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Une démarche catéchétique à partir de Job 38

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ImageLe livre de Job est un monument insolite dans le paysage biblique. Il se présente, par son début et par sa fin, comme un conte une peu « merveilleux » qui met en scène Dieu et un « fils de Dieu » adversaire (un shatân) . Ainsi, un homme – et sa fidélité à Dieu- sont l’objet d’une compétition entre Dieu et cet adversaire ; et c’est Dieu qui gagne grâce à la droiture de son héros, Job.

 

 

Dans ce conte merveilleux est enchâssé une longue discussion entre Job et 5 personnages : sa femme, trois amis et un quatrième ami. C’est en fait un débat très sérieux, voire dramatique, sur la question de l’origine du mal.
Les exégètes ont depuis longtemps (dès l’époque des prophètes de l’AT) fait la différence entre la partie conte et la partie discussion. En résumé : le conte populaire existe dans la culture ambiante, un auteur du 6e siècle av. JC (dans le cadre de l’exil du peuple juif à Babylone, catastrophe religieuse et humaine qui a ébranlé, voire anéanti, l’idée du Dieu protecteur du peuple) reprend ce conte et l’adapte, pour dire aux exilés accablés que Dieu dans sa sainteté compte, contre toute apparence, sur la fidélité des croyants dans l’épreuve. Mais il profite de ce conte pour déployer une vision différente, neuve, au sujet de Dieu : le Dieu saint n’est pas en notre pouvoir, il n’est pas un instrument au service de notre bien-être et qui fait mal son travail quand ça va mal pour nous. Il est le Dieu saint, sur lequel nous n’avons pas prise, dont nous ne pouvons pas percer le mystère, qui ne peut être amadoué ni par nos bonnes œuvres, ni par nos pratiques religieuses (les offrandes, la confession de culpabilité…). Deux pistes, vastes perspectives pour la foi, se dégagent : la persévérance dans « l’option pour la vie » (persévérer dans le désir de vivre), et le maintien dans la parole (rester un homme parlant). Je dirais : résister au mal en mettant la souffrance en mots, toujours de manière incomplète et imparfaite, mais en renonçant aux « explications » sociales, médicales, religieuses ou imaginaires qui nous enferment, et en s’ouvrant à la grandeur inaccessible de Dieu qui, contre les apparences, n’est pas étranger à notre condition d’humains.
Job (celui du « débat ») suggère finalement de « chercher le chemin de la louange » plutôt que de s’abîmer dans le sentiment d’injustice (et dans son corollaire : le « sentiment de culpabilité »).

 

Première animation

Le passage de la tristesse à la joie

Prendre des extraits de Job 38, 39, 40 et 41 (et/ou dans Genèse 1) se référant aux domaines de la création :

  •  les éléments naturels air, eau, terre, feu et lumière, y compris la tempête et le cataclysme ;
  •  les plantes ;
  •  le ciel et les astres ;
  •  les animaux, domestiques et sauvages ;
  •  l’humain et ses diverses capacités et faiblesses.

Puis les rendre « présents » (on s’éloigne alors du texte même de Job) aux enfants par
l’image, le récit, l’expérimentation (dans la mesure du possible et du raisonnable !).
Les enfants savent eux-mêmes « dire et raconter », le/la catéchète élargit, fournit des exemples, rend possible l’expérimentation.
L’expérimentation peut consister en ceci : s’exercer à passer de l’expression de la tristesse à celle de la joie. Par ex. : le/la catéchète s’assied, prend un air triste, puis « voit » les enfants et se laisse aller à la joie ; répéter plusieurs fois, puis proposer à l’un des enfants de prendre la place et de mimer le passage de la tristesse d’être seul à la joie d’être en compagnie.
Ou bien : un jouet (poupée, camion, assemblage de Légo…) se casse dans la main du/de la catéchète, il/elle est triste voire en colère, puis il/elle assemble à nouveau le jouet et retrouve la joie et le plaisir de jouer.
Expérimentations plus développée :

