciel, il ne saurait être en même temps, et de manière corporelle, présent dans le pain et dans le vin. C’est un point important qui opposera d’ailleurs très vivement Zwingli, le Réformateur de Zurich, à Luther. Le point d’accord en la matière entre les protestants réformés, évangéliques, luthériens étant le refus catégorique du sacrifice de la messe. Les controverses entre protestants et catholiques graviteront longtemps autour du différend, central, concernant la cène. Il y a là, et par conséquent il y a dans l’écoute fidèle des récits de l’Ascension, un point focal et déterminant pour sa compréhension.

Parlant de la présence du corps du Christ « en la cène » dans son Exposition de la foi (Expositio fidei, 1531), Zwingli stigmatise l’erreur qu’il y a à prétendre que par les signes du pain et du vin, le corps du Christ nous est donné. Zwingli écrit que « le corps du Christ, à partir du moment où il monte au ciel, n’est plus en ce monde ». D’autre part, quand Jésus déclare « ceci est mon corps », il désigne comme signe son corps mortel ; le manger comme tel aujourd’hui deviendrait alors parfaitement « déraisonnable », puisque reconnaître que Jésus est au ciel, cela signifie que Jésus a désormais un corps « immortel et incorruptible » que nous ne saurions manger. Manger un corps mortel et de la chair humaine n’est-ce pas, demande Zwingli, quelque chose de « cruel, sauvage et brutal » ? (voir à ce sujet Huldrych Zwingli, La foi réformée, Les Bergers et la Mages, 2000, introduction d’André Gounelle.)

L’Ascension et  Noël

Une autre manière de comprendre l’Ascension nous est donnée par la tradition orthodoxe, grecque ou russe. Il s’agit là d’inscrire l’Ascension dans une symétrie et un parallélisme Noël – Ascension, Pâques étant alors au centre de cette perspective.

À Noël, on peut dire, de manière symbolique, que Dieu en Jésus descend vers l’homme ; à l’Ascension, en Jésus, c’est l’être humain qui est élevé à Dieu. Il y a ainsi à travers le parcours des évangiles une humanisation de Dieu et une divinisation de l’homme. Il faut que Dieu naisse en l’homme et que l’homme naisse en Dieu. Incarnation divine et exaltation humaine encadrent ainsi les évangiles. Dieu est devenu humain pour que l’homme puisse devenir divin.

Il convient alors d’abandonner une vision qui écrase l’homme sous le poids de la divinité et qui conduit finalement à penser que Dieu est tout et que nous ne sommes rien. On ne saurait, en Jésus, réduire l’homme au néant de sa condition mortelle et pécheresse. Dieu n’est pas d’autant plus grand que l’homme est rabaissé. Dieu n’a pas besoin de notre écrasement pour être Dieu en plénitude. L’Ascension devient ainsi magnifiquement le fondement d’un humanisme christique et chrétien. En Jésus, Dieu n’existe pas sans l’homme, ni l’homme sans Dieu.

Laurent Gagnebin
Laurent Gagnebin, est né à Lausanne en 1939, philosophe et théologien, il a été pasteur de l'Église réformée de France à Paris dans les paroisses libérales de l'Oratoire et du Foyer de l'âme de 1963 à 1981, puis professeur de théologie pratique à la Faculté libre de théologie protestante de Paris. Il a dirigé l'hebdomadaire protestant Réforme et dirige actuellement la rédaction du mensuel Évangile & Liberté.

