Point KT

Heureux ceux qui n’ont pas vu…

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Premier matin

Heureux ceux qui n ont pas vu…
Myriam fut réveillée par des éclats de voix.
– Comment peut-on loger des gens qu’on ne tonnait pas ! grondait Jaël, sa mère.
– Dieu m’interdisait de laisser cette femme dehors ! répondit Eliakim, son père.
C’est que Jaël avait toutes les qualités de la femme telles que les catalogue le livre des Proverbes : elle se levait tôt et se couchait tard, filait, fabriquait le pain, confectionnait des couvertures, des chemises, des ceintures ; mais elle n’était pas hospitalière.
Myriam, levée plus tôt que de coutume, fut surprise d’entendre un bébé pleurer dans la grotte qui servait d’étable, et qu’une mince cloison de bois séparait du corps d’habitation.
– Maman, puis-je aller voir ? demanda-t-elle.
– Je te le défends, répondit fermement Jaël ! Savons-nous bien qui sont ces gens? Ils disent venir de Nazareth, appartenir à la famille de David et que leur enfant est le Messie annoncé par les prophètes !
Il faut dire que Jaël et Myriam n’entraient jamais dans l’étable, mais seulement le maître, et bien davantage leur vieux serviteur Eliézer.
Alors Myriam tenta d’apercevoir les Nazaréens quand Eliézer ou Eliakim pénétrait dans l’écurie. Hélas ! Son regard n’était pas sitôt porté de ce côté que sa mère l’appelait pour quelque tâche !
Myriam reporta donc ses espoirs sur l’homme qui s’était toujours montré attentif à ses désirs, le bon serviteur Eliézer qui l’aimait comme sa fille.
L’occasion lui fut donnée dès le matin. L’enfant profita de ce que sa mère la croyait encore au puits pour se glisser sous les pans du manteau d’Eliézer, au moment où celui-ci pénétrait dans la grotte. Le vieillard, tout d’abord amusé, se trouva ainsi avoir deux paires de jambes pour se rendre auprès des bêtes. Une fois là, Myriam espérait sortir de sa cachette et enfin contempler le Messie, et Marie, et Joseph.
Malheur! Eliakim se trouvait justement dans l’étable !
– Dépêche-toi, ordonna-t-il à Eliézer d’un ton de maître.
Saisie de peur, Myriam s’agrippa aux jambes du serviteur, si bien que de ses quatre pieds notre homme en avait deux qui voulaient absolument filer ailleurs ! Maladroit, manquant de tomber, il n’avançait pas dans l’ouvrage.
– Paresseux ! menaça Eliakim en lançant son pied vers Eliézer pour l’obliger à se hâter. Ouf ! Deux fois Ouf ! Nos deux compères se retrouvèrent enfin dans la cuisine, et sans que Jaël se soit aperçue de rien.

Après-midi et matin suivant

Tenace, Myriam se présenta résolument l’après-midi à l’entrée extérieure de la grotte, où Eliakim se tenait habituellement assis, dissimulée au fond d’un panier d’herbe que portait le vieux serviteur. Une fois à l’intérieur, en soulevant le fourrage, enfin elle pourrait voir !

Mais impossible d’entrer ! La grotte était comble ; dix bergers s’y pressaient, les derniers bouchant l’entrée au grand effarement de Jaël qui après deux jours troublés criait :
– Paix ! Quand retrouverons-nous la paix ?
Pour ne pas troubler la paix davantage, Eliezer s’empressa de contourner la maison et de libérer Myriam sur le point d’étouffer.
– Ah ! Eliézer … dit-elle en pleurant,    je ne verrai donc jamais Jésus ?
 » Oui, je le verrai !  » se dit-elle avec certitude le même soir, après avoir fait connaissance avec les membres d’une caravane parvenue à Bethléem grâce à une Etoile suivie depuis l’Orient. Myriam s’était tout de suite liée d’amitié avec un négrillon, serviteur de Melchior, l’un des Mages.
Leur visite devait avoir lieu à la troisième heure. Myriam y fut exacte. Et pour entrer avec eux dans l’étable, elle avait enduit de suie son visage, son cou, ses mains et ses pieds.
Mais voilà que prise pour un membre de l’équipage, Melchior lui confia la garde de son chameau pour le temps qu’il serait au berceau du Roi des rois !
Décidément, Dieu ne voulait pas qu’elle vit son, Fils ?
A vrai dire, elle ne l’avait pas prié du tout depuis deux jours ! C’est qu’il s’était passé tant d’événements autour d’eux !
Avec foi, Myriam demanda à Dieu de lui faciliter sa démarche auprès du seul homme qui pouvait lui donner l’autorisation de pénétrer dans la grotte le lendemain : le maître de l’étable, Eliakim, son père.
Eliakim, il faut le dire, se rendit de si bonne grâce à la demande de sa fille, que celle-ci s’accusa de ne pas avoir compté plus tôt sur l’efficacité de la prière.
Myriam, enfin, entra dans la grotte, sa petite main dans celle du maître.
Déception ! L’étable était vide …
Eliézer, qui soignait les animaux, précisa que la famille sainte était partie dans la nuit et avait laissé un message : « Nous te remercions pour ton hospitalité, ô Eliakim. Et excuse-nous d’avoir quitté ta maison sans te saluer, mais c’est de nuit que nous partons ; car un ange du Seigneur vient de nous engager à fuir en Egypte. Hérode, craignant pour sa royauté, cherche le petit Enfant pour le faire périr …
Myriam éclata en sanglots … Elle qui avait tant espéré !
Et là, seule la paille dans la crèche indiquait qu’un bébé y avait reposé …
« Serait-ce que je ne l’ai pas assez prié ?  » se demanda Myriam.
Dieu n’avait point exaucé Myriam …
Mais oui, Dieu l’avait exaucé ! Regardant au dehors, et considérant la route qui menait en Egypte, Myriam avait au cœur cette certitude – qui ne pouvait venir que de Dieu – c’est que le Messie reviendrait quand le vieil Hérode ne serait plus !

