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Du temple au livre : tout un symbole

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Certains textes paraissent plus difficiles que d’autres. C’est le cas, semble-t-il, du chapitre 13 de l’évangile de Marc. Ce chapitre est appelé une apocalypse. Ce terme fait penser, de nos jours, à une période terrible de destruction, de malheur et de mort. À l’époque du Nouveau Testament, c’est un genre littéraire courant dans le proche Orient ancien qui est particulièrement utilisé dans les temps de crise. Article de Guy Balestier-Stengel

À l’opposé de la compréhension courante du terme apocalypse, le but des apocalypses est en général de promouvoir l’espérance en essayant de décrypter et donc de révéler (apocalypse veut dire révélation) les signes désignant le paroxysme de la crise c’est-à-dire sa fin.

Marc 13, qui ressemble à une apocalypse, n’a pas ce but. L’enjeu de ce texte n’est pas de donner ces signes mais de relativiser les signes et de se placer au-delà du texte dans l’après-Pâques. En effet, les évangiles, tout en racontant des événements qui font partie de la vie de Jésus, délivrent un message à un auditoire qui vit d’une part la disparition de ceux qui ont connu Jésus ou ses disciples et d’autre part des événements contemporains qui leur posent question ; dans l’évangile, nous sommes ainsi toujours sur deux époques, celle de Jésus et celle de l’évangéliste.

La fin du monde

Ce chapitre se situe à un moment charnière du parcours de Jésus : entre l’entrée de Jésus à Jérusalem, sa confrontation avec tous les représentants du judaïsme et le début de la passion (Mc chapitres 11 à 13).

Depuis son entrée à Jérusalem (Mc chapitres 11 à 13), l’élément central est le temple : tout se passe dans le temple ou autour du temple sur les chemins qui y mènent ou s’en éloignent (noter dans le texte les mouvements de Jésus et ses lieux de séjour).
Ensuite, la confrontation avec tous les courants du judaïsme est en lien direct avec le temple puisque, peu ou prou, la hiérarchie religieuse est liée à ce temple; tout n’est quand même pas perdu pour eux comme le montre le scribe de 12,28-34 (faire la liste des gens que rencontre Jésus).

Enfin, la figure du figuier qui ne donne pas des fruits en tout temps, représente aussi le temple et l’absence du don des fruits des vignerons homicides (12,1-12). La base du judaïsme est déviée et le temple, à l’image du figuier, est condamné. II n’est donc plus possible de s’appuyer sur ce qui faisait la base du judaïsme : le temple avec ses rites et sa hiérarchie.

Mais par quoi le remplacer ? C’est le but du chapitre 13; mais avant de construire du nouveau, il faut déconstruire.

Des signes qui n’en sont pas

Le prologue du discours apocalyptique annonce et radicalise ce qui a été préparé dans les deux chapitres précédents : la déconsidération du temple concrétisée par sa destruction (13,1-2). C’est donc hors du temple mais face à lui que Jésus va répondre à ses quatre premiers disciples.

Quelle est la réponse de Jésus à la demande du signe de la fin ? On s’aperçoit que dans son discours, Jésus semble donner divers éléments mais qu’en fait aucun ne peut être retenu comme signe : « ce ne sera pas encore la fin » (7), « ce sera le commencement… » (8), « il faut d’abord que l’évangile soit proclamé à toutes les nations » (10), « les faux messies et les faux prophètes feront aussi des signes prémonitoires mais quand le cosmos s’ébranlera le Fils de l’homme sera déjà là » (24-27) (faire la liste des signes et de ce qu’ils indiquent. Quel signe est probant ? ).

Le but du discours n’est donc pas de donner des signes prémonitoires mais au contraire de prévenir que tous les signes risquent d’égarer les chrétiens : il faut donc rester sur ses gardes (voir ce qui encadre le passage concernant les signes 5-6 et 22-23). Alors face à une apocalypse qui ne révèle rien, que faut-il comprendre ? Qu’est-ce qui peut aider les croyants à tenir jusqu’à la fin, à tenir dans la durée ?

Plus qu’une aide pour passer les temps difficiles

Le but du texte, principalement dans les deux premières péricopes (Mc 13,28-32 et 33-37), est de permettre aux croyants de tenir ; pas seulement pendant les moments difficiles mais jusqu’au bout, toute sa vie. Pour cela, l’évangéliste recadre de trois manières la tension dans laquelle était le chrétien entre la passion et le retour imminent du Christ.

– Le premier recadrage a été fait en relativisant l’apocalypse ; c’était la reconstruction : les événements qui doivent servir de signes ne sont pas signifiants d’une fin proche. On a donné du mou à une tension vers un terme proche ; pour tenir plus longtemps, les chrétiens ont besoin d’une tension vers un autre terme.

– Le deuxième va redonner de la dynamique à la tension, d’abord par le moyen d’un signe large qui ne supprime pas la relativisation précédente du signe : c’est l’image du figuier et de l’été ; ensuite en donnant une échéance ambiguë à la fin « cela » pendant « cette génération » ; que désigne ces mots ? A cette époque comme pour nous aujourd’hui, cette fin prend un triple sens en fonction du moment de référence : à l’époque de Jésus, elle désigne la passion proche ; à l’époque de l’évangéliste, elle désigne la chute et la destruction de Jérusalem en 70; à l’époque du lecteur, elle désigne un événement dont nul ne connaît le moment sinon le Père.

– Le troisième va rendre libre le fondement par rapport au temps et au lieu. Face à tout ce qui est passé, passe ou passera, le texte affirme qu’il ne restera qu’une chose : la parole du Christ. Or, cette parole est justement celle qui est consignée dans l’évangile. Ainsi, face au judaïsme et à son temple qui passera (13,2), face à la mort des témoins et au temps qui sépare de l’événement fondateur, face à l’absence du retour du Christ, l’évangéliste affirme que le fondement, la référence ultime est l’évangile.

Le fondement de la vie chrétienne

S’il y a apocalypse, révélation, c’est celle de la bonne nouvelle que propose l’évangile de Marc. Rien ne peut être signe de la fin comme le montre la mention que seul le Père connaît le moment. La bonne nouvelle est plutôt le signe de la non-fin puisque les paroles du Christ ne passeront pas. Ainsi, on peut même dire que la destruction du temple n’est pas un signe de la fin mais un relais car le temple était seulement le fondement qui, par sa disparition, laisse la place aux paroles de Jésus, à l’évangile, au livre.

À partir de là, le temps de l’attente, de la veille, de l’espérance commence (33-37) qui aboutira au retour du Christ comme le montre cette parabole. Ce qui est laissé aux serviteurs, c’est « l’autorité » : terme employé pour caractériser la manière dont Jésus enseigne ou agit et que Jésus peut donner à ses disciples (3,15 et 6,17). Ici, c’est le dernier emploi de ce terme et on peut le considérer comme un legs. Comment, alors, ne pas faire le lien entre ses paroles qui demeureront toujours et cette autorité qu’il a donnée à ses serviteurs afin qu’ils demeurent dans cette tension entre sa passion et son retour.

Guy Balestier-Stengel