Le conte de Daniel PRISS « Gringaël, le petit ange musicien » se raconte avec des illustrations musicales à l’orgue.
Les Grecs anciens s’imaginaient le monde des dieux, similaire au monde des hommes, avec leurs querelles, leurs jalousies, leurs disputes. Chez les chrétiens, cela n’est pas possible, car il n’y a qu’un seul dieu. Il ne pourrait pas se disputer avec lui-même… Mais il y a les anges… Ah les anges… on prétend qu’il y a une multitude d’anges… Nous nous sommes imaginés un scénario céleste mettant en scène des anges au comportement peu angéliques… Dans le monde céleste, les anges n’ont pas tous le même métier. Il y a les anges facteurs, ceux que l’on envoie transmettre des messages, les anges secouristes appartenant à la section de la croix blanche, les anges gardiens regroupés dans des commissariats, les anges pompiers ou les anges protecteurs etc. Toutes sortes d’anges avec des fonctions différentes. Bien entendu, il y a aussi parmi eux des chefs, tels l’ange Gabriel ou l’ange Michael…
Mais il y a un métier que nous venons d’oublier, c’est d’ailleurs ce dernier, qui est le plus souvent représenté sur les tableaux des grands maîtres. Nous voulons parler des anges musiciens. Car voyez-vous, le ciel n’est pas un bel endroit, qui serait si beau au point d’être ennuyeux. C’est au contraire un lieu plein de vie où l’on chante et l’on danse… et pour cela il faut bien entendu, des musiciens. Il y a en effet un bel orchestre céleste avec une multitude d’instruments.
Tenez, il y a par exemple des flutes… (Orgue)
Des trompettes… (Orgue)
Des hautbois… (Orgue)
Et il y a des contrebasses… (Orgue)
L’un des contrebassistes se nomme Gringaël. Il porte ce nom car il est de petite taille et un peu chétif.
C’est un petit ange, qui joue d’un gros instrument, de la contrebasse.
Son instrument est tellement grand qu’il disparait derrière lui, seules ses mains agiles apparaissent et bien entendu les pointes de ses ailes. Gringaël, aime beaucoup son métier de musicien. Selon lui, la contrebasse est le plus bel instrument de l’orchestre. En effet, la contrebasse est un instrument plein de rondeur et de profondeur, écoutez…
C’est un instrument qui peut descendre très bas, écoutez (Orgue joue un Do)
C’est un contre Ut (Orgue joue un La – tierce descendante)
Un contre La. Et il peut descendre jusqu’au… Mi (Orgue joue un mi – quarte descendante)
Malgré sa petite taille, Gringaël joue l’instrument le plus grand, le plus fort de tout l’orchestre. Oui le plus fort car c’est sur lui que tout l’orchestre repose. La contrebasse est à l’orchestre ce que sont les fondations à une maison. Si une tuile venait à tomber, il n’y aurait pas péril dans la demeure, mais si les fondations venaient à fléchir…
Il en est de même pour les basses de l’orchestre. Si elles venaient à ne plus être audibles, l’orchestre perdrait toute son assise, son corps, sa rondeur.
Gringaël est fier de son instrument, mais parfois un peu triste.
En effet, quand l’orchestre est invité au 7e ciel, pour jouer devant le Père en personne, les anges flutistes s’envolent, occupent les airs, et portent la mélodie jusqu’au bout du firmament… Les anges trompettistes réveillent toute la population céleste… Les anges gambistes invitent à la danse, et tout ce monde forme une immense farandole… Mais lui, avec son gros instrument, ne peut pas bouger, il est rivé au sol, il fait doum, doum, doum sur les rythmes de jazz, alors que tout le monde vole et danse. Et bien entendu, quand le public applaudit c’est toujours, et c’est le cas de le dire, les yeux rivés au ciel… mais jamais tournés vers lui. Son rêve aurait été un jour de jouer la mélodie. Etre l’un des solistes. Mais ça c’est réservé aux autres. Son rôle est limité à des doum, doum, doum.
A la droite de Dieu, est assis son fils. Il parle souvent le dimanche du serviteur inutile : du premier qui serait le dernier et du dernier qui serait le premier. Gringaël se reconnait dans ce dernier, rivé au sol derrière sa contrebasse. Plus le public acclame l’orchestre plus il a envie de pleurer… Un jour, il y eut un grand remue-ménage céleste. Une nouvelle ne cessait de circuler de bouche à oreille, et le téléphone céleste était saturé. Dieu avait décidé d’envoyer son fils sur la terre. Bientôt, la nouvelle fut confirmée et Dieu rassembla tous les anges pour une Assemblée Générale extraordinaire.
