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La grève des anges

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« La grève des anges », conte de Noël et pour Noël de Daniel Priss, selon une suggestion de Jean-Marc Heintz. 

La décision était prise : aucun ange ne circulera ce 24 décembre.

Ne me demandez pas pourquoi cette date et pas une autre, c’est le pur hasard. Les anges restèrent à quai ce jour-là. Rien ne transita entre le ciel et la terre. Car les anges décidèrent de faire grève.

C’est la grève ! La grève des anges.

Faire l’aller-retour entre ciel et terre sur une échelle. C’était trop difficile et trop risqué ! Ce n’était plus des conditions de travail acceptables ! Parfois avec des températures effroyables, brûlantes ou au contraire glaciales.

Non, non, jouer au messager, au service de Dieu, ce n’était plus possible. Et le salaire… n’en parlons pas, il se limite à quelques Alléluia !

Oui, les anges avaient décidé de faire grève et nous ne verrons pas d’anges dans nos campagnes !

Va, place-toi devant la porte du jardin d’Eden.
Va parler à Sarah, même si elle te rigole au nez.
Va parler à Abraham, et hop, apporte-lui un bélier.
Va et descends de ton échelle pour donner une rouste à Jacob.
Va jouer au pyromane, allume un feu pour Moïse.
Va causer à l’aînesse de Balaam.
Va préparer un repas à Elie.
Va parler à Ézéchiel.
Va calmer les lions dans la fosse de Daniel.

Va, va, va… Il y a des limites… il n’y a pas marqué la Poste ici ! dirent-ils en désignant leur front.
Non ce n’est plus possible… « Nous faisons grève ! »

Et voici les anges se promenant avec des pancartes, scandant des slogans… certains voulant même se syndiquer.

Dieu de son coté, restait silencieux.
Puis, il murmura dans sa barbe : « Si les anges font la grève… Qui s’occupera de l’humanité ? Je ne peux pas l’abandonner… Je ne peux pas les abandonner… »

Mais le vacarme céleste était devenu assourdissant, et chacun venait avec une nouvelle revendication.
Dieu était tiraillé entre l’inquiétude et le vacarme qui l’entourait. « Je vous comprends, mais comprenez-moi aussi. Nous ne pouvons pas abandonner la création. »

Mais, personne ne l’écoutait.
Il prit alors une décision.

« Soit, les anges font grève… Tant pis… C’est moi qui irai à la rencontre de l’humanité. J’irai marcher sur leurs routes, j’irai croiser leurs regards, je me confronterai au soleil qui brûle la peau, à la chaleur qui sèche la gorge, aux cailloux qui heurtent les pieds… Je vais être l’un d’entre eux, je vais connaître l’enfantement… »

Gabriel, un des jeunes anges qui était resté à l’écart de la manifestation, accepta de le précéder.

De leur côté, les anges continuaient à manifester, à revendiquer, ils étaient tellement pris dans leur élan qu’ils ne s’étaient pas aperçu du départ de Dieu… Quand soudain l’un d’entre eux dit : « Mais où est passé Dieu ? »

En effet, la place qu’il occupait était vide. Le siège sur lequel il était assis, était vide…
Où est Dieu ?
La manifestation s’arrêta nette. Les pancartes furent abandonnées, et chacun se mit à la recherche de Dieu.

Où est Dieu ?
Où est Dieu ?

Ils se mirent à allumer des lanternes en plein jour pour chercher Dieu.
L’a-t-on perdu ? dit l’un d’entre eux.
S’est-il égaré ? dit un autre.
Ou bien se cache-t-il quelque part ?
A-t-il peur de nous ?
S’est-il embarqué ?
A-t-il émigré ?

L’angoisse était de plus en plus palpable, Dieu avait disparu.
L’un d’entre eux s’écria, la voix tremblotante :
Dieu est mort, nous l’avons tué – vous et moi !
Nous tous, sommes ses meurtriers !
Mais comment avons-nous fait cela ?

Chacun se tut, il n’était plus question de grève, il n’était plus question de revendication, il n’était plus question de rien… Dieu n’était plus là….
Ils se regardèrent hébétés, désespérés…. Dieu, serait-il mort ? L’aurions-nous tué ?

Le silence se faisait de plus en plus lourd et angoissant. Certains se mirent à regretter le temps où il fallait voyager entre ciel et terre.
Plus personne n’était là pour dire : « va, va à la rencontre de l’humanité ».
Personne… personne…

Quand soudain, à l’extrémité, de l’échelle qui touchait le ciel, apparut le jeune ange Gabriel.
Nous avons perdu Dieu, il n’est plus… lui dirent-ils.

Gabriel, sourit.
« Mes amis, vous étiez tellement absorbés par votre manifestation, vos doléances, vos revendications… Vous avez oublié de regarder autour de vous.
Dieu est allé à la rencontre de l’humanité.
Il s’en est allé pour annoncer la paix aux hommes de bonne volonté.
Il n’est pas mort, au contraire, il vient de naître dans la simplicité, il vient de revêtir un habit de fragilité. Dieu s’est fait homme !
Pourquoi le cherchez-vous parmi les morts ?
Prenez vos lampes et suivez-moi. »

C’est ainsi que la multitude d’anges descendit du ciel, croisa des bergers non loin de Bethléem, et cria à qui voulait l’entendre « Paix aux Hommes de bonne volonté ».

Crédits : Daniel Priss (UEPAL), Point KT, Illustration Pixabay