Point KT

Quand Dieu est devenu père

image_pdfimage_print

Ne croyez pas que c’est facile tous les jours d’être un ange ! Même si les confrères sont des anges, ils ne font pas le travail à votre place. Et le Maître ne regarde pas à l’heure. Pour lui mille ans sont comme un jour… Mais de mémoire d’ange, jamais depuis l’éternité nous n’avons vécu de moments aussi bousculés que lorsque Dieu a voulu être père ! Parce que, sans vouloir lui manquer de respect, il n’avait pas vraiment d’expérience en matière de procréation. C’était une première, même pour lui. Et franchement dit, heureusement pour nous qu’il a décidé d’en rester à un fils unique !

L’heureux événement avait été annoncé depuis des siècles. Mais à la longue, personne n’y croyait plus. Pas même nous, les troupes angéliques. Parce que figurez-vous qu’il s’était mis dans la tête qu’il fallait une vraie mère à cet enfant ! ! Alors que nous aurions été des myriades à le bercer ! De plus, Dieu avait jeté son dévolu sur une femme dont la situation était plutôt délicate : elle était déjà fiancée à un autre ! Pourquoi fallait-il qu’il choisisse une femme promise à un autre ? Pourquoi elle, Marie de Nazareth ? Dieu seul le sait ! Pour le père, j’aurais compris, parce que Joseph, son futur mari, était de la tribu du roi David, d’où devait naître le Messie. Mais franchement dit, je soupçonne que l’intérêt de Dieu concernait plutôt sa généalogie, car le Joseph, il n’aura pas grand-chose à faire dans cette histoire.

Nous avons donc été envoyés en mission d’exploration pour choisir le moment opportun pour l’opération « conception ». L’archange Gabriel avait la tâche la plus délicate, celle de recueillir l’accord de Marie. Les jeunes filles aiment les anges et les écoutent volontiers. Gabriel avait un style oratoire qui convenait bien au commerce galant. Il impressionna beaucoup la jeune fille en commençant ainsi : «Je te salue, Marie pleine de grâce. Le Seigneur est avec toi. » Déjà, la voilà troublée. Et Gabriel d’ajouter : « Tu seras enceinte, tu auras un fils, tu lui donneras le nom de Jésus. Il sera grand et sera appelé Fils du Très-Haut, et le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père. Son règne n’aura pas de fin. » Gabriel savait parler aux femmes. Qui ne rêverait d’avoir un enfant promis à une royauté éternelle, et Fils de Dieu de surcroît ? Marie connaissait les prophéties de son peuple : un jour, un messie viendrait, la vierge enfanterait un fils, il serait de la lignée royale de David… Mais… elle ne s’en laissa pas conter si vite ! Elle voulait des détails : comment Dieu allait-il réaliser cela ? Gabriel tenta de préserver la pudeur et l’innocence de la très jeune vierge. Il présenta les choses dans un langage si mystérieux que même les spécialistes tentent encore aujourd’hui de le déchiffrer : « Le Saint-Esprit viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre. » En termes moins angéliques, cela signifiait : ne me demandez pas comment Dieu s’y prend, lui seul le sait. Marie accepta, mais elle avait, à juste titre, des scrupules à cause de Joseph, qui allait forcément croire – et on le comprend ! -qu’il y avait un autre homme dans l’affaire ! Aussi Gabriel dut-il aussi s’expliquer avec Joseph. Il arriva juste à temps, car Dieu n’avait pas tardé à mettre son projet de paternité à exécution.

Entre-temps, nous nous entraînions, certains pour l’hymne de louange de la grande nuit de la naissance du Fils de Dieu, d’autres pour la protection rapprochée de ses parents. L’armée et le chœur céleste se faisaient la courte échelle entre le ciel et la terre et nous étions si nombreux et si excités que nous illuminions la nuit par intermittences. Quelques humains nous ont pris pour une étoile inconnue et se sont mis à suivre notre cortège. Ils ne seraient pas déçus, ceux-là.

