Point KT

Gad, le petit berger

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 La nuit est fraîche. Le ciel est clair, et c’est le printemps. La plaine près de Bethléem s’est recouverte avec les pluies d’un tapis verdoyant et fleuri. Les arbres, oliviers, amandiers, orangers, citronniers, et autres se sont habillés de vert, de blanc et de rose. La nature sent bon. Les troupeaux se sont regroupé pour la nuit, et profitent du calme pour se reposer avant de reprendre leur marche vers le sud le lendemain. Les bergers se sont endormis, enveloppés de leur cape, la tête calée sur une pierre. Tout le monde dort.

Gad, le plus jeune des bergers, s’est endormi, fatigué par la marche ininterrompue depuis trois semaines. Il a 10 ans.
Gad a quitté la maison pour apprendre avec son oncle le métier de berger, avant d’apprendre celui de son père, qui est éleveur et marchand de chèvres et de moutons.
Son oncle Elias n’est pas très aimable avec Gad. Il ne cesse de lui répéter qu’il est petit, chétif, maladroit, et stupide. Gad souffre, et il aimerait bien revenir chez lui auprès de sa mère, de sa tante et de sa grande sœur, dont il est le préféré, mais Gad doit apprendre son métier afin de pouvoir subvenir au besoin de sa famille, en vue d’épouser sa cousine Noémie dans moins de 4 ans.
Gad  fera sa bar-mitsva l’année prochaine à l’automne, puis ce seront les fiançailles, et le mariage. Pour cela il doit grandir et apprendre.

Gad ne ressemble à personne. Ses cheveux sont roux, ses yeux sont verts. Il est petit, et son corps est chétif. Il aurait aimé devenir commerçant, mais dans sa famille on devient éleveur et berger de père en fils.

Cette nuit-là, malgré le calme apparent, quelque chose se prépare. Les animaux sont anormalement agités. Josué, le vieux berger, ne trouve pas le sommeil lui non plus. Il repasse sans cesse en revue tout ce qu’il a fait, et tout ce qu’il lui reste à faire. Et le petit Gad lui donne du souci. Pourquoi cet enfant si chétif est-il si différent de tous ? Pourquoi personne ne l’aime ? Pourtant, c’est un bon garçon et il apprend vite. Mais ses maladresses le rendent antipathique aux yeux des autres, et il a bien du mal à le protéger. Josué cherche sans trouver de solution le moyen de donner une vraie place au jeune homme. Josué, inquiet, se lève et va vérifier que Gad est bien à l’abri près d’un rocher et qu’aucun mal ne peut lui arriver. Gad dort d’un sommeil profond, enroulé dans son manteau. Josué retourne auprès du troupeau.

Il n’a pas le temps de se recoucher quand soudain, le ciel s’éclaire comme en plein jour. Il lève les yeux et est aveuglé par une lumière blanche. Puis c’est une armée de ce qu’il appelle des anges, qui chantent et lui disent d’aller à Bethléem. Là l’attend le sauveur du peuple. Un Roi leur est donné. Tout le campement est maintenant debout. Tous sont assourdis et aveuglés. A peine le temps de réfléchir et tout a disparu comme par enchantement. Nathan, le berger le plus solide, homme à forte personnalité, décide qu’il faut suivre la voix du ciel.

-« C’est Dieu qui parle. Il n’y a pas une minute à perdre. Levons le campement sans attendre, et partons immédiatement voir le futur roi et ses parents. »

-«  Tu as perdu l’esprit, lui lance Josué rouge de colère. Jamais on ne va y arriver avant l’aube. Et puis il a les agneaux. Et Bethléem est à cinq heures de marche. C’est une folie, et cela ne va rien changer. Recouchez-vous. Demain est un autre jour, et on décidera de ce que l’on doit faire. Et l’enfant ne va pas s’envoler. Josué, je te parle. Écoute-moi je t’en prie. »
Josué n’a pas le temps de finir sa phrase que déjà hommes et animaux se mettent en route.

Dans la précipitation et l’excitation du départ, causé par la nouvelle assourdissante des messagers de Dieu, tout le monde a oublié Gad, qui dort toujours profondément roulé dans son manteau jusqu’au sommet du crâne. Pas un de ses cheveux roux ne dépasse. Il a pris cette habitude pour se protéger de la fraîcheur de la nuit et des insectes volants.

A l’aube, trois heures plus tard, Gad s’éveille. Il court vers le campement. Personne n’est là. Gad ne comprend pas.
Pourquoi ont-ils tous disparu ?
Pourquoi personne ne lui a rien dit ? On aura sans doute voulu se débarrasser de lui, tant il est chétif, maladroit, et laid avec ses yeux vert, ses cheveux roux, et sa peau constellée de taches de rousseur.

