Deux ânes, Balaam et Jessé, discutent des derniers événements…
Voix-Off : Dix jours après l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem, cinq jours après sa mort sur la croix, deux ânes, Jessé et Balaam, se retrouvent dans leur étable, autour de leur mangeoire, et discutent des événements de la semaine.
Jessé (criant d’excitation) : Balaam, Balaam, si je te racontais ce qu’il m’est arrivé ces derniers jours, tu ne me croirais jamais…
Balaam : Tu parles, depuis quelques jours on ne parle que de ça dans toutes les étables de Jérusalem à Béthanie. Il paraît que tu as fait un véritable triomphe dimanche dernier avec un type un peu bizarre juché sur tes épaules.
Jessé : Souviens-toi quand ces deux types qui sentaient le poisson sont venus me chercher. Ils étaient tout excités, ils ont parlé d’un roi qui avait besoin d’une monture. Non mais, tu te rends compte… J’ai tout de suite vu que ces types s’étaient trompé de porte : rentrer dans une étable et venir chercher un âne pour un roi ! Ils m’ont détaché ; peut-être m’ont-ils pris pour un cheval de parade… j’allais quand même pas les contredire !
Balaam : Non, mais ! Tu t’es regardé ? ! Toi, un cheval de parade ? Avec tes oreilles tombantes, ton air innocent et ta robe grise ?… Je t’assure, la confusion n’était pas possible, ou alors ces deux types avaient trop abusé du Côtes de Judée ou du Château Massada… Non, vraiment, s’ils t’ont détaché, c’est qu’ils avaient vraiment besoin d’un âne, et qui plus est du plus petit d’entre nous, sans vouloir te vexer…
Jessé : Allez, arrête, gros jaloux ! Je peux t’assurer qu’il s’agissait bien d’un roi. La foule était déchaînée – d’ailleurs, je suis sûr que tu l’as entendue d’ici – la foule criait, chantait, jetait des rameaux devant mes sabots, certains même déposaient leurs manteaux devant moi, pour éviter que la poussière ne salisse mes pattes… Ah, c’est bon la célébrité ! Mais toi, tu ne connaîtras jamais ça !
Balaam : Dix jours que tu es parti et tu ne reconnais plus les copains ! Il ne faudrait peut-être pas faire ton fier, et plutôt essayer de comprendre quelque chose à cette histoire. Les deux gars qui sont venus te chercher, crois-tu qu’ils ressemblaient à des serviteurs de roi ? Tu as toi-même remarqué qu’ils sentaient le poisson. Et puis, tu as vu les costumes qu’ils portaient : plus poussiéreux encore que ta robe !
Je n’ose pas imaginer la tête d’un roi qui aurait de tels serviteurs…
Jessé : Ah bien, justement, parlons-en de ce roi. C’est vrai qu’il ne ressemblait pas à un roi. Même s’il était vêtu avec soin, ses vêtements n’étaient pas de la première jeunesse, et étaient certainement aussi poussiéreux que ceux de ses disciples. Remarque, cela n’a rien d’étonnant puisque, d’après ce qu’on m’a dit, il y a trois ans qu’ils parcouraient le pays de long en large, à pied, sur ses routes poussiéreuses.
Balaam (sournois) : Lui aussi, il sentait le poisson ? !
Jessé : Mais non, ne fais donc pas ton humain… Au contraire, la première fois que je l’ai vu, il sentait bon la myrrhe… Un parfum de roi ça ! Cependant, ce qui m’a le plus étonné, c’était son visage : dans cette euphorie collective, lui était grave, et même triste…
Voix-Off : Lecture de Luc 19, 41-44
Balaam : Ah dis donc, il est pas banal ton roi : il est entouré d’une troupe de va-nu-pieds, ses propres habits ne sont pas très nets, et il pleure quand tout le monde chante… Laisse-moi te dire une chose : si un jour le pays est gouverné par un tel personnage, on n’est pas sorti de l’étable… Je me demande bien pourquoi tu persistes à croire et à dire qu’il est roi.
