Point KT

Le témoignage du Centurion

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Matthieu 8, 5-13 « Au moment où Jésus entrait dans Capernaüm, un capitaine romain s’approcha et lui demanda son aide en ces termes « Maître, mon serviteur est couché à la maison, il est paralysé, il souffre terriblement... »

Témoignage du serviteur

Mon nom est Caïus Minucius Félix, évidement cela ne vous dit rien ; mais j’aurai pu porter un nom plus alsacien, ou français de l’intérieur.  Il se trouve que je ne suis pas très médiatisé. Je ne fais pas partie des people invités sur vos plateaux de télé habituels. Je voudrai néanmoins vous raconter ma renaissance ou plutôt mon éveil à la vie.

Attention, je vous rassure, je ne fais pas partie de ces born again qui ont reçu l’effusion du St Esprit à un moment de leur vie, moment qu’ils arrivent à inscrire, à la seconde près, sur leur carte de visite… Je n’ai pas gagné au loto non plus ! Après tout chacun revit de manière différente… En tout cas, moi, c’était insolite, mais écoutez plutôt : « Mon métier c’est serviteur, ou dans votre langage moderne aide à domicile, homme à tout faire… Pas vraiment un esclave ni un larbin, mais quelqu’un que son maître avait affranchi et même adopté selon le droit romain ; j’étais pour lui comme le fils qu’il n’a jamais eu ! Au début, j’étais plein de fougue, hyperactif, dynamique, efficace, vous diriez de moi que j’avais la positive attitude. Mon maître était fier de moi et j’étais devenu son homme de confiance ; tout reposait sur moi !

Un jour, pourtant, je me suis retrouvé cloué sur un lit, comme paralysé, tourmenté, mon mal était profond et du coup, le corps s’est mis à me lâcher. J’ai sombré dans la déprime, plus rien ne m’intéressait, rien ne me motivait, chaque effort me semblait inutile, pourquoi se lever ? Même m’alimenter était devenu une corvée. J’ai donc fait le mort, j’étais comme brûlé de l’intérieur, la vie n’avait plus aucun sens et comme je n’étais plus productif sur le marché du travail, je m’attendais au pire ! C’est alors que mon maître m’a étonné une première fois et qu’il a dépassé les limites de sa fonction ; il a fait ce que la bonne société de l’époque n’aurait jamais imaginé : au lieu de me laisser crever dans mon coin et de s’acheter un autre serviteur sur le marché, il est sorti illico de sa maison pour moi à la rencontre d’un sombre guérisseur juif galiléen de Nazareth à la mode dont il avait entendu parler autour de lui.

Second tabou que mon maître n’a pas craint d’enfreindre, c’est qu’au lieu de convoquer ce « Jésus » chez lui comme il se devait, il a fait l’effort d’aller au devant de lui ! Imaginez le scandale à l’époque ! Un officier romain, en plein territoire occupé, s’abaisse à courir au devant d’un juif. C’est le monde à l’envers ! Que mon maître qui avait l’habitude d’être obéi au doigt et à l’œil, un adepte de l’ordre, de la discipline et de la hiérarchie, s’humilie à ce point pour moi ça m’a fait du bien ! En plus, non content d’être ridicule devant tout le village, il a appelé ce Galiléen « Seigneur ». Alors ça c’est le bouquet ! Mon maître qui a eu une idée claire de l’autorité reconnaît à ce guérisseur quelque chose que d’autres n’ont pas ! C’est que ce « Jésus » n’était visiblement pas très pressé de me guérir. Pour un rdv avec des spécialistes, il ne faut pas s’y prendre au dernier moment.

Toujours est-il qu’il aurait d’abord donné une réponse évasive du style : « Et ce serai à moi d’aller le guérir ? », comme si cela le dérangeait un peu. Non mais, quel culot ! D’autres témoins m’ont raconté qu’il aurait dit plus ou moins contraint et forcé : « Bon… Je vais aller le guérir ! »

Mon maître, hyper cool, a répondu : « Ne prend pas cette peine, ce n’est pas convenable que toi un juif pratiquant tu viennes te rendre impur sous la maison d’un païen. Dis une parole, un ordre et tout se remettra en place. » Du style, toi et moi sommes de la même trempe, nous savons nous faire obéir sans contraindre. Je n’ai jamais vraiment su ce que le Galiléen a dit à ce moment là, mais je me rappelle que j’ai commencé à sortir tout doucement de ma dépression à cet instant. J’ai commencé à réagir à nouveau au monde extérieur. Je me suis levé, j’ai grignoté un peu, je reprenais goût à la vie. Quelques heures après, mon maître est venu me rendre visite avec un large sourire. Il m’a pris dans ses bras, il en pleurait presque. Puis il m’a tout raconté. J’étais tout de même intrigué. J’ai demandé à mon maître quelle parole le Nazaréen avait prononcée, quelle formule magique, quelle manipulation ou recette miracle avait-il utilisée, combien il voulait ?

Mon maître me regardait en souriant et a dit : « Il n’a rien fait de tel, juste : Va, tu as eu confiance, qu’il t’arrive comme tu le voulais ». Soudain, j’ai compris… Tout le miracle de ma renaissance est dans la démarche de mon maître qui a osé s’humilier, se déplacer, supplier, faire le premier pas en croyant que je le valais bien ! C’est son amour pour moi qui m’a guéri. Depuis que je sais que mon maître a tellement désiré que je sorte de ma maladie, j’ai enfin trouvé un sens à ma vie, quelqu’un pour lequel ma vie vaut la peine d’être vécue. Je sais que j’existe aussi pour lui non pas pour ce que je fais, mais pour ce que je suis ! J’ai enfin trouvé ma place, mes limites et ma raison de vivre.

Par la suite, j’ai appris que ce Jésus a déplacé d’autres limites… Il a supprimé les frontières entre races et entre religions, il a fait sauter les tabous de la société et il s’est fait une spécialité dans la guérison des marginaux, des laissés pour compte, des impurs, des sans liens fixes et autres femmes de mauvaise réputation, le tout, selon lui, parce que le royaume des cieux se serait approché de tous sans exception. Remarquez, personnellement, je n’ai pas tellement la tête dans les nuages mais plutôt les pieds sur terre. Mais je sais une chose, c’est que grâce à la démarche de mon maître, ce Jésus m’a redonné le goût de l’espérance et de l’avenir.

Vous verrez, mine de rien, il ira loin celui-là, si on ne le tue pas avant ! Et encore, celui-là serait encore capable de revivre !

Crédits : Frédéric Gangloff (UEPAL), Point KT