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Témoignage de Pierre

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Le témoignage de Pierre est une narration écrite par Andrée ENDINGER pour le Jeudi Saint. Cette narration est largement inspirée de JEAN 13, 1 à 17, le lavement des pieds.

Nous sommes en Galilée, au bord du lac de Tibériade.
Pierre, André, Jean et les autres sont retournés chez eux après les évènements de la Pâque à Jérusalem. Pierre partage un moment avec un vieil ami.

Tu te souviens… Il m’a dit de jeter le filet ici même, au large de cet endroit du lac. J’ai jeté le filet et j’ai lancé ma vie…
On en a vécu avec lui… trois ans ! Trois ans de voyage à travers le pays, mais aussi de voyage intérieur. On est marqué à vie ! Les guérisons, les foules à nourrir, les discussions avec les scribes, les prêtres, les pharisiens qui nous tournaient le dos et essayaient de nous piéger, la vie ensemble tous les jours et toutes nuits, avec les autres disciples qu’on n’a pas choisis, avec les femmes…

Qu’est-ce que c’était excitant la vie avec lui ! On s’asseyait autour de lui et il nous parlait des heures durant, le soir après une journée  pleine de rencontres avec des malades, des pauvres gens, … la Torah, les textes des anciens, mais surtout des choses nouvelles auxquelles on ne comprenait parfois pas grand chose… C’était le Maître, le Seigneur… Et nous, on buvait ses paroles, on écoutait, on essayait de retenir, de comprendre. Ça nous poussait en avant, c’était magnifique !

Le dernier soir ensemble, le jeudi soir de la Pâque à Jérusalem…
On avait préparé la Pâque, comme d’habitude, on était tous rassemblés, dans une maison de la ville, dans uns belle pièce pour la fête.

Cependant, il y avait comme une lourdeur les jours précédents, il nous parlait de sa mort qu’il semblait voir prochaine. Nous, on ne voulait pas l’entendre, on ne pouvait pas accepter que tout cela s’arrête.  On n’était pas très bien,  un peu plombé par cette ambiance d’annonce de mort.
Bref, on était en train de souper.
Quand soudain, il se lève de table, ôte ses vêtements, prend un linge, il s’en ceint… Il verse de l’eau dans une cuvette et à genoux devant nous, il nous lave les pieds et les essuie avec le linge …  Tu imagines ?  J’hallucinais, j’étais complètement retourné, il était comme un esclave, dévêtu, à genoux, à nos pieds… !
Je me suis écrié « Non, tu ne me laveras pas les pieds. » C’était impensable pour moi.
Lui, le Maître, le Seigneur en train de nous laver les pieds comme un serviteur, un esclave ! Non, ça, je ne pouvais pas l’accepter.

Écoute, en fait, ce n’est pas vraiment çà !
Je veux être honnête et vrai avec moi-même, et avec toi aussi.
Le maître qui se montre serviteur, on en avait l’habitude. Il nous le disait et le vivait tout le temps. Ce n’était plus choquant pour nous.

Non, je vais te dire… j’ai eu peur, une trouille bleue, une panique soudaine qui m’a saisi tout entier. Sur le coup, je ne pouvais pas l’expliquer… J’ai compris bien après, il n’y a pas si longtemps d’ailleurs

J’ai eu peur d’être aimé, de me laisser aimer, de croire que quelqu’un m’aimait assez pour me laver les pieds… Tu sais, c’est un geste si intime… Tu te rappelles, mon père était très malade, je l’aidais pour sa toilette et je lui lavais les pieds, bien sûr. Je n’ai jamais oublié son regard, les larmes dans ses yeux, son « merci, fils »… Il paraissait gêné et touché aussi

Ce soir-là, j’ai réalisé à quel point laver les pieds de son prochain, c’est quelque chose de très symbolique, c’est un signe d’un amour sincère.  Et de même, se laisser laver les pieds c’est se montrer dans ce qu’on a de plus intime, montrer sa vulnérabilité, se montrer un peu mendiant… c’est accepter l’amour de l’autre, accepter d’être aimé, c’est ouvrir en grand la porte de ton cœur, de ce que tu as de plus précieux, de plus secret, et  laisser l’autre entrer. C’est un peu se livrer à l’autre…

Alors oui, j’ai eu peur ! Peur de son amour, peur d’être vu à nu !
Je connaissais le livre d’Ésaïe, « tu as du prix à mes yeux, je t’aime », mais je crois que ce n’était alors que des mots pour moi. Là, l’amour passait par mon corps, ma chair, c’était du concret, ça s’imprimait dans tout moi.
Je savais bien qu’il m’aimait parce que j’organise, je suis toujours prêt quand on a besoin de moi. J’assume cela. Mais être aimé pour rien, ou juste pour moi, pour le petit gars qui se cache derrière sa carcasse solide !
Je n’avais jamais été aimé comme ça !

Il m’a lavé les pieds, comme aux autres.
J’ai pleuré, j’étais tellement heureux et en même temps … vidé…

Son regard me disait « Pierre, n’aie pas peur d’aimer,
n’aie pas peur de te laisser aimer »

Crédits : Andrée ENDINGER, Point KT, Photo Pixabay