L'article ci-dessus est extrait du n° 249, Mai 2011

 

 

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- Être au pain et à l’eau…

Cette expression provient de l'usage des moines ou des personnes très pieuses qui, au moment du Carême, ne mangeaient que du pain et ne buvait que de l'eau pour se mortifier, pour faire pénitence. Les grandes religions préconisent toutes des périodes de jeûne et sans doute il existe des vertus à cette pratique.
Attention cependant aux dérives dangereuses ; ne courrons pas à la performance orgueilleuse en se croyant toujours plus fort ! À l’heure où l’on évoque les futures ressources en protéine fournies par les insectes, qui évoquent pour nous Jean-Baptiste… souvenons-nous de la sagesse des ermites du désert qui pourrait nous servir de garde-fous : « Tu dois te nourrir de quatre sauterelles par jour ; cinq, ce serait de la gourmandise ; trois, ce serait de l’orgueil… »

En cette période de l’année liturgique qui nous met en route vers Pâques, PointKT va consacrer une grande part de ses publications au thème de la nourriture et des repas dans la Bible. Ainsi, nous allons plaider pour un Dieu des plaisirs et du bonheur, un Dieu qui donne de la saveur à notre vie… Nous allons plaider pour un Dieu qui s’est révélé dans un homme qui n’a cessé de partager des repas, au point même d’être calomnieusement traité de « glouton », de « goinfre » ! (Mt 11,19 ; Lc 7,34-35)   Nous allons plaider pour un Dieu qui nous invite à partager ce plaisir d’une bonne cuisine et à passer à table… faisant du dernier repas avec ses amis, la cène, un temps spirituel de partage et de communion.

À nous de nous émerveiller des bénédictions de Dieu que nous ne méritons pas, qui ne nous sont pas dues et que nous voulons partager. Conscients de notre pauvreté étonnons-nous d’être aimés et comblés par Dieu et que notre vie tout entière devienne actions de grâces !

Cependant, si attachés que nous soyons aux saveurs des fruits de la terre et à la manière de les apprêter, une autre faim inassouvie, une autre soif inapaisée, doivent être maintenues, éveillées et devenir communicatives : « L’homme ne vivra pas de pain seulement » (Mt 4,4).

Déjà, dans le livre du prophète Amos, Dieu proclamait la famine, non pas la faim après le pain ou la soif après l'eau, mais la faim et la soif d'entendre sa parole : « Voici, les jours viennent, dit le Seigneur, l'Éternel, où j'enverrai la famine dans le pays. Non pas la disette du pain et la soif de l'eau, mais la faim et la soif d'entendre les paroles de l'Éternel » (Amos 8,11). Faim et soif  véritables que seul Dieu peut apaiser.

Demandons pour nous-mêmes et pour la jeunesse de nos églises, la soif de l’eau qui désaltère vraiment et la faim du pain qui rassasie. Prions avec la Samaritaine (Jean 4,7-15) : « Donne-nous toujours de ces eaux vivantes » et avec la foule, «Seigneur, donne-nous toujours de ce pain-là » (Jean 6,22-34).


pain eau 345

Alors oui, être au pain et à l’eau !

 

 

 

 

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- Le Synode national de l’Église réformée de France sur les sacrements

souvconfirmation 75  L'Église réformée de France a conduit un travail de plusieurs années dans ses Églises locales et ses synodes, tout d'abord autour de la question générale « Des gestes qui parlent : baptême, Cène, signes », et ensuite plus précisément à propos des sacrements, leur compréhension théologique et leur place dans une vie de foi.

 

* Au terme de ce processus, le Synode national de Soissons (24-27 mai 2001) a rappelé les convictions théologiques essentielles qui ont servi de repères à ses décisions, notamment :

  • - l'Église reçoit les sacrements comme des paroles visibles grâce auxquelles Dieu nous adopte et nous nourrit... ; le baptême et la Cène puisent leur signification dans la référence à la vie, à la mort et à la résurrection du Christ ; - prédication et sacrements expriment tous deux la même Parole,
  • - le baptême et la Cène sont des dons que Dieu nous fait. Cette réception ne fait pas de l'Église la propriétaire des sacrements.