La nuit où Dieu est devenu père, les choses ont mal commencé. Mauvaise organisation ? Comme Dieu avait eu largement le temps de tout préparer, il vaut mieux considérer qu’il le voulait ainsi. Dieu seul le sait

Il n’y en avait qu’un à porter ce titre en Palestine, et il avait dépassé depuis fort longtemps l’heure de sa naissance, c’était Hérode lui-même ! On n’avait signalé aucune naissance royale sur son territoire ! Il rassembla les chefs des prêtres du peuple juif pour savoir où devait naître le messie. Ils lui répondirent : « À Bethléem, en Judée. » Hérode voulut envoyer les mages en espionnage. Mais Dieu le jeune Père veillait, et il fallut encore envoyer d’urgence un ange pour les prévenir de regagner leur pays par un autre chemin. C’est votre serviteur qui a eu cet honneur. Les mages prosternés avaient sorti de leurs bagages de l’or, de l’encens et de la myrrhe. Drôles de jouets pour le petit, mais qui suis-je pour y connaître quelque chose ? Je voyais l’heure tourner, et j’ai fait lever un petit courant d’air pour que le royal équipage se remette en route. Ce fut plus dur de réveiller Joseph. Qu’est-ce qu’il ronflait, le bougre ! On s’y est mis à trois, avec l’âne et le bœuf, pour une sérénade d’enfer, jusqu’à ce que je puisse lui crier dans l’oreille de fuir en Egypte. Déjà l’enfer était béant. Hérode faisait tuer les enfants de moins de deux ans dans tout son territoire. Et ce n’était que le début. On n’a pas arrêté de trembler pour le Fils de Dieu depuis cette fameuse nuit. Allez vivre ça pendant trente ans, même là où le temps ne compte pas ! Nous avions reçu l’ordre d’être discrets, et à force de voler sur la pointe des ailes, on en était devenus presque transparents, encore un peu et on disparaissait.Toujours est-il que cette pauvre Marie, arrivée au terme, dut traverser le pays sur un âne pour se rendre avec son mari à Bethléem. Ce soir-là. Marie ressentit les premières contractions, et Dieu n’avait pas réservé de chambre pour elle ! Marie accoucha dans une étable, ne me demandez pas comment. Elle emmaillota le bébé, et le coucha dans une crèche. Le Fils de Dieu sur la paille ! Quand je pense comme il aurait été bien dans nos bras angéliques ! Mais Dieu sait ce qu’il fait.
Les anges choristes, pendant ce temps, faisaient la fête dans les champs. L’armée céleste avait réveillé les bergers à force lumière et louanges. Ils en restèrent tout hébétés – on le serait à moins ! – mais ne voulant pas contrarier les célestes messagers, ils allèrent à Bethléem. Le nouveau-né savait donner de la voix comme leurs enfants. Ce serait donc lui, le Fils de Dieu ? Ils rapportèrent aux parents de Jésus la nouvelle des anges, histoire de rassurer Marie après toutes ces émotions. Jusque-là je ne vous ai parlé que du bas peuple, mais quel remue-ménage divin aussi pour les haut-places. Demandez à Marie, elle saurait vous le dire mieux que moi… Hérode, qui gouvernait alors la Palestine pour le compte des Romains, en fit les premiers frais. Il vit arriver, en ces jours, un étrange équipage tout d’or et de soie. Trois spécialistes de l’observation des astres, qui venaient pour adorer « le roi des Juifs ».

Un jour. Dieu lui-même s’est couché, ce qui ne lui était jamais arrivé. Il semblait si mal que nous avons bien cru qu’il ne se relèverait plus. C’était le jour où son Fils est mort. La terre et le ciel ont été dans l’obscurité la plus totale, pendant des heures. Et chez nous un jour est comme mille ans.

Quand on n’y croyait plus, enfin. Dieu s’est levé. Il a convoqué tout le ciel, jusqu’au plus petit chérubin, et il nous a dit : « Aujourd’hui je commence une toute nouvelle création. Est-ce que vous êtes avec moi ? » Tout le monde, sauf un – toujours le même – était prêt à le suivre ! Enfin de l’action, et du visible ! De joie et de bonheur, nous avons repris des couleurs et de la lumière. Même la terre est sortie de la nuit. Je ne sais pas si vous le voyez de là où vous êtes, l’aube du premier jour vient de se lever… Mais je bavarde, je bavarde, et je devrais déjà être parti. Aujourd’hui, je redescends, en mission commando. Il faut que je me dépêche. C’est que j’ai une pierre à rouler, moi !
(D’après Matthieu 2)

Source: « Je crois, Récits autour du Credo, Le symbole des apôtres en 30 narrations », Collectif, Ed. Olivétan, 2005

Crédit Point KT