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Sans commune mesure

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Sans commune mesure ! (Luc 6, 36-42)

Nous avons tous tendance à cataloguer l’autre ou à le placer dans des petites boîtes dont il ne pourrait s’échapper… Cette saynète parodique s’attaque aux normes drastiques que nous appliquons les uns aux autres, sans vraiment chercher à élargir notre regard pour y voir plus clair…

Présentation des personnages

  • Marchand
  • Standard extra : C’est une aubergine bien comme il faut (couleur noire ou aubergine)
  • Cerise : C’est une tomate de seconde catégorie appelée « Quoi ma robe ? » (Couleur rouge)
  • Macho Plantain : Une banane bien mûre de la catégorie : « Moches » (couleur jaune)

Les acteur-trices- vêtues d’un code couleur, se placent derrière des cagettes de fruits avec des étiquettes désignant leur catégorie. Survient le marchand qui harangue les clients comme sur la place du marché…

Marchand : « Approchez mesdames et messieurs, approchez ! Venez voir mes beaux légumes et fruits tous frais, directement cueillis à la rosée du matin. Elle est généreuse mère nature aujourd’hui ! Avec toute cette pluie envoyée par le Bon Dieu ; ça pousse ! Il s’adresse aux gens comme à de potentiels clients Comment allez-vous Simone ? Toujours aussi pimpante ! Et vous Albert, je vous sers comme d’habitude ? Joséphine, cela faisait longtemps ! Mais qu’étiez-vous devenue ? Vous m’avez tellement manqué ! Julie, comment va ? Et vos enfants ? Toujours aux States ? Allons, n’hésitez pas ce matin ! Tenez ! Comme je suis d’humeur généreuse, j’ai envie de vous gâter ! Comme mes étals débordent, je vous propose mes promos fruits ! Deux extras achetées, une moche à emporter ! En plus, vous ferez une bonne action en luttant contre le gaspille ! Sentez-moi cela ! Elles sont si belles et juteuses, qu’elles auraient presqu’envie de sauter et de chanter dans vos assiettes…

Les trois fruits se mettent derrière leur cagette respective et entonnent comme une sorte de chant

Marchand : Y a des fruits, juste ce qui faut, y a du choix mais pas trop !

Standard extra : Y a des fruits comme il faut, qu’on déguste à gogo !

Cerise : Les fruits c’est rigolo, on n’en croque jamais trop !

Macho Plantain : Epluche-moi la peau et t’auras la banane !

Marchand : Y a des fruits, juste ce qui faut, y a du goût mais pas trop ! (Ils s’essuient comme s’ils étaient en sueur)… Le marchand s’en va…

Standard extra : Holà ! Tout ce qu’il ne faut pas faire pour assurer la promo ! Je ne sais pas pourquoi moi je m’époumone ? (S’adressant avec condescendance aux deux autres) De toute façon, les clients ne veulent que de la qualité supérieure telle que moi et pas des cageots comme vous… Vous êtes une insulte pour le genre végétal !

Cerise : « Quoi ma robe ? Mais qu’est-ce qu’elle a ma robe ? » Si tu continues sur ce ton, je vais me fâcher toute rouge ! Ce n’est pas parce Madame est une aubergine de la classe extra, qu’il faut qu’elle en fasse tout un caviar ! Ce n’est pas ta robe noire qui fait de toi un juge sur nous tous

Macho Plantain : Calme toi Cerise ! Depuis que Standard extra a gagné le concours de Miss Aubergine sans défauts, au pédoncule intact et à la chair saine, elle se prend pour une grosse légume ! Bientôt, elle va prendre le melon et nous condamner !

Standard extra : Si j’étais toi, j’éviterai de la ramener, la tordue de service ! Tu fais vraiment pitié et envie à personne ! Tu es tellement mûre que ta peau est flétrie et brune ! Tu as déjà passé la date de péremption depuis fort longtemps ! Est-ce que c’est ma faute si vous ne rentrez plus dans les normes de qualité requises : aspect, couleur, dimension, calibrage…

Cerise : Mais penses-tu vraiment que tous ces critères et normes sont révélateurs de ce que nous sommes vraiment ? Si tu juges tout le monde selon un seul critère, tu ne chercheras jamais à découvrir toutes les autres richesses… Tu jugeras l’autre parce qu’il ne correspond pas à ce que tu voudrais !

Macho Plantain : Laisse tomber Cerise ! Tout ce qu’elle veut la Miss Moussaka, c’est voir le monde uniforme aubergine, à travers son unique mesure ! Si le créateur avait voulu que du standard comme il faut, pourquoi il nous a planté tous, si différents ? Ce ne sont que les humains qui ont besoin de tout mettre en boîte bien délimitées…

Cerise : Parfaitement, les extras en tête de gondoles ! (Montre l’aubergine ) Un peu plus bas, les catégories 1 (se montre)  et tout en bas, là où personne ne regarde, (pointe vers la banane) parce qu’il faut se baisser, les catégories 2, voire plus…

Macho Plantain : Et tu oublies tous les « hors catégories » : ceux qui sont un peu biscornus, abîmés par la vie ou qui n’ont pas eu de peau ! Soit, ils sont jetés sur le fumier, soit bradés à quelqu’un qui ne voit plus très clair ! (Petit moment de silence) A moins que ce quelqu’un les regarde autrement ?