  • chercher dans des livres ou dans des revues des images représentant les divers domaines de la création, ou dans un domaine restreint ; les faire classer et commenter ;
  • visiter la salle de catéchèse, le bâtiment, les environs (en fonction des possibilités du lieu et des ressources des enfants), faire noter et classer les observations concernant les divers domaines de la création, ou dans un domaine restreint ; collecter ce qui peut l’être (feuilles, fleurs, cailloux…) ; retourner en salle et « exploiter » les fruits de la collecte en les resituant dans le monde : la feuille morte vient d’un arbre qui reverdira (qu’en est-il des arbres, de la forêt… ?), la fleur a besoin d’eau (les prés, les jardins, les parcs, la pluie, le soleil…), les animaux ont besoin de leur milieu spécifique (élevages, vie sauvage…), le travail des hommes et son effet sur l’environnement (ressources pour vivre, respect de la nature, attention aux générations futures…)
  • se documenter sur (ou donner aux enfants les moyens de se documenter sur) la réintroduction de certains animaux sauvages dans nos contrées : l’ours dans les Pyrénées, le loup dans les Alpes, le lynx dans les Vosges… ; faire peser par les enfants les arguments pour et contre : la préservation de l’équilibre naturel / la survie économique et culturelle des habitants des secteurs concernés.

Ensuite introduire le refrain (c’est-à-dire ce qui revient après les diverses évocations, y compris la mention de la solidarité et de l’aide entre humains, ainsi que des efforts de « protection de la nature ») :illustrations_Evelyne_scan-affiche_basLes difficultés et les dangers que  peut receler le monde sont évoqués, accompagnés de mesures de prudence et d’aide. Le monde, tout en étant souvent difficile et dangereux, n’est pas hostile, il est le lieu ou nous vivons.

« C’est beau, c’est bien ! Merci, mon Dieu ! », par exemple sous forme de :

  •  chant gestué (si le/la catéchète ne se sent pas d’inventer un refrain chantable, prendre une ligne analogue dans un chant existant, nouveau pour ces enfants-là),
  •  banderole ou dessin, à colorier ensemble (ou préparé d’avance) et à ressortir,
  • cri à reprendre en chœur,
  • simple geste :
  • applaudir,
  • lever les mains au-dessus de la tête « vers le « ciel »,
  • faire une ronde,
  • allumer une nouvelle bougie…
Deuxième animation

La vie sauve. Raconter (oralement et en direct, ou par un texte « à lire »…) l’histoire suivante, qui est  inventée  mais inspirée de faits réels :

