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L’enfant nourri aux sept laits

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L’enfant nourri aux sept laits
(d’après un conte tadjik cité par Luda, extrait de « Contes et saynètes de Noël rassemblés par Marie-Bénédicte de Villenfagne Éditions Fidélité)

Il y a de cela bien longtemps, vivait un jeune roi très ambitieux. Ce roi était marié et sa jeune femme, la reine, attendait un bébé. Le roi voulait un fils. Un fils pour lui succéder, un fils fabuleux, un fils qui serait plus connu, plus craint, plus respecté que l’empereur lui-même.
Un fils tellement génial, tellement à l’image de son père qu’il deviendrait le roi de toute la terre. Et du ciel aussi, d’ailleurs. Oui, le roi imaginait déjà son fils honoré par le monde entier. Tous les marquis, les princes, les rois et même les empereurs s’inclineraient devant son fils. Les étoiles même… Enfin, bon ! Faut peut-être pas trop exagérer. Encore que…
Mais comment faire pour que le bébé à naître soit vraiment exceptionnel ? De l’aube au crépuscule et du crépuscule à l’aube, la question tracasse le roi. La jeune femme, son épouse, s’arrondit. Déjà elle gazouille des mots d’amour en caressant son ventre. Cela agace le roi au plus haut point : son fils va devenir débile en entendant ces fadaises ! Aussi convoque-t-il un sage très illustre pour donner des leçons de mathématiques et de philosophie politique devant le ventre de la reine. Là, à coup sûr, son fils sera brillant.
Deux mois plus tard, lors d’une chasse, le roi a l’inspiration, la réponse à la question qui n’arrêtait pas de le tarauder : « Que faire pour que mon fils soit un être exceptionnel ? » Mais c’est absolument évident ! Tout dépend non seulement de l’environnement, mais aussi de la nourriture !…
Trois semaines plus tard, la reine met au monde son bébé. Un fils ! C’est un fils. Le roi est fou de joie. Il déclare aussitôt : « Aucune femme au monde, fût-elle la mère de mon fils, n’est digne de la nourrir. Il recevra les sept laits qui feront de lui un être exceptionnel, un être divin. »
Son conseiller s’étonne : « Quels sont ces sept laits, seigneur ? »
« Mon fils sera nourri

  • au lait de tigresse pour qu’il obtienne la puissance du tigre,
  • au lait de chamelle pour qu’il devienne sobre comme le chameau traversant le désert,
  • au lait d’éléphante pour obtenir la mémoire et l’intelligence,
  • au lait d’ourse pour qu’il en ait la force,
  • au lait de lièvre pour avoir sa rapidité,
  • au lait de jument pour qu’il en ait l’élégance,
  • au lait de chatte pour que sa vue soit perçante même dans l’obscurité

C’est le mélange de ces sept laits qui fera de mon fils le roi du monde ! »

Ainsi ordonné, ainsi fait. Le bébé est soigneusement nourri du mélange de ces sept laits. Et l’enfant grandit.
Alors que l’enfant a six ou sept ans, arrive au palais de son père une étrange caravane. Les chameliers ne vendent ni n’achètent quoi que ce soit. Leur chef est un vieux mage-astrologue.
Accueilli par le roi, l’astrologue explique qu’il a vu apparaître une étoile étonnante, une étoile annonciatrice d’un personnage important. Peut-être le personnage le plus important que la terre ait jamais porté.
C’est pour rencontrer ce personnage que le vieil homme s’est mis en chemin. Or, depuis peu, l’étoile a disparu. L’astrologue demande : « Est-ce donc ici, dans ce palais, qu’est né cet être divin ? Je cherche un futur roi, peut-être un empereur, en fait je ne sais pas exactement qui se trouve au bout de ma quête… »

Le roi est fou de joie. Il le savait que son fils allait être quelqu’un d’exceptionnel. Et en voilà la confirmation. Même les étoiles chantent les louanges de son fils !
« Entre, grand Sage, daigne franchir le seuil de ma maison. C’est ici que prend fin ta longue route. Mon fils est celui que t’a désigné l’étoile. Nourri aux sept laits, il est le soleil parmi les étoiles, le lys parmi les pâquerettes, l’albatros parmi les moineaux. Entre, et dévoile-moi le fabuleux futur destin de mon fils ! »

Le vieil homme s’installe donc dans le palais avec sa longue vue et ses parchemins aux formules astrologiques compliquées. Il observe aussi longuement le fils du roi…
Au bout de sept jours, l’astrologue se présente devant le roi pour prendre congé. « Merci de ta généreuse hospitalité. Il faut continuer pourtant à mettre la route sous mes pieds ; il me faut continuer à chercher l’être exceptionnel que l’étoile annonce. »
« Mais… et mon fils ? » balbutie le roi.
« Ton fils n’est pas celui que je cherche. »
« Comment ? Mais tu n’y penses pas une seule seconde ! Je t’ai bien confié tous les atouts que j’ai mis dans son jeu ! Souviens-toi que je l’ai fait abreuver des sept laits ! »
« Prince, je vais te parler en toute franchise et amitié : tu as pourri ton fils. Par ta faute il a la férocité du tigre, la lippe boudeuse du chameau, la balourdise de l’éléphant, la stupidité de l’ours, la lâcheté du lièvre, le caractère capricieux du cheval rétif et la perfidie du chat. »
« Comment peux-tu dire cela, à moi qui t’ai accueilli ? Crains mon courroux. Je vais t’écrabouiller comme une vermine! »
« Non, réplique le vieil homme, non, je n’ai pas peur de ton courroux, parce qu’il dit ta déception. Mais, au fond de toi, tu sais que je dis vrai. »
« Qu’a donc de plus que mon fils ce roi que tu cherches ? »
« Je te l’ai dit, je ne sais pas exactement ce qu’il sera. Mais je sais qu’il sera nourri de l’immense tendresse et du lait de sa mère, du lait humain, et qu’il sera pleinement homme. Pleinement homme sûrement mais, à voir l’étoile, je sais qu’il sera bien davantage encore… »

D’un signe de la main, le vieil astrologue remet sa caravane sur la route. Et à ce moment précis, dans l’immensité du ciel réapparaît l’étoile. La tête levée vers l’astre revenu, le vieil homme entend la voix du petit prince :
« M’sieur, dis, M’sieur, je peux venir avec toi ? Dis oui, M’sieur, s’il te plaît… »

Mise en scène à télécharger ici

Crédit : Ulrike Richard-Molard (UEPAL) – Point KT