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Lève-toi et marche

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Pas de place pour eux ! Ce n’est pas une histoire vraie. Mais elle est faite de petits morceaux de vie accumulés. Nous l’avons jouée pour la fête de Noël l’année dernière. Les enfants polyhandicapés, devenaient acteurs. Ils n’ont pas joué un rôle qu’ils n’auraient pas pu comprendre mais ils ont mis en scène leur propre histoire. Elle se passe à Strasbourg aux environs du marché de Noël. Ils viennent de loin avec leurs éducateurs et dans leurs fauteuils. On leur avait dit combien Noël en Alsace c’était beau. Ils avaient téléphoné longtemps avant le mois de décembre pour chercher un logement adapté à leur réalité. Mais il n’y avait pas de place pour eux dans les hôtels, ni dans les auberges de jeunesse, ni même dans les centres spécialisés… Tant pis. Ils sont venus quand même. Ils arrivent dans les lumières artificielles et le bruit. Ils étouffent. Ils sont coincés. Ils ne peuvent pas circuler, II n’y a pas de place pour accéder aux stands en fauteuil. Leurs éducateurs les laissent sur le bord du chemin pour aller faire quelques achats. Même sur le côté, ils dérangent. Jules, le SDF assis là avec son chapeau renversé ne voit plus rien. II se fâche. Pourquoi me cachez-vous ? On ne me voit plus ! II secoue la roue du fauteuil, de plus en plus furieux parce que Delphine ne répond pas. Et pour cause, elle ne parle pas. C’est l’éducateur qui vient expliquer, le manque de place, le manque de logements, l’indifférence et la colère au milieu de tout ce bruit.

La fête dans le squat

Jules écoute. Et puis lui aussi raconte ; son groupe de copains aussi paumés que lui, leur squat qui, miracle, se trouve être de plain-pied. Tout à fait accessible aux fauteuils même s’il est mal chauffé. Ils se lèvent et ils marchent ensemble. Ils font la fête dans le vieux hangar désaffecté. Ils découvrent comment on danse quand on est en fauteuil, comment on fête sans foie gras et sans cadeaux bien emballés. II n’y a pas de chauffage mais il fait bon. On chante et on rit. La fête bat son plein. Soudain on tape à la porte. Très fort pour être sûr de se faire entendre. C’est le facteur. II a un message pour Jules. Jules très surpris ouvre sa lettre. Il ne pensait pas qu’il existait encore pour quelqu’un, au fond de son squat. La lettre dit « Je t’envoie ces mots sans savoir s’ils te trouveront un jour. Je t’envoie ces mots parce que je t’aime. Je les ai reçus moi aussi de quelqu’un un jour où j’avais le cafard. Tu donneras comme un cadeau cette parole qui vient de loin à ceux qui sont proches « Lève-toi et marche » ». Jules est très étonné, un peu révolté aussi. Comment donner cette parole à des personnes paralysées ? Il ne comprend pas.

Lève-toi et marche

… Clara tout près de lui dans son fauteuil, saisit la lettre comme si elle la prenait pour elle. Oui, on peut marcher même sans ses pieds. L’important c’est d’avancer et de faire avancer les autres. Emilie à son tour prend l’enveloppe des mains de Clara. Elle aussi se sent concernée par ces mots. Parce que même couché on peut vivre debout. Jules par contre est dubitatif. Lui, il tourne en rond. II ne sait pas où aller. Alors autant s’asseoir et attendre que ça se passe.C’est à ce moment que Jack crie : « là-bas ». Sa main est tendue vers un autre horizon. Tous voient une lumière qui avance vers eux du fond de l’horizon.C’est un flambeau auquel tu peux allumer ta lampe. Elle guidera tes pas et t’invite en te disant « lève-toi et marche » car pour toi aussi, c’est Noël aujourd’hui.

Martine Léonhart
Archives PointKT n°27 Juillet, août septembre 1999