« Pardesh est une fillette de 8 ans qui vit au bord de la mer, en Indonésie. Son père est un pêcheur, sa mère vend les poissons sur le marché, elle a trois frères plus âgés qu’elle et une petite sœur qui dort dans un panier en osier. Pardesh est en train de jouer sans le sable de la plage en attendant le retour de son père, parti dans sa petite barque pour pêcher en mer, loin, là-bas vers l’horizon. Et voilà qu’une immense vague s’approche. Les gens se mettent à crier et à courir. Le temps que Pardesh ramasse les coquillages avec lesquels elle jouait, et la vague est déjà là. Pardesh est soulevée par l’eau, qui l’emmène vers les arbres, puis elle est engloutie, elle ne peut plus respirer, elle n’a rien où se retenir, le courant l’entraîne, elle ne voit rien, elle est tournée et retournée dans tous les sens, l’eau et la boue rentrent dans son nez et dans sa bouche, elle a peur, elle ne peut pas crier, et voilà qu’elle distingue une branche d’arbre, elle l’agrippe et se tire vers le haut.
Enfin elle peut sortir la tête de l’eau, elle crache l’eau de sa bouche et respire à grands coups. Elle voit qu’elle s’est accrochée à un arbre entraîné par le courant. Puis elle aperçoit un grand chien noir qui surnage et qui parvient à se hisser dans les branches de l’arbre, de l’autre côté du tronc. Mais ce poids fait basculer l’arbre, Pardesh est à nouveau engloutie. De nouveau, l’eau et la boue dans sa bouche et dans son nez, elle a lâché la branche, elle se sent perdue, ses jambes, sa tête et son dos sont cognés de partout, elle se dit qu’elle va se noyer, qu’elle va mourir, et dans sa tête tout commence à devenir noir.
Mais voilà que, dans le noir, Pardesh s’étonne de voir devant elle un point de lumière qui s’agrandit, elle distingue des yeux, puis un visage : que fait là cette femme souriante, avec sa blouse blanche ? C’est comme l’infirmière du dispensaire où Pardesh est allée avec sa maman l’année dernière. Autre surprise pour Pardesh : que fait-elle dans ce lit, couchée dans des draps ? Et tous ces gens qui sont là tout à coup, cette dame avec un verre d’eau, et ce docteur qui se penche sur elle, qui lui tient le poignet et qui pose sur sa poitrine ce rond un peu froid relié par un tube jusqu’aux oreilles du docteur ? Et lui aussi, il sourit, on dirait qu’il est content !
Petit à petit, Pardesh comprend qu’elle n’est plus dans l’eau boueuse de la vague, qu’elle n’est plus en train de mourir, qu’elle est bien vivante et qu’elle se trouve dans un lit d’hôpital. Sa tête lui fait mal, et son dos et ses jambes, mais elle est vivante ! Elle ne peut pas encore parler, mais elle entend ce que lui disent l’infirmière et le docteur et la dame avec le verre d’eau. Puis elle s’endort, épuisée.
Le premier mot qu’elle prononce le lendemain, quand l’infirmière revient avec son sourire, c’est : « Papa ? Maman ? » Le sourire de l’infirmière change un peu. Elle dit que quelqu’un va venir rendre visite à Pardesh.
Vers le soir, c’est un homme qui vient. Il a l’air triste et fatigué en arrivant, mais sa figure s’éclaire quand il s’approche. Il a les vêtements sales et déchirés. Il s’assied et il dit à Pardesh qu’il est très content de la voir là. Il raconte que lui aussi était accroché à l’arbre dans l’eau boueuse, il était même assis dessus ; il a vu Pardesh sortir la tête de l’eau, puis le chien qui a fait basculer l’arbre, et alors il est à nouveau tombé à l’eau. Il s’est débattu, puis sa main s’est prise dans les cheveux de Pardesh. Avec l’autre main, il a pu s’accrocher quelque part, et puis, il ne sait pas comment, il a pu prendre pied sur de la terre ferme. Il a tiré Pardesh hors de l’eau, puis il a marché à travers les arbres en la portant dans ses bras, et il a marché jusqu’à ce village sur la colline. Quand il a déposé Pardesh dans le dispensaire, il ne savait pas si elle était vivante ou morte, il espérait seulement, et voilà, maintenant il est très content de voir qu’elle a les yeux ouverts et qu’elle respire.
Pardesh apprend un peu plus tard qu’on n’a pas encore retrouvé son papa ni sa maman ni ses frères et sœurs. La dame avec le verre d’eau, qui parle une autre langue et seulement quelques mots de la langue de Pardesh, le batak, lui promet qu’elle ne restera pas seule. »

Après cette narration, ouvrir une discussion :

  • répondre à quelques questions sur le tsunami du 26 décembre 2004 en Asie, mais ne pas se perdre dans les explications ;
  • qu’est-ce qui a sauvé Pardesh ? Dieu, le hasard ou l’homme accroché à l’arbre ?
  • qu’est-ce que Pardesh va devenir ?
  • peut-elle être contente d’être sauvée, même si elle est triste parce qu’on n’a pas retrouvé sa famille ?
  • quels souvenirs peut-elle garder de ce qui lui est arrivé ?

Pour finir, recueillir les pensées des enfants :

  • souligner la surprise de Pardesh, qui passe « directement » de la noyade au lit d’hôpital ;
  • ne pas choisir entre les explications du sauvetage de Pardesh : Dieu ou le hasard

ou l’homme, ou… ?

  • valoriser les joies et les remerciements exprimés par les enfants, sans négliger les plaintes ;

Ensuite retenir et inscrire les résultats sous forme de :

  • récits personnels,
  • dessins,
  • tableau collectif,
  • jeu de scène,
  • calicot,
  • chant (par ex. « Tu es là au cœur de nos vies »)
  • prière à propos des enfants rescapés du tsunami :

* ne pas trop facilement attribuer à Dieu le fait qu’ils aient échappé à la mort, mais lui dire merci parce que la vie ne disparaît pas ;
* dire merci pour les aides, les anonymes et les officielles
* prier pour que les survivants trouvent la force de reconstruire
* …

Troisième animation

L’histoire de Job

Lire ou faire lire l’histoire de Job sous la forme du résumé ci-joint ;

Examiner avec les enfants les personnages humains du récit : Job, sa femme, chacun des trois amis et le quatrième ; caractériser chacun d’eux ; noter pour chacun d’eux comment ils réagissent devant le malheur et quelle idée ils se font de Dieu ; et quelles « explications » ils donnent du malheur, et quelles solutions ils proposent ;

illustrations_Evelyne_demeurdieuokDessiner le monde, ou montrer un dessin préparé, quel qu’on se le représentait à l’époque de Job.

