Point KT

Un étrange voyage

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Mes petits, mon cœur est gonflé de joie de vous voir réunis, du plus grand au plus petit ! … Soyez tous les bienvenus. Un jour, il y a très longtemps, j’ai rassemblé mes enfants autour de moi, vos parents, comme vous aujourd’hui, pour leur parler d’un étrange voyage que j’ai fait lorsque j’étais plus jeune. Je vais vous en faire part aussi, maintenant que vous êtes assez grands pour comprendre, parce que voyez-vous, il y a des voyages qui changent la vie, qui la changent de fond en comble…

Voilà, j’étais jeune, non non, ne souriez pas, j’ai été aussi jeune que vous, mais c’était il y a très longtemps, c’est vrai… Comme vos parents vous l’ont certainement dit, j’étais astronome, et avec des collègues et amis, nous scrutions sans cesse le ciel pour tenter de déchiffrer les étoiles, et comprendre le monde, tenter de discerner des messages, des présages… En regardant ainsi le ciel, nous espérions tout comprendre : les mystères des origines, l’histoire de l’univers et du ciel, et l’histoire des hommes, bien sûr. Nous passions donc nos nuits à observer le mouvement des étoiles, et nos journées à faire des calculs pour les comprendre.

Un jour, il s’est passé quelque chose d’extraordinaire, tout là-haut : 3 conjonctions entre Jupiter et Regulus. Nous avons consulté les traités d’astrologie : la position des étoiles dans le signe du Lion étaient claires, elles annonçaient la naissance d’un roi extraordinaire au royaume de Juda !

Mes amis et moi, nous avons à peine parlé : nous nous sommes immédiatement mis en route, nous ne voulions pas rater un événement pareil, cela ne se présente pas deux fois dans la vie d’un mage ! Et nous sommes partis, suivant cette étoile qui continuait à briller sur notre chemin, comme si elle nous attendait…

Bien sûr, parfois, au cours du voyage, nous nous posions des questions : comment allions-nous trouver ce roi, alors que nous n’avions aucun indice, à part cette étoile ! Chacun de nous restait dans ses pensées, de peur de troubler les autres. Alors, puisque nous étions des savants, nous avons fait la chose le plus logique : nous sommes montés à la capitale ! Où trouver un roi ailleurs qu’à Jérusalem, dans un palais de roi, n’est-ce pas ? Vous auriez fait la même chose, bien sûr !

Lorsque nous y sommes arrivés, l’étoile a disparu… Nous avons pris cela comme le signe que nous avions réussi ! Aussi, après nous être reposé dans une auberge à l’entrée de la ville, nous nous sommes rendus au palais d’Hérode, le roi des juifs. Eh bien les enfants, je le reconnais humblement devant vous, ce fût la pire idée que j’aie jamais eu de ma vie ! Il nous a reçu, a failli s’évanouir lorsque nous lui avons rapporté l’objet de notre quête, puis a jailli de son siège, les yeux pleins de colère et de haine. En hurlant, il a fait appeler les docteurs de la loi et les prêtres du temple, afin qu’ils répondent à notre question. Et en effet, ils ont pu répondre à notre question, mais ça n’a pas calmé Hérode… Les prêtres nous ont expliqué que d’après les prophéties, le roi, le messie, devait naître à Beethléem. L’autre énervé, qui avait retrouvé une couleur de visage correcte, et un peu de maintien, nous a très gentiment demandé d’aller vérifier pour lui, et de repasser le voir afin de tout lui raconter, car lui aussi irait avec joie l’adorer et lui souhaiter la bienvenue… … Mouais… Bon, nous avons promis, car on voyait bien que ce n’était pas un homme à contrarier… Puis nous sommes repartis de par les routes…

Nous étions tout joyeux des prophéties des prêtres, et bien sûr aussi, nous étions fiers de nos calculs, et de notre découverte, alors nous sommes partis pleins d’entrain vers la petite bourgade qu’on nous avait indiqué. Nous nous sentions de jeunes savants fougueux et audacieux, prêts à toutes les découvertes et les aventures ! Mais en suivant l’étoile sur le chemin, qui était apparue à nouveau lorsque nous avions quitté la capitale, j’ai senti en moi quelque chose de bizarre, que je n’avais encore jamais vécu : finalement, ce n’était pas grâce à moi ou à mes compagnons que nous étions là, c’était grâce à cette étoile qui, j’en étais sûr, nous avait été envoyé par quelqu’un, à nous, des étrangers de ce pays. On nous avait fait signe… Mais qui, et pourquoi ? J’ai vu, je crois, mes compagnons dans le même état que moi, alors notre route est redevenue silencieuse, chacun se posant les mêmes questions dans la tête…