Gad, s’assoie sur une pierre et réfléchit. Non, il ne va pas se laisser abandonner. Il va les retrouver et leur prouver qu’il peut les suivre bien au-delà de ce qu’ils auront imaginé. Gad sort de sa poche une petite pierre gravée. Josué la lui a donnée afin qu’il ne se perde jamais et qu’il puisse avoir une idée du chemin à prendre au cas où il se retrouverait seul.

Gad se met en route avec la certitude que le campement a pris la route du sud, dans la direction de Bethléem. C’est le recensement et puis l’herbe aux abords de la bourgade est plus abondante, mais pourquoi Josué ne lui a-t-il rien dit ?

Gad marche seul. Le jour se lève. Il fait presque jour. Soudain un bruit le fait sursauter. Une pierre roule. Gad se retourne. Il aperçoit à ses pieds un énorme serpent qui se faufile vers lui. Gad ne bouge plus. Il retient son souffle. C’est une race venimeuse, sorte de vipère grise très dangereuse. Gad a une idée. Il se baisse lentement et sans bruit. Il ramasse la plus grosse pierre qu’il trouve près de lui, et la lève au-dessus de sa tête. Il attend le serpent quelques instants. Lorsqu’il arrive à ses pieds, sans penser une seule fois à sa maladresse habituelle, il la lâche sur l’animal. La pierre tue le serpent, et Gad prend ses jambes à son coup.

Un peu plus tard, Gad se rend compte de son exploit. Il a bien tué le serpent, mais avant tout il n’a pas eu peur un seul instant. Gad reprend ses esprits et son chemin vers le sud. Au bout d’une bonne heure de marche, Gad ne s’aperçoit pas que la piste est devenue minuscule et qu’elle disparaît soudain. Gad se retrouve au bord d’une falaise. Elle est si haute, que la contourner pour passer de l’autre côté serait une perte de temps et une folie. Gad, malgré sa peur, s’engage vers le haut de la falaise et commence à la descendre avec prudence. Son pied glisse. Il dérape et glisse. Mais il trouve une grosse pierre qui dépasse et il s’y accroche. Il est dans le vide.

– «  Hum ! Je suis petit mais je vais y arriver. Je ne suis pas stupide, ni maladroit. Je suis souple et léger. » Lance-t-il comme un défi à la falaise. Sa voix résonne et l’écho lui revient. Gad est rassuré. La falaise lui a répondu. Il se concentre et cherche où poser l’un de ses pieds. Ils battent dans le vide, jusqu’au moment où il pose l’un d’entre eux sur une pierre qui dépasse. Gad reprend son souffle. Il recommence avec prudence sa descente. A nouveau les pierres glissent et se dérobent sous lui. Il manque de tomber plusieurs fois, mais jamais il ne regarde en bas. Il cherche, tâtonne, essaie, se contorsionne. Au bout d’un temps qui lui semble interminable, il arrive enfin au pied de la falaise. Il y avait autrefois une rivière. Celle-ci est sèche. Il traverse le lit de la rivière à pied sec, et s’engage dans la plaine qui s’étend à perte de vue. Le campement est loin. Il ne les rattrapera jamais. Il espère qu’il a pris la bonne direction. Tout son corps lui fait mal. Mais il faut continuer et marcher jusqu’à Bethléem.

Il y a au moins trois heures qu’il cherche à les rejoindre. Sans succès. Le soleil est haut et il commence à faire très chaud. Gad a soif, mais il ne lui reste presque plus d’eau. Il a faim. Il finit ses dattes sèches et son morceau de galette. Il va falloir tenir encore deux bonnes heures si rien ne lui arrive d’ici là.
Gad n’a pas pensé à prendre un bâton. Il n’en aura pas besoin. Mais dans sa poche il découvre un morceau de ficelle. A quoi cela pourrait bien lui servir ?
Il veut la jeter mais par habitude et prudence il la remet dans sa poche. Il regarde autour de lui. Il n’y a rien. Seuls quelques arbustes secs et une prairie fraîche traversée par une piste qui conduit sans doute à Bethléem.

Gad reprend sa marche. Il a de plus en plus soif et de plus en plus chaud et faim. Mais ses forces ne diminuent pas. Pas encore. Il lui reste moins de deux heures. Il faut arriver avant la onzième heure. Gad accélère, et avale les kilomètres. Il ne regarde ni à droite ni à gauche, jamais derrière lui comme le lui a enseigné Josué, mais droit, toujours droit devant lui.