Dire aux enfants que Dieu ne reproche pas à Job d’avoir résisté ni d’avoir parlé et questionné : il lui reproche de vouloir s’élever à sa hauteur et de prétendre discuter avec lui d’égal à égal ; noter aussi que Dieu, dont il est dit qu’il parle dans l’ouragan, s’abstient de frapper Job ou de le punir : il lui parle !Demander aux enfants comment eux se représentent le monde et quels sont, pour eux, les mystères du monde qu’ils ne comprennent pas.

  • Si les enfants demandent « comment Dieu parle », revenir à Elihou, le quatrième ami, qui ne propose pas un savoir traditionnel, mais une parole qui vient du fond de son cœur, quelque chose qui souffle en lui et qui le fait parler ; peut-être est-ce comme cela que Dieu nous parle : au fond de nous, dans les pensées qui nous viennent à l’esprit ; pas dans toutes nos pensées évidemment : Elihou est dans le juste quand il dit : « Dieu est grand et nous ne comprenons pas », mais sa conclusion n’est pas bonne quand il dit : « Il traite chacun selon sa conduite, ta révolte contre lui n’est qu’une faute de plus, parce que ce sont des paroles vides. Alors, incline-toi enfin devant Dieu et rends-lui un culte ! »
  • Elihou se rajoute curieusement aux trois amis ; il ne reçoit aucune réponse de Job, et Dieu dans sa dernière prise de parole ne parle pas de lui. On peut alors se demander si Elihou ne serait pas Job lui-même, déguisé en Elihou dans le récit pour dire à haute voix les pensées secrètes et silencieuses de Job. Il est remarquable en effet qu’un certain nombre de paroles de Elihou, rendues dans notre résumé par « Dieu est grand et nous ne le comprenons pas », se retrouvent, en d’autres mots, dans la toute dernière réponse de Job « J’ai abordé, sans le savoir, des mystères qui me confondent… »

Poser ensuite la question : quelle est la parole dite par Job et que Dieu estime « juste » ? La recherche de cette parole « juste » devrait mener à la toute dernière parole de Job, puisque Dieu dans le récit critique toutes les précédentes.

Faire dire par les enfants cette dernière parole, la « juste », dans leurs propres mots ; éventuellement, leur faire comparer la parole « juste » de Job avec cette formulation plus moderne (que le/la catéchète peut réécrire dans ses propres mots) :
« Je me suis mêlé de choses qui ne me regardent pas et que je ne comprends pas. Je ne sais pas qui tu es, Dieu, je sais seulement ce que d’autres m’ont dit de toi.
Tu es trop grand, trop loin pour moi et je suis si petit. Mais je sais maintenant une chose : tu veux que je vive, même si c’est difficile. Tu veux que je sois joyeux, même si quelque fois je suis triste et en colère. Tu veux que je sois fort, même si quelquefois je me sens faible et malheureux. Je compte sur toi, Seigneur. »
En version courte : « Youppie ! Je vis, même si c’est difficile. Ah ! oui ! Je peux être joyeux, même si des fois je suis triste. Hourra ! Je peux être fort, même si je me sens faible. Merci, Dieu, tu es si grand ! »

Faire inscrire et décorer la formulation retenue :

  • en belles lettres sur de grandes feuilles (peinture, collage etc.),
  • avec des éléments naturels sur une grande planche de carton (pommes de pin, herbes, cailloux, branches, fleurs séchées etc.)
  • sur des cartons de vœux, sur des images découpées dans des revues
  • etc.

Célébrer :

  • apprendre, ou reprendre, le chant : « Tu es là au cœur de nos vies »
  • dire en forme de prière (en chœur en par alternance) la « parole juste » retenue

Notes à propos de Genèse 1 : en créant la lumière, Dieu a laissé subsister de l’obscurité ; cela laisse penser que ce qui est général et primordial dans l’univers, c’est l’état d’obscurité, l’état inerte, l’état de mort : ce qui est introduit (par Dieu), ce qui est neuf et qui vient déranger cet état de mort, c’est la vie !
C’est de ce dérangement (l’irruption de la vie vient déranger l’état de mort) que naîtrait la souffrance infligée à la vie, et le mal dans le monde ne serait que la tendance « lourde » du monde à revenir à l’état d’avant l’irruption de la vie, c’est-à-dire à l’état inerte, à l’état de mort.
À méditer.

Evelyne Schaller