Jessé : Si tu avais vu son visage ! Même baigné de larmes, il reflétait une incroyable majesté, et un tel amour que l’espace d’un instant, j’ai oublié que j’étais toujours un âne… C’est moi qui avait son poids sur mon dos, et pourtant, j’ai eu l’impression que c’était lui qui me portait…
Balaam : Ah parce que tu crois que la sérénité de son visage, ses larmes, son odeur de myrrhe suffisent pour en faire un roi ? ! Pilate peut encore dormir tranquille, je te le dis…
Jessé : Pilate n’est pas si tranquille que ça, pas plus que les prêtres juifs, d’ailleurs… Quoi, tu n’es pas au courant ? Mais tu es vraiment bête à manger de l’avoine ! Ils l’ont condamné au supplice de la croix. Et Pilate, que ça arrangeait bien, s’en est paraît-il lavé les mains. Quelque chose me dit que ni les uns ni les autres ne dorment tranquilles depuis sa crucifixion… Tu sais pourquoi ?
Balaam : Tu vas encore me dire que tu détiens un secret… Décidément, les bains de foule, ça ne te réussit pas !
Jessé : Mais je n’ai pas parlé de secret ; d’ailleurs, la nouvelle doit commencer à se propager. Figure-toi que depuis vendredi, jour de sa mort, je l’ai revu.
Balaam : Ben voyons, prends-moi pour un bourricot. Voilà maintenant que tu fais dans le paranormal. Tu crois vraiment aux fantômes ?
Jessé : Ecoute, j’étais au pied de la croix. J’ai vu cette même foule, qui l’acclamait au début de la semaine, cracher sur lui à la fin de la semaine. J’ai vu les soldats romains qui l’insultaient et qui se moquaient de lui. Ils avaient d’ailleurs pendu au-dessus de lui un écriteau, INRI, « Jésus de Nazareth, roi des juifs ».
Balaam : Là, je veux bien te croire. Les hommes sont tous les mêmes, capables de tuer mêmes les meilleurs d’entre eux. Justement, cela fait de ton Jésus un bien piètre roi.
Jessé : Au moment où ils l’ont descendu de la croix pour l’emmener au tombeau, j’étais là… Et cette fois, ce ne sont pas des disciples qui sentaient le poisson qui se sont chargés de cette besogne, non, c’est au contraire un riche monsieur qui l’a fait, un certain Joseph d’Arymathée. Il a mis son corps sur mon dos et c’est moi qui l’ai porté jusqu’à son tombeau. Et là, surprise : je n’avais jamais porté un homme qui pesa si lourd, comme si ses souffrances et sa mort l’avaient chargé de tout le poids de l’humanité.
Balaam : Oh mais dis donc, c’est que tu deviens sentimental et spirituel. Toujours est-il que pour moi, cela n’en fait toujours pas un roi. Pour moi, un roi, c’est fort, triomphant, et surtout, c’est vivant !
Jessé : D’abord, un roi ne fait pas forcément la guerre. Il peut aussi régner, comme Jésus, par la force de l’amour.
Ensuite, mes oreilles sont peut-être tombantes mais, au moins, moi, j’entends ce que l’on me dit. Je t’ai affirmé que je l’avais vu vivant depuis vendredi dernier. Et même plus, je l’ai de nouveau porté, jusqu’en Galilée, cette fois.
Balaam : Tu l’as vu mort sur sa croix… Tu l’as vu vivant sur la route de Galilée… Il faudrait peut-être arrêter de me prendre pour un âne… Aujourd’hui, il est vivant ou il est mort ?
Jessé : Ecoute, je ne peux pas t’expliquer ça, tout ce que je sais, c’est qu’il est à nouveau monté sur mon dos…
Balaam : Comment tu l’as reconnu ?
Jessé : Je ne peux pas non plus te l’expliquer, mais n’oublie pas que c’était la troisième fois que je le portais, tout de même. Je ne sais pas, en le portant, j’ai su que c’était lui, c’est tout !
Balaam : Ecoute, moi je ne crois que ce que je vois. Et une chose est sûre, si les choses se sont vraiment passées comme tu me les racontes, on ne va pas tarder à en entendre parler…
On entend une voix qui vient de l’extérieur de l’étable : Thomas, Jean, dépêchez-vous… Il faut seller les ânes… Nous partons tout de suite… Vous n’avez pas entendu Marie ? Le Maître, Jésus, est vivant, et il nous attend…
Jessé : Tu vois, je te l’avais bien dit…
Voix-Off : Lecture de Philippiens 2, 5-11.
Amen