Standard extra : (Moqueur) Comme c’est touchant ! Toi Plantain, dans ta jeunesse tu devais être un sacré macho… Mais maintenant tu n’es même plus beau ! Tu as des tas de tâches sur la peau ; on dirait une girafe ! Désolé, si tu ne satisfais plus aux normes, mais il faut bien des critères pour répondre aux exigences des clients !

Macho Plantain : Si le client est roi ici-bas, il se pourrait que le jour où tu te retrouves sur le compost, le créateur prenne, à ton égard, les mêmes mesures restrictives que tu as appliquées aux autres ! Tu risques d’être cuisinée avant moi !

Cerise : D’ailleurs, ces catégories, justement, c’est qu’à la tête… du client ! Moi par exemple, ils regardent tous ma couleur, mon aspect, ma fermeté, ma fraîcheur… Dès qu’ils voient le moindre petit défaut, des crevasses sur ma chair ou des plaques vertes, ils voient rouge et préfèrent m’éviter ! Je ne suis plus bonne qu’à être mise en conserves ! Ce n’est pas parce que j’ai un peu vécu et que je ne suis plus de la première jeunesse que je n’ai plus de goût ! Et si l’on arrêtait de calibrer et d’enfermer ? J’ai aussi besoin d’air et de verticalité.

Macho Plantain : Et si avant de consommer tout ce qu’on trouve appétissant et beau et de fourrer tout le monde dans le même cageot, on y jetait d’abord un regard différent… Du genre un regard d’amour ! Le même que celui du grand jardinier qui après nous avoir fait pousser, nous a tous trouvés : « Très beaux » !

Standard extra : Mais tu n’es plus au jardin du paradis ici, mais dans l’enfer du chacun pour soi ! Y a des normes, point barre ! A nous de les suivre ! A moins qu’on soit tous aveuglés par le standardisé qui a tout normalisé…

Macho Plantain : Exact ! Et nous voici au bord du trou, prêts à tomber dans le piège !

Cerise : Ce n’est pas sûr ! Imaginez qu’on se débarrasse de tous nos standards pour voir enfin chacun différent, dérangeant… Parce que, ceux que nous n’aimons pas sont des signes de contradiction, des empêcheurs de tourner en rond et de cataloguer sans fin !

Standard extra : J’avoue que j’ai du mal à vous suivre, vous les fruits hors catégories ! S’il existe bien des normes c’est aussi pour se jauger, se situer, se mesurer ! J’ai du mal à ne pas me comparer à l’autre. C’est si facile de critiquer ou de juger ! Là, j’atteins mes limites. J’ai beaucoup de peine à déplacer le curseur un peu plus loin !

Macho Plantain : Alors il ne faudra pas que t’étonnes si les autres te le rendent ! Si tu fais le minimum, juste ce qu’il faut, les autres seront également économes en amour à ton égard ! Mais si tu débordes d’amour dans la démesure, on te le rendra en abondance ! Un peu comme le grand jardinier qui est sorti pour semer et en a jeté partout !

Cerise : Plus tu gravis les catégories, plus tu as du mal à regarder vers le bas ! Peut-être aussi parce que tu te sens menacée par nous, Standard extra ! Regarde tous les sacrifices que tu as dû faire pour être au top ? Tu ne m’envies pas un peu parce que je ne me préoccupe pas de mon aspect ? Et Plantain, parce qu’il assume ses laideurs ? Essaye un peu d’enlever cette poutre-mesure, au travers de ton œil, qui empêche l’élargissement de ton regard et une hauteur de vue !

Standard extra : Je comprends ce que vous dites, mais je crains bien que je ne sois pas capable, par moi-même, d’enlever la poutre-mesure de mon œil ! C’est plus simple de chercher la petite paille dans le vôtre ; cela évite de se poser trop de questions et de commencer par soi-même !

Macho Plantain : Seule, tu ne pourras pas le faire ! Mais nous sommes là ! Regarde vers nous ! Et vois-nous tels que nous sommes ! C’est comme cela que tu pourras changer de regard et voir plus clair !

Cerise : Et puis surtout, il y a son regard à Lui ! Le Vivant du jardin ! Le seul capable d’avoir sur nous un regard d’amour et d’accueil inconditionnel sur toute notre vie. Lui seul pourra transformer notre vie à côté du jardin en une nouvelle vie côté jardin !

Standard extra : Et nous donner un regard plein de bienveillance qui nous permettra de balayer devant notre porte, afin de réduire la grosse poutre-mesure jusqu’à la taille d’une paille… Allez, je descends de ma cagette supérieure pour vous rejoindre ! Fini la mise en boîte ! (Chacun renverse sa cagette et ils se placent ensemble pour le final)

Standard extra : Y a des fruits c’est l’été, à chacun sa spécificité !

Cerise : Les fruits c’est varié et de toutes formes, c’est l’amour la seule norme !

Macho Plantain : Donnez et on vous donnera ! Semez et ne vous retenez pas !

Cerise : Il y aura des fruits de l’amour, où tous les goûts sont dans la nature !

Standard extra : Merci de m’avoir aidé à changer ma vision des choses. Il y a de la place pour chacun et chacune sur le marché de la vie. Nous sommes tous le fruit d’un même Père, et nous avons besoin de Lui pour grandir et mûrir, bien au-delà des apparences !

Crédit : Frédéric Gangloff (UEPAL)- Point KT