Point KT

L’aveugle né – Jean 9

image_pdfimage_print

UN HOMME SANS REGARD Un jour, après une longue et houleuse discussion  avec les prêtres de Jérusalem, Jésus sort du Temple. Il doit se cacher pour ne pas être lapidé, tué à coup de pierres. Matthieu, l’un de ses compagnons le suit en silence.

En passant, Jésus voit un homme qui est aveugle depuis sa naissance. Un homme qui n’a jamais vu le jour, un aveugle né comme ça, avec ce handicap qui le marginalise. Il est mendiant, sans avenir… Un pauvre assis là, sur le bord du chemin, dans la poussière de Jérusalem.  Ses vêtements sont sales, ses cheveux en désordre… Jésus le voit, il stoppe sa marche, à l’inverse de ceux qui chaque jour ont l’habitude de le voir au point qu’ils ne le voient même pas, ne le regardent même plus…
Cet aveugle n’a pas crié à tue tête, comme son compatriote Bartimée de Jéricho que ses amis essayaient de faire taire… en vain.
Cet homme sans regard devient le point de mire de toute l’assistance. Sur lui se posent tous les regards. Il est au centre d’un cercle qui se forme autour de lui d’une manière tout à fait fortuite, sans qu’il l’ait voulu. Matthieu ne sait pas ce qu’il doit penser. Il se sent gêné par cette rencontre, gêné face à son impuissance devant cette souffrance humaine qu’il côtoie de près, de manière inattendue.
Quel regard soutenir devant cet homme lourdement handicapé devenu le rebut de la société ?
Matthieu préférerait détourner son regard poursuivre la route, mais il n’a pas le choix : Jésus est arrêté et il regarde l’homme sans regard…
  • UNE QUESTION VIEILLE COMME LE MONDE
Alors, avec ses compagnons, Matthieu rompt le silence, pour ne pas perdre contenance, il risque une question :
« Maître ! Qui a péché ? Lui ou ses parents pour qu’il soit né aveugle ? Qui est responsable ? Qui ? »
Matthieu comprend que cette question posée à son Maître est déjà une première réponse. Il essaie de réfléchir…
En quelque sorte, il vient de dire :
« Cet homme aveugle est puni pour une faute qu’il a commise lui, personnellement ou bien se sont ses parents les coupables…
Matthieu n’est pas à l’aise avec sa propre pensée, avec cette question…Il se dit à lui-même :
« Si c’est l’aveugle qui a péché, il a donc péché avant de naître et, il y a de quoi s’interroger sur la nature de cette faute embryonnaire, dans le sein maternel !
Si ce sont ses parents les coupables… Quelle injustice de frapper le fils innocent pour les punir ! »
Matthieu est en éveil, ce qu’il vient de dire et de penser en lui-même ne le satisfait pas.
Oui ! Pourquoi la douleur ? La question est éternelle. Certains s’en prennent au péché, d’autres disent : « La nature est ainsi faite, elle blesse, et elle tue. » Mais la foi, la foi s’impatiente et finalement, elle convoque Dieu à son tribunal, ce Dieu qui a éteint les yeux d’un enfant…Oui ! Il ne reste que Dieu à la barre des accusés…
  • UNE RÉPONSE ÉBLOUISSANTE

Alors, Matthieu attend. Il attend que son Maître raisonne, qu’il brille sur ce beau sujet : le mal, ses origines et peut-être ses effets positifs… N’a-t-on pas parlé de souffrance purificatrice ?…
Avec vivacité, Jésus intervient et brise son raisonnement : « Qui a péché ? Ni lui, ni ses parents…
Matthieu retient son souffle : … Il est aveugle pour que soit manifestée la gloire de Dieu…»

Étrange répartie ! Matthieu s’étonne en lui-même :  « Que veut-il dire ? Est-ce une dérobade ? »… Jésus poursuit…  Il nous faut accomplir les œuvres de Dieu tant que dure le jour. La nuit vient où nul ne peut rien faire. Tant que je suis dans le monde : Je suis la lumière du monde. »

Lentement, Matthieu s’ouvre aux paroles de son Maître. Il comprend ce que Jésus veut dire : cet homme est aveugle parce que le mal est aveugle. Ne regarde pas derrière toi Matthieu, vers l’obscurité des causes. Aveugle tu l’es aussi, toi qui cherches des explications scandaleuses… La seule réponse, la seule attitude possible face à la souffrance, c’est de travailler, c’est d’accomplir les œuvres de Dieu, c’est d’aller de l’avant aujourd’hui, tant qu’il fait jour.