Au moment où il s’y attend le moins une bête sortie d’on ne sait où fonce sur lui. C’est un petit cheval du désert. L’animal va si vite qu’il n’a pas le temps de se coucher et de se rouler en boule pour ne pas se faire piétiner. Il ne l’a pas vu venir. D’où vient-il ? Se protéger c’est tout ce qu’il doit faire. Le cheval arrive à toute allure sur lui. Gad a juste le temps de se jeter sur le côté en contrebas de la piste. Il roule et dévale la pente et s’écorche la jambe. Le cheval est passé, et il le regarde poursuivre sa course folle. Ce qu’il n’avait pas remarqué c’est un autre cheval avec un cavalier lancé à sa poursuite. L’homme ne le voit pas, et lui passe presque sur le corps. Gad croit sa dernière heure venue, et il perd connaissance.

Un peu plus tard, il revient à lui et se rend compte qu’il est tout ensanglanté. Sa jambe le fait souffrir. La plaie est profonde. Gad déchire alors un pan de sa tunique, et sort la ficelle qu’il avait gardée dans sa poche. Il lave la plaie avec sa salive, et entoure sa jambe et serre le tissu très fort à l’aide de la corde juste au-dessus de la blessure. Puis il se relève, et reprend sa marche. Il aperçoit non loin de là un long morceau de bois. Gad s’en empare, s’y accroche et reprend sa course folle vers le sud. Gad sent de moins en moins la douleur.

Enfin les maisons de Bethléem sont en vue. Il aperçoit une longue file d’hommes et de femmes, d’enfants montés sur des mulets, qui viennent de l’ouest et qui se dirigent aussi vers la bourgade. Y aurait-il un événement en ville, ou est-ce simplement le recensement qui est la cause d’un tel déplacement ? Gad rejoint le groupe, et le suit. Un homme lui donne de l’eau, et l’invite à monter sur son mulet. Il refuse, prétextant que tout va bien.
Il n’a pas mal. Ce n’est pas vrai. Il est grand, fort, solide, souple et rusé, maintenant il le sait. Une petite fille joue avec ses mèches de cheveux roux, et crie,
– «  Feu, feu, papa, feu, feu. »
Tout le monde se retourne sur son passage et le laisse passer en le regardant avec méfiance. Gad en profite pour se faufiler dans la foule. Arrivé au cœur de Bethléem, d’instinct il se dirige vers une auberge, la seule apparemment ouverte. L’endroit est bruyant. Il croit reconnaître la voix tonitruante du grand et fort berger, Nathan. Gad n’entre pas mais se dirige vers l’endroit où se trouvent les animaux.
Là, quelle surprise. Il y trouve une foule immense. On se bouscule, on s’avance. On regarde. Gad veut voir. On le laisse passer. Ses cheveux roux sans doute lui permettent de se faufiler et de se frayer un chemin.

Enfin, à son tour, il peut voir la scène. Un enfant couché dans la paille, et ses parents qui le protègent des regards ou de ceux et celles qui pourraient lui vouloir du mal.

Soudain, une  main se pose sur son épaule.
– «  Et gaillard. Ne pousse pas. Regarde c’est notre futur roi. Celui que les messagers du ciel nous on annoncé cette nuit. Toi aussi tu es venu voir ? »
Gad surpris se retourne, et découvre le visage de Nathan. Ils se font face. Mais soudain Gad se rend compte qu’il n’a pas à lever les yeux pour le regarder dans les yeux. Nathan ne le reconnaît pas. C’est Josué qui croise sont regard dans la foule et le voit.
– « Gad, mais que t’est-il arrivé ? Je me suis fait un sang d’encre. C’est bien mon petit, tu es là. Mais dis-moi, tu es devenu un homme. Mon Dieu. C’est impressionnant. Que tu es grand et beau, mon fils. »
Gad se jette dans ses bras et ajoute en souriant.
– «  Je suis grand, beau, roux, mais habile, malin, rusé, fort, et souple. Que dis-tu de cela mon oncle ? »
Josué s’exclame. Nathan et ses amis sont éberlués. Gad est devenu en l’espace d’une nuit un homme, un bel homme, roux mais fort, grand, beau, intelligent, souple et malin.

Tous restent bouche bée. Rien n’est à dire, et rien d’autre n’est à ajouter. Josué prend son neveu par le bras et l’invite à son tour à contempler le roi d’Israël, le fils du très haut, et ses parents. Il est heureux, et pense tout au fond de son cœur que décidément cette nuit de printemps restera à jamais gravée dans sa mémoire d’homme. Belle et douce comme une vraie nuit de printemps, celle de toutes les naissances.

Crédit ; Point KT