Suite de la série de 6 articles écrits par Hervé OTT autour des émotions que la Bible évoque avec constance car elles nous parlent de Dieu et sont au cœur de notre condition humaine. Ils sont publiés ici avec l’autorisation de www.reforme.net
Quatrième d’entre elles : la tristesse
La tristesse est un sentiment dévalorisé. Elle est pourtant l’étape indispensable pour se reconstruire après une perte. Elle doit être accueillie, sous peine de se transformer en dépression.
La tristesse est l’émotion de la perte, de la déception, de l’échec, de la séparation, du deuil. C’est une énergie tournée vers l’intérieur (à la différence de la colère, par exemple). Sur le visage, elle se manifeste par les sourcils qui prennent une position oblique, les rides du front qui se plissent en forme de fer à cheval, et un abaissement des commissures des lèvres. Sans oublier bien sûr les larmes.
Une émotion mimétique
Comme toutes les émotions, la tristesse doit être accueillie par soi-même, par les autres, lorsqu’elle surgit subitement, sinon elle va s’enfouir et, éventuellement mêlée à d’autres émotions, elle risque de se transformer en dépression. En effet, la tristesse peut être neutralisée par de la colère retournée contre soi-même, de la peur ou du dégoût : la dépression nous protège alors de ces autres émotions.
La tristesse, comme d’autres émotions, peut être vécue « par délégation » : tel enfant pleure « parce qu’il n’a pas connu son grand-père » aussi longtemps que l’un de ses parents, qui n’a pas épuisé la tristesse du deuil du père, n’arrive pas à pleurer. Elle est aussi très mimétique et souvent utilisée pour donner du pathos dans un film ou un roman. Notre culture influence grandement notre perception des émotions : un bébé garçon qui pleure est forcément « en colère », alors qu’un bébé fille est « triste » (1). En tant qu’adulte, la possibilité de pleurer en public sera diversement autorisée : il est quasiment impossible à une femme japonaise de pleurer en public.
Une frustration d’amour
Accueillir sa tristesse, laisser couler les larmes, ça régénère, c’est une tension qui se relâche : tout le monde sait que, finalement, ça fait du bien de pleurer. Cela ne doit ni nous empêcher d’agir ni de rechercher à provoquer des événements qui donnent de la joie. La joie est souvent perçue comme l’inverse de la tristesse (elle peut d’ailleurs aussi provoquer des larmes !). Mais on ne peut pas « opposer » les émotions. Dans le cas des personnes qui se sentent « victimes » et se lamentent sur leur sort, il est indispensable qu’elles aient recours à leur colère pour sortir de ce statut quelquefois confortable, prendre du recul et retrouver ainsi un état plus serein et de la joie.
Pour pouvoir accueillir la tristesse des autres, de ses enfants, de son conjoint, sans la juger, il est indispensable d’apprendre à accueillir la sienne sans condamnation : toute tristesse est légitime et, plus elle est refoulée, plus elle provoquera de la froideur voire de la colère, du dégoût ou de la peur. Bien exprimée parce que bien accueillie, la tristesse ne risque pas de devenir un puits sans fond. Souvent le mari panique en voyant sa femme pleurer encore plus fort quand il lui manifeste de la tendresse, et finit par lui donner des conseils. Peine perdue. Quand l’énergie de la tristesse sera épuisée, la femme pourra remonter la pente sans peine ni conseil. L’homme, au contraire, se retire (dans sa caverne !) pour digérer, et lorsque qu’il en ressort serein, sa femme est frustrée de s’être sentie abandonnée alors qu’elle voulait lui donner de la tendresse !
L’antidote de la tristesse est, bien entendu, la « consolation » : prendre dans les bras revient à donner de l’affection, de la tendresse, de l’amour. En effet, toute manifestation de tristesse vient d’un vécu d’abandon, de séparation, de deuil qui résultent d’une frustration d’amour.
(1). Le sexe des émotions, A. Braconnier, Odile Jacob, 1996, p. 49 ss.
Le Dieu de toute consolation
L’émotion « tristesse » n’est jamais attribuée directement à Dieu et, une seule fois, il est question de YHWH qui pleure (Es 16,9). Seul Jean (11,35) mentionne les pleurs de Jésus à la mort de Lazare. Par contre, seul Matthieu mentionne la tristesse de Jésus à Gethsémané (26,37). C’est dire combien cette émotion suppose de la retenue, voire de la pudeur. Dans le premier Testament on mentionne la manifestation de la tristesse comme les larmes (et les cris) lors d’un deuil – Abraham pleure la mort de Sarah –, de grandes retrouvailles – Esaü et Jacob, Joseph et ses frères –, d’une grande souffrance liée à une situation individuelle – Job – ou au malheur du peuple (Jr 3,31 ; 31,15 ; Es 15,3-4). Les pleurs font aussi partie de la confession des fautes, avec le jeûne, les lamentations (Jg 21,2 ; Jl 2,12) dont l’excès peut être l’objet de critiques (Ml 2,3). Ainsi le salut qui est annoncé par les prophètes verra nécessairement la fin des larmes (Es 65,19 : « Désormais on n’entendra plus retentir ni pleurs ni cris »). Dans le deuxième Testament, par contre, on évoque plus souvent la tristesse en tant que telle, comme émotion qui anticipe la mort (de Jésus, Mt 17,23), la perte de bien (Mt 19,22), la perte de reconnaissance (Jn 21,17) et comme état intérieur en général (souvent chez Paul).
Face à la tristesse, aux larmes, nous avons besoin de consolation, de réconfort, provoqués par la « compassion ». Dans le premier Testament on a le même mot pour exprimer :
1) regretter ou se repentir et compatir,
2) (se)consoler et
3) se venger, preuve qu’on ne sait pas encore bien distinguer ces différents sentiments !
C’est manifestement dans le deuxième et troisième livre d’Esaïe (et dans les Psaume : 23,4) qu’on trouve pour la première fois des messages de la consolation de YHWH : « Il en ira comme d’un homme que sa mère réconforte, c’est moi qui ainsi vous réconforterai » (Es 66,13). Thème qui sera repris et très amplifié par Paul, au point d’écrire un « hymne à la consolation » (2 Co 1,3 ss) : « Béni soit Dieu le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, le Père des miséricordes et le Dieu de toute consolation ». Ici, comme déjà chez Esaïe, paternité, consolation et compassion sont un tout.
Hervé OTT
consultant et formateur en approche et transformation constructive des conflits
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