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Le chant de Marie

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Qu’il est beau le chant de Marie ! Une mission lui a été confiée. Celle de mettre au monde le Sauveur de l’humanité. Alors elle chante. Elle chante son bonheur. Elle chante de tout son cœur. Un chant… magnifique !

Ce chant est parvenu jusqu’aux oreilles d’un petit garçon. Ne me demandez pas comment, je ne le sais pas. Mais cet enfant a tellement aimé ce chant qu’il ne sort plus de sa tête. Et il a eu une idée : rassembler une foule immense et la faire chanter !

Oh il n’y connait rien à la musique. Mais vous le savez, les enfants sont obstinés. Il n’arrête plus d’en parler : « je serai le chef de chœur et le monde entier pourra entendre ce chant que j’aime tant ! ».

Les admirés

Dans la ville de ce petit garçon, il y a une chanteuse. Une cantatrice pour être exact. Une dame très élégante, avec du rouge sur les lèvres et sur les ongles et puis un grand manteau. Elle chante dans les opéras du monde entier. Alors c’est elle qu’il va voir en premier !

Quand il sonne à son immeuble, la porte s’ouvre. Il n’avait jamais vu un endroit comme celui-là. Dans le couloir il y a de la moquette sur le sol et aussi sur les murs et puis de grands tableaux aux cadres dorés. Qu’est-ce que c’est chic !

Elle est là dans l’embrasure de la porte. Elle est bien plus grande que sur les affiches. Et fascinante. Et tellement belle.

  • Que veux tu mon garçon ?
  • Euh… eh bien… euh… bonjour Madame. Je voudrais faire une grande chorale pour un chant que j’aime beaucoup. Et je me disais que vous pourriez m’aider.
  • Alors ça c’est amusant ! Et quelle est cette pièce que tu as choisie ? Baroque ? Romantique ? Est-ce que c’est Bach ? ou Debussy ?
  • Euh… non Madame. Je crois qu’elle s’appelle Marie.
  • Marie… ça ne me dit rien. Qu’est-ce qu’elle a composé ?
  • Euh, je ne sais plus exactement. Elle chante parce qu’elle va avoir un bébé.
  • Ah oui je vois. La maternité glorifiée. Très peu pour moi. Ecoute, tu es bien mignon, mais je n’ai pas le temps là.
  • Mais vous allez venir chanter avec moi n’est-ce pas ?

Elle explose de rire.

  • Ah parce que tu es sérieux ? Mais non. Il n’en est pas question. Tu me vois moi ? Chanter avec toi ?
  • Mais s’il vous plait…
  • Oh mais tu commences à m’agacer. Je n’ai pas de temps à perdre avec un mouflet !

Et elle lui claque la porte au nez ! Le petit garçon reste debout devant la porte fermée quelques instants. Il descend en courant. Mais avant de sortir, il essuie ses larmes. On ne sait jamais, des copains pourraient passer par là et le voir pleurer. Puis il fait quelques pas dehors et s’assied sur le trottoir.

Les méprisés

  • Mais qu’est-ce que tu fais là mon petit ?

Il lève les yeux. C’est une grosse madame avec des habits de toutes les couleurs.

  • Pourquoi tu es triste comme ça ?
  • Je suis allé voir la cantatrice, je lui ai demandé de chanter avec moi mais elle a été méchante.
  • Allons, allons ce n’est rien.

Dit-elle en tapotant son épaule.

  • Quel drôle d’idée aussi. Qu’est-ce que tu voulais chanter ?
  • Le chant de Marie. C’est un chant pour Dieu. Je rêve d’une grande chorale que le monde entier entendrait !
  • Ne te décourage pas mon petit. Il faut croire en ses rêves. Je suis sure que tu vas finir par y arriver !
  • Ah bon ? Vous venez avec moi ?
  • Moi ? Oh non. Je ne sais pas chanter ! Et puis regarde-moi. Tu crois que les gens ont envie de voir chanter quelqu’un comme moi ?
  • Mais pourquoi vous dites ça ?
  • Oh, tu es encore un peu petit pour le comprendre, mais je ne suis pas très intéressante. Je ne suis pas très cultivée, je n’ai pas beaucoup d’argent, je ne connais pas beaucoup de gens. Non franchement, ce n’est pas pour moi…
  • Je ne suis pas d’accord !