* C'est en référence à ces convictions qu'il a précisé certains éléments de la pratique du baptême et de la Cène dans l'Église réformée de France, notamment :

  • - la pratique du baptême des petits enfants, qui n'exclut pas la légitimité du choix de différer ce baptême (notamment en demandant la présentation de l'enfant à Dieu) ;
  • - la pratique de l'invitation à la table du Seigneur adressée à toutes celles et tous ceux qui discernent les signes de la présence du Christ dans le pain et le vin partagés (comme l'avait déjà indiqué le Synode national en 1976), sans aucun autre critère d'exclusion ;
  • - et, en conséquence la possibilité de l'accueil des enfants à la Cène, en lien avec la catéchèse et en concertation avec les parents ;
  • - son attachement à la tradition chrétienne, à la définition inspirée de la Bible que la Réforme s'est efforcée de donner des sacrements, et son attente de nouvelles avancées œcuméniques, qui n'excluent pas la prise en compte, dans un monde sécularisé, de la diversité des parcours qui ont amené des femmes et des hommes à devenir membres de notre Église.

* Pour éclairer le débat autour de cette dernière décision en particulier, il est nécessaire de préciser plusieurs points :

1° En prenant en compte la possibilité de démarches individuelles qui peuvent conduire aujourd'hui un enfant ou un adulte à communier avant d'être baptisé, le Synode a réaffirmé nettement que l'ordre logique demeure : il n'entend donc pas nier - ni a fortiori renverser- la démarche traditionnelle qui place la réception du baptême avant la participation à la table du Seigneur. Il insiste au contraire sur le fait que replacés dans une dynamique de foi, baptême et Cène se répondent avec richesse...

2° L'Église réformée de France n'est ni la seule ni la première à entrer dans cette démarche. Déjà, en 1994, l'Assemblée des Églises réformées et luthériennes d'Europe, unies au sein de la Communion de Leuenberg, en constatant le fait que beaucoup de personnes cherchant un nouvel accès à l'Église souhaitent pouvoir participer à la Cène sans baptême préalable, déclarait que « l'idée fondamentale que la réception dans la communauté du Christ par le baptême ouvre l'accès à la table du Seigneur... ne devrait pas conduire à un rejet systématique de ce souhait ». (La doctrine et la pratique de la sainte Cène, Vienne 1994).

3° Le Synode confirme ainsi la volonté de l'Église réformée de France, déjà affirmée lors de sa session 1995 consacrée à la réflexion sur le membre d'Église, d'être ouverte à toute personne qu'elle appelle à croire en Jésus-Christ, à approfondir sa foi par la lecture de la Bible et l'écoute de la prédication, à recevoir le baptême s'il ne lui a pas déjà été donné et à participer à la sainte Cène. (Discipline, article 1, §1, 2e alinéa).

4° Dans cette matière comme dans les autres, il ne s'agit nullement de s'adapter aux désirs et aux modes du temps. Mais, en réévaluant nos traditions et nos pratiques, il s'agit de tenir compte avant tout des Écritures, des témoignages et de l'éclairage qu'elles fournissent pour accomplir le plus fidèlement possible la mission que le Christ confie à son Église aujourd'hui, avec une urgence et une ouverture nouvelles dans la réalité de notre société sécularisée et largement déchristianisée.

* La réflexion se poursuivra autour d'une pratique de la confirmation qui corresponde à la décision du catéchumène d'affirmer sa foi personnelle et à l'action de grâce de la communauté exaucée dans la prière qu'elle avait exprimée lors du baptême.

Il revient maintenant aux conseils presbytéraux de mettre en œuvre ces décisions, en veillant, avec les pasteurs et les catéchètes, à l'accueil et à l'accompagnement de toutes celles et ceux qui demandent le baptême et s'approchent de la table du Seigneur.
Le Conseil national invite les membres de l'Église réformée de France à renouveler ainsi leur fidélité dans la pratique des sacrements, dans la reconnaissance à Dieu qui, en Jésus-Christ, les offre à son Église.

Texte adopté par le Conseil national 22-24 juin 2001 

Source(s) : BIP ; date de parution : 22-24 juin 2001

 

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