Après une courte introduction, les rôles furent distribués à chacun. L’ange Gabriel fut désigné pour veiller aux bons préparatifs et, s’il le fallait, devait agir en urgence. Les autres devaient se préparer pour le jour J.
A chacun des musiciens fut confié de visiter la terre, d’écouter les musiques des hommes et de composer l’hymne de la venue du Christ.
Tous les anges se mirent en route et voyagèrent à travers de nombreuses contrées, ils visitaient les grandes villes et les palais royaux. Mais Gringaël était fort handicapé avec son énorme instrument, plus grand que lui. A peine arrivé sur terre, il ne put faire cent pas… une fois de plus il était le dernier, celui qui est à la traine, celui que tout le monde oublie. Alors que tous les autres anges découvraient avec enthousiasme les merveilles de la terre, Gringaël était, quant à lui, assis sur un rocher et pleurait.
Soudain un enfant, un petit berger le vit. Il se tint tout d’abord à distance, puis s’approcha doucement. Il finit par s’assoir à côté de lui. Le voyant si triste il tenta de le consoler. Veux-tu que je te dessine quelque chose ? demanda le petit berger. Oui, répondit Gringaël, dessine-moi un mouton. Sur le sable l’enfant dessina un mouton. Les larmes cessèrent de couler, Gringaël esquissa même un sourire de gratitude. En réponse, le jeune berger sortit de sa besace une petite flûte en bois et lui joua un air…
Orgue très lentement en rubato comme une berceuse avec un registre doux et médium : Gloria…
De retour au ciel, la consolation du petit berger semblait bien lointaine ; en effet Gringaël n’avait pas quitté son rocher et n’avait rien vu des contrées terrestres. Les autres anges étaient intarissables, ils ne cessaient de compter leurs récits de voyages.
Soudainement la cloche céleste se fit attendre : les anges voyageurs étaient invités au 7e ciel pour présenter au père céleste leurs trouvailles. Comme à son habitude, Gringaël se plaça au dernier rang et plus que jamais sa mine était triste. Les flûtes jouaient des chants royaux, les trompettes des airs magistraux, les cymbales et les timbales des marches entrainantes… Et Gringaël n’avait rien à présenter. Il était le dernier à passer l’audition et quand ce fut à son tour de jouer, il resta silencieux : de toutes façons, son instrument n’était pas un instrument de soliste et les autres se seraient moqués de lui.
Le père conclut le temps d’audition et resta pensif… Personne ne comprenait…
Puis après un long temps de silence, il s’adressa à ses anges musiciens en ces termes : c’est très beau tous ces airs que vous m’avez interprétés, des airs majestueux, des airs royaux, mais ce ne sera pas dans un palais que mon fils va naitre, ce n’est pas dans une cour princière qu’il va grandir… C’est parmi mon peuple, mon vrai peuple, ceux qui sont brunis par le soleil, mouillés par la pluie, ceux qui labourent la terre et gardent les bêtes dans les prés. Ce sera même dans une étable qu’il naitra, et c’est à mon peuple que je m’adresserai en premier et leur annoncerai la bonne nouvelle. Aux paysans, aux artisans, aux bergers… C’est une musique du peuple qu’il me faudrait, et non une musique de palais, tels les chants chantés le soir dans les désert par les nomades qui gardent les troupeaux.
Gringaël avait été le seul à ne pas voyager, mais il était aussi le seul à avoir entendu un chant de berger. C’est alors qu’il fit entendre la voix grave de son instrument… Dans un registre de basses, l’orgue joue le refrain de « Les anges dans nos campagnes »…
Le visage du père se détendit, le fils sourit, les autres anges petit à petit se mirent à jouer avec lui, les flutes… les trompettes… les hautbois… (L’orgue reste sur le refrain, et enrichit ses jeux).Puis pour finir, toute l’assistance des anges se mit à chanter :
Avec l’assemblée :
Les anges dans nos campagnes …
Crédits : Daniel Priss (UEPAL),© Jazzophone 2012 / 2020, Point KT – photo Pixabay