Et le garçon s’est mis à chanter le chant de Marie. Elle non plus, elle n’intéressait personne. C’était une petite fille de rien du tout. Mais c’est elle que Dieu a choisi. Elle qui est si humble et si petite ! Parce que lui, Dieu, il voit bien au-delà de ce que les autres voient de nous.

Et les yeux de la grosse madame se sont illuminés. Oui Dieu l’aime comme elle est. Et ça lui donne envie de chanter.

  • C’est d’accord, je viens avec toi ! Mais je te préviens, je dois prendre mes enfants avec moi. Ah les voilà qui arrivent.

Et la joyeuse petite troupe se met en marche.

Les marginalisés

Quelques rues plus loin, il y a des jeunes qui portent des vestes de cuir avec des piquants. Leurs cheveux sont de toutes les couleurs, parfois très longs et parfois dressés sur leur tête. Dans leur petite radio, un homme hurle sa colère. Ils boivent de la bière et jouent avec leurs chiens.

Les gens font des détours pour les éviter. Mais notre petit garçon court vers eux.

  • Bonjour !
  • Salut euh… petit… Monsieur ! Vous auriez une petite pièce s’il vous plait?
  • Non désolé.
  • Qu’est-ce qu’on peut faire pour toi ?
  • Eh bien, je suis avec cette dame là-bas et ses enfants. Vous venez chanter avec nous ?
  • Chanter ? Nous on chante parfois mais c’est pas pour les oreilles des enfants.
  • Ce serait un chant pour Dieu.
  • Pouah ! Pour Dieu ! Alors là non, y a même pas moyen ! On est des punks nous !
  • C’est quoi des punks ?
  • On est des anarchistes, sans foi ni loi, on s’est affranchi de ce système pourri !
  • Je ne comprends pas…
  • Ben, on est en colère contre cette société qui met d’un côté les riches et les puissants, et de l’autre les faibles et les pauvres.
  • Ah ben justement, il parle de ça le chant !
  • Ah bon ?

Et le petit garçon s’est mis à chanter ce chant révolutionnaire : Dieu renverse les rois de leurs sièges, il relève les petits. Il donne beaucoup de richesses à ceux qui ont faim, et les riches, il les renvoie les mains vides.

Et les jeunes gens l’ont écouté. Intrigués, ils l’ont suivi avec leurs chiens, avec la dame et tous ses enfants. Ensemble, ils ont continué la route.

Les oubliés

Ils se sont arrêtés devant une petite maison dont presque tous les volets sont fermés. Dans le jardin, laissé à l’abandon, les plantes débordent de tous les côtés. C’est une très vieille dame qui habite là. Le petit garçon est entré. Et devinez ce qu’il lui a demandé :

  • Vous venez chantez avec nous ?
  • Mon garçon, c’est impossible ! Regarde-moi. Je suis tellement fatiguée. J’ai déjà vécu ma vie, j’ai assez chanté. Maintenant ma voix est toute cassée. Non je reste dans ma maison et j’attends. J’attends qu’il vienne me chercher. Ça fait déjà longtemps que j’attends. Parfois je me demande si Dieu ne m’a pas oubliée.
  • Mais enfin comment pourrait-il vous oublier ?

Et le petit garçon s’est mis à chanter, ce chant de consolation : Dieu vient au secours de son peuple, il n’oublie pas de montrer sa bonté. Alors non, il ne l’a pas oubliée. Il l’aime toujours autant et elle peut encore chanter, même avec sa voix toute cassée ! Et la vieille dame a accepté ! Les garçons avec les drôles de cheveux sont entrés dans la maison. Avec beaucoup de douceur, ils l’ont sortie de son lit. Ils l’ont portée dans leurs bras. Et la petite troupe s’est remise en route.

En entendant ce chant, beaucoup d’autres les ont rejoints sur le chemin. Ils sont sortis de la ville et sont montés sur une colline.

De là, ils pouvaient admirer toute la beauté de ce monde. Dans le ciel les oiseaux, les nuages et le soleil. Dans les champs les vaches et les fleurs. Les papillons et les abeilles qui butinent. Et les fourmis qui travaillent.

Et du fond de leurs cœurs, un chant est monté. Et ce chant est sorti. Tout doucement, tout joliment. Toutes leurs voix se sont accordées en un chant si doux et si puissant à la fois… Magnifique comme le créateur. Magnifique comme le Seigneur.

Crédits : Sophie Letsch (UEPAL) Image Pixabay, pour Point KT