Vingt ans plus tard

Hérode était mort depuis … vingt ans passés quand on parla à nouveau de ce Jésus né à Bethléem. On disait qu’il allait d’une contrée à l’autre, parlant du royaume de Dieu, guérissant les malades et ressuscitant les morts !
Myriam avait l’âge d’une femme. Mais point d’enfant ne s’ébattait dans sa maison. Jaël n’était plus de ce monde. Eliakim, maintenant très vieux, avait besoin du bras de sa fille pour se déplacer.
La jeune femme apprit que le Nazaréen annonçait la Bonne Nouvelle près de Capernaüm.
– Père,    laisse-moi aller … supplia-t-elle. Je voudrais le voir !
Eliakim consentit. Une bonne voisine voulut bien prendre soin de lui en attendant.
Myriam ne fit que courir avec cette assurance, de village en village, qu’elle s’en approchait…
C’était certain, car une foule toujours plus dense allait à la recherche du Fils de l’homme ; et parmi eux tant de malades, toute l’expression de la misère du monde.
Elle allait le voir ! Il était au cœur de milliers qui scandaient :
– Jésus, Roi ! Jésus, Roi !
Mais cette volonté du peuple déplut à Jésus. Aussi quand Myriam parvint au lieu où le Fils de Dieu un instant plus tôt avait nourri la foule, il avait fui dans la montagne disant :
« Mon royaume n’est pas de ce monde ».
Tous cependant semblaient vouloir rester là… Myriam, elle, ne le pouvait pas ! Elle retourna vers Eliakim.

Quelques mois plus tard, le jour de l’Immolation de l’agneau pascal, elle devait enfin le voir !
Eliakim manifesta le désir de monter une fois encore à Jérusalem. On lui fit parcourir les neuf kilomètres qui séparaient Bethléem de Jérusalem à dos d’âne.
Ils trouvèrent une ville regorgeant de pèlerins partagés entre la fête pascale et le supplice qu’on allait infliger à trois condamnés, et parmi eux, le Nazaréen !
– Crucifie ! Crucifie ! avait demandé un grand nombre à Pilate, le gouverneur romain.
Jésus, trébuchant sous sa croix, montait vers Golgotha entre deux haies humaines. Myriam voulut se hisser sur un mur pour l’apercevoir.
– Ne m’abandonne pas, Myriam … ! gémit son vieux père sur le point, lui et son âne, de verser sous la poussée de la multitude.
Soumise, elle suivit la file des pèlerins qui se dirigeaient vers le Temple. Il fallait y être à la neuvième heure, pour l’immolation de leur agneau.
C’est aussi à cette heure que Celui dont Jean-Baptiste avait dit : «Voici l’agneau de Dieu ! » cria : Père, je remets mon esprit entre tes mains. Après avoir dit cela il expira.

Luc mène l’enquête

La nouvelle de la mort de Jésus toucha les pèlerins à la sortie du Temple. Myriam prise d’un élan irrésistible abandonna Eliakim à l’hôtelier et courut jusqu’au lieu du crime. Mais déjà le corps du Christ avait été descendu de la croix.

– Où l’a-t-on mis ? questionna-t-elle.
Sa foi la conduisit non loin de là, au tombeau prêté par Joseph d’Arimathée. Des femmes de la suite de Jésus en revenaient.
– Jésus ? demanda-t-elle.
On lui désigna une lourde pierre qui fermait l’entrée d’un sépulcre …

Les femmes en larmes s’éloignèrent. Myriam pleurant comme elles les accompagna un instant, puis les quitta dans Jérusalem.

Elle avait déjà regagné Bethléem avec Eliakim souffrant, quand cette nouvelle retentit par toute la Judée : Christ est ressuscité ! Il est apparu à plus de cinq cents frères à la fois !
Quel espoir ! Dès ce jour, Myriam regardait à tout instant par la fenêtre, ou venait scruter la route depuis la porte. Elle répéta ce rite longtemps après qu’Eliakim fut entré dans l’une des demeures dont avait parlé Jésus. Un jour, un homme arriva par leur chemin, vers midi. Bien qu’il fût harassé, le regard du voyageur était plein de lumière. Myriam, qui en cela ressemblait à son père, lui offrit l’hospitalité.

– Christ est ressuscité ! Il est monté au Ciel d’où il reviendra sur des nuées ! témoigna l’invité.
Myriam crut sans peine ce que dit l’homme.
Elle dit simplement
– Je ne l’ai pas vu.
– Heureux ceux qui ne l’ont pas vu et qui ont cru ! lui répondit son hôte, qui s’appelait Luc, et qui avait été médecin. Je m’informe de lieu en lieu, expliqua-t-il, pour écrire son histoire.

Et Myriam, que Jaël ne pouvait plus empêcher, conduisit l’homme dans l’étable, devant la crèche qui, comme la croix et le sépulcre, était vide.

Luc prit bonne note des lieux.
Ce qu’il vit aussi dans les yeux de Myriam, c’est la foi au Fils de Dieu, qui fait que les yeux, comme les siens sont pleins de lumière !
Lui non plus n’avait pas vu. Aussi voulait-il écrire son Livre, après avoir mis ses pas dans les pas de Jésus, afin que croient tous ceux qui n’auraient pas vu précisément, et qu’ils soient heureux !

 Conte de Noël William HERMETET « Devant l’arbre illuminé »