Et puis… Et puis nous sommes arrivés à Bethléem. Et là, l’étoile s’est arrêtée juste au-dessus d’une maison. Une simple maison, qui n’avait rien d’un palais, ou d’une demeure de roi, et là, pourtant, inexplicablement, nous avons été pris d’une joie immense : nous avions trouvé, l’enfant était là, le roi était là, et plus rien d’autre n’avait d’importance ! Je ne sais combien de temps nous sommes restés à contempler cette maison qui contenait l’objet de notre quête, peut-être une heure, peut-être deux secondes. Je n’ai plus aucun souvenir de cet instant, je ne garde en mémoire que l’intense sentiment de plénitude qui m’empoignait à ce moment. Nous sommes finalement descendus de nos montures, nous nous sommes approchés de la maison, et en avons franchi le seuil. Oui, la porte était ouverte, et cela nous a semblé normal, comme si nous étions attendus, comme si chacun de nous, et tous les autres, étaient invités à le faire.

L’enfant était là, avec ses parents. Un enfant tout simple, comme vous l’avez été, comme je l’ai été, fragile, dépendant, avec des parents tout simples, comme l’ont été les miens, comme l’ont été les vôtres, comme vous le serez peut-être plus tard : heureux, formidablement heureux, mais un peu perdus, un peu décontenancés par cette vie nouvelle, tout à coup responsables du bien-être d’une si petite chose. Un enfant ordinaire, à première vue, avec des parents tout aussi ordinaires, de toute évidence. Et pourtant… Je l’ai reconnu, c’était lui, le roi, le messie… c’était lui… Vous êtes sans doute trop jeunes pour avoir vécu l’expérience de reconnaître quelqu’un sans l’avoir jamais vu, mais c’est ce qui m’est arrivé. Cela vous arrivera peut-être pour l’un ou l’autre des vos meilleurs amis, ou pour votre futur amoureux, ou pour vos enfants, la première fois que vous les tiendrez dans vos bras. Ce jour là, vous comprendrez ce qu’il m’est arrivé. Cet enfant, Jésus, comme nous l’ont présenté ses parents, je lui reconnu, c’était lui, et il m’a reconnu, également… Bien sûr, vous me direz, vous n’êtes pas des petits-enfants de savants pour rien, vous n’êtes pas nés de la dernière pluie, qu’un nourrisson ne reconnaît guère que ses parents, et pourtant, il s’est vraiment passé quelque chose… Je lui avais apporté des cadeaux, en hommage, mais c’est surtout lui qui m’en a fait un, un cadeau au prix bien plus important que tout ce que j’aurais pu lui offrir… Plus jamais je n’ai été le même homme…

En repartant vers notre contrée, j’étais troublé. Notre voyage, une fois de plus, fût silencieux. Ca vous étonne, n’est-ce pas, moi qui suis connu pour être un vrai moulin à paroles, mais figurez-vous que j’ai passé des voyages à être tout simplement muet. Je savais que je n’étais plus le même, mais je ne savais pas encore comment. C’est en arrivant près de chez nous que j’ai remarqué la différence. En arrivant, j’ai regardé les gens autour de moi, ceux que je connaissais, bien sûr… mais aussi les autres, le plus petit, le plus fragile, et puis aussi le plus âgé, le plus fort, le plus sage… Tous, pour la première fois de ma vie, je les ai vu,, je les ai regardés, je les ai remarqués… moi qui avais passé ma vie le nez au ciel, le regard dans les étoiles, en ignorant mes semblables tellement j’étais absorbé par ma quête de l’invisible, eh bien, j’ai compris que les étoiles les plus importantes n’étaient pas dans le ciel, mais à ma hauteur !

Cet enfant, ce Dieu qui avait choisi de devenir une de ses créatures, voici ce qu’il m’avait appris : que les étoiles étaient juste sous mon nez, qu’elles brillaient à hauteur d’homme. Moi qui cherchais les signes divins au ciel, je les ai trouvés sur terre, en baissant les yeux, pour la première fois. Et plus jamais je n’ai regardé la terre de la même façon… Plus jamais je n’ai regardé les hommes de la même façon… Mes yeux avaient trouvé leur demeure, et leur vocation…

Pour cela, il m’avait suffi du regard d’un enfant, d’un Dieu qui avait jugé les hommes dignes de le recevoir.

Alors je vous le dis, mes enfants, comme je l’ai dit un jour à vos parents : ne scrutez pas le ciel pour tenter d’apercevoir Dieu, il est ici, autour de vous. Vous êtes entouré d’étoiles, autant de signes dans lesquels vous pouvez reconnaître la main de Dieu, les paroles de Dieu, le sourire de Dieu, ou les larmes de Dieu. Regardez toujours à votre hauteur, à hauteur d’homme, à hauteur de terre, et je vous le promets, vous verrez Dieu…

Soyez, comme l’a été votre grand-père un jour, des chercheurs d’étoiles, des chercheurs de signes, des chercheurs de Dieu. Ouvrez bien grand les yeux, partout autour de vous brillent des étoiles… dont vous faites partie… mes petites étoiles…