  • LA GUÉRISON = LES GUÉRISONS

Matthieu réalise qu’un jour nouveau se lève pour lui, une nouvelle compréhension du monde éclaire ses pensées. Jamais réponse de Jésus n’a jailli dans son cœur telle une gerbe de liberté et d’audace…
Avec reconnaissance, il regarde son Maître….. Jésus se penche, ses doigts ramassent de la terre qu’il mouille de sa salive. Il en fait de la boue qu’il applique sur les yeux de l’aveugle.
Comme Dieu, aux premiers temps du monde fit œuvre de création à partir de la poussière du sol, Jésus fait devant tous œuvre de re-création. Il reconstruit, il répare et là où il n’y avait pas de regard, il crée un regard…
Et, pour que cette guérison soit effective, Jésus dit à l’aveugle : « Va te laver la figure à la fontaine de Siloé. »
Matthieu est bouleversé. Il sait que Jésus veut remettre cet homme debout et qu’il lui indique là, la première étape de sa nouvelle vie : « Va, tu n’es plus un assisté. Tu dois prendre ta vie en main. »
C’est ce que l’aveugle fait, il y va, se lave la figure et il voit de ses beaux yeux vivants !

  •  LES RABAT- JOIE

Et maintenant ? Maintenant ! L’ex aveugle va pouvoir vivre heureux. Maintenant, il va pouvoir louer Dieu dans le Temple, son impureté est enlevée….Oui ! A moins qu’il y ait des rabat-joie…et malheureusement il y en a ! A peine notre homme a-t-il été guéri qu’il est confronté à la dureté des pharisiens. Les voilà qui s’agitent, ils légifèrent, ils le questionnent. Au lieu de se réjouir et de l’aider à se réinsérer dans la société, ils lui jettent un regard sévère. Lui, l’homme sans regard qui passait inaperçu, le voilà à nouveau encerclé mais cette fois de manière hostile.
Jésus l’a guéri un jour de sabbat, un jour où il ne fallait pas….Cette guérison ne peut donc pas venir de Dieu ! La belle affaire se dit Matthieu. Stupidité des hommes religieux ! Ils soumettent notre homme à un interrogatoire serré. Même ses parents sont convoqués et s’esquivent : ils ne sont pas prêts à courir des risques pour leur fils.
Mais que veulent les pharisiens se demande Matthieu ? Ils veulent qu’il renie celui qui vient de le guérir et ça, notre homme ne le veut pas, ne le peut pas. Il proclame haut et clair : « Je sais dit-il, je sais une chose, j’étais aveugle et maintenant, je vois ! »
Alors, le cercle éclate, il se brise, l’homme se fait insulter : « Tu es né tout entier dans le péché, depuis ta naissance, et tu veux nous faire la leçon ? »
Et ils le chassent dehors….

  • COMME UN NOUVEL ÉCLAIR DE LUMIÈRE

Comme un nouvel éclair de lumière, une pensée s’impose à Matthieu : les vrais aveugles, ce sont les pharisiens ! Ils croient voir, parce qu’ils sont les spécialistes de l’Ecriture. Ils se protègent derrière la Loi de Moïse qu’ils connaissent sur le bout du doigt, par cœur…. Par cœur !?! Non ! corrige Matthieu…le cœur n’y est plus, car il n’y a plus de place pour accueillir l’inattendu. Ces hommes religieux n’imaginent pas que Dieu pourrait s’adresser à cet homme insignifiant et de surcroît, un jour de sabbat. Comment pourrait-il, aujourd’hui s’abaisser, faire un geste en faveur d’un aveugle hors du chemin ? …..
Matthieu réalise que Dieu a changé de camp, que Dieu a changé de nom : ……Celui qu’on appelle le Très Haut est devenu, là devant lui, le Très Bas. Désormais, pour voir Dieu, il faudra beaucoup se baisser.
L’homme guéri ne s’y trompe pas. Dehors, il rencontre Jésus. Il se jette à ses pieds et le contemple à genoux.
Oui ! On ne toise pas le Christ, on se jette à ses pieds et on l’aime. Tel est le vrai regard !

Crédit : Nicole VERNET – Point KT