Point KT

Jacob et Esaü, quelle famille !

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Mon histoire commence alors qu’Isaac et Rébecca sont mariés depuis longtemps. Ils ont eu deux fils, des jumeaux. Pourtant, les voilà seuls, avec leurs serviteurs et leurs troupeaux. Arrive Qetoura. Qetoura est la femme qu’Abraham, père d’Isaac, a épousé après la mort de Sara.
Isaac et Rébecca se dépêchent d’accueillir Qetoura. Il est si rare de voir de la famille. Cette dernière s’approche, accompagnée de son plus jeune fils, demi-frère d’Isaac, et de ses servantes.

– Quelle bonne surprise Qetoura, dit Isaac en l’embrassant.
– Attends d’entendre ce que j’ai à te dire. C’est Eliézer qui m’a fait venir.
– Que veux-tu dire ? répond Rébecca.
– Où sont Jacob et Esaü vos fils ?
– Jacob est parti chez son oncle Laban, du côté de Harran, pour y chercher une femme. Cela va bientôt faire 3 ans.
– Ah bon, pour chercher une femme ?
– Oui, il n’était pas question qu’il épouse une femme du pays, comme son frère, dit Rébecca.
– Ah oui, son frère, Esaü, je ne le vois pas, reprend Qetoura.
– C’est qu’il n’est pas ici, soupire Isaac. Il a dû partir. Tout cela est de la faute de Rébecca.
– Ah non, pas du tout réplique Rébecca. C’est de ta faute, tu n’avais qu’à être plus juste avec Jacob.

Qetoura interrompt la dispute.
– Ecoutez, si je comprends bien, vous êtes seuls, vos fils sont partis et vous vous disputez, chacun accuse l’autre. Je vais vous dire, moi, ce qu’Ezéchiel de Damas m’a transmis. Vous savez qu’il vous aime, que c’est un serviteur fidèle et qu’il ne veut que le bien de votre famille.
Vous avez eu des jumeaux après plusieurs années de mariage : Esaü, l’aîné et Jacob, le second. Très rapidement, Esaü est devenu le préféré de son père et Jacob celui de sa mère. J’aimerais bien savoir pourquoi.

Après un silence embarrassé, Isaac dit :
– Esaü aimait les mêmes choses que moi. Et je l’admirais, c’est un très bon chasseur. Et tu sais que j’aime beaucoup le gibier. Jacob, lui, ne s’intéressait qu’aux troupeaux et aux choses du camp. En plus, il était toujours fourré dans les jupes de sa mère. Jaloux de son frère avec ça.

– Et toi, Rébecca, qu’en dis-tu ?
– Avant qu’ils naissent, mes fils se battaient dans mon ventre. J’ai demandé à Dieu pourquoi et il m’a répondu qu’ils seraient ennemis, et que le plus jeune serait plus grand que l’aîné. Et puis, Isaac ne s’intéressait pas du tout à Jacob et Esaü n’avait jamais de temps pour moi.

Première intervention de la salle :

  • Que pensez-vous de cette situation ?
  • Est-ce réaliste ou bien impossible que des parents aient des chouchous ?

Qetoura reste silencieuse pendant longtemps. Isaac et Rébecca sont de plus en plus mal à l’aise. Puis elle reprend :
– Passons à la suite : lorsqu’ils étaient adolescents, Esaü est rentré un jour de la chasse alors que Jacob avait préparé le repas, un plat de lentilles. Esaü a exigé que Jacob lui donne à manger et n’a pas hésité à échanger un repas contre son droit d’aînesse, le droit du fils aîné à avoir la plupart des biens de son père.

Isaac interrompt :
– Jacob a profité de la faiblesse de son frère.

Rébecca se fâche :
– Esaü n’avait qu’à réfléchir. Il pouvait refuser. Il pouvait se préparer lui-même un repas.

Seconde intervention de la salle :

  •  Le droit d’aînesse… avez-vous connu une situation où l’aîné était traité différemment ?
  • Qui est le « pire » ? Jacob ou Esaü ? (faire lever les mains)

– De toutes manières, ce n’était que chicanerie de frères, sans valeur légale cette histoire. Tout ce que cela montre, c’est un peu de leur caractère : Jacob prêt à saisir toutes les occasions, Esaü parlant sans réfléchir.
Ce qui m’a fait venir de Mamré, c’est l’histoire de la bénédiction.

Isaac s’exclame :
– Jacob a profité de ma vieillesse, de la faiblesse de mes yeux. Il m’a trompé, avec l’aide de Rébecca ! C’est honteux !

Rébecca répond :
– J’assume toute la responsabilité, Jacob n’a fait que m’obéir.

Silence ! intime Qetoura. Je raconte.
Si je me trompe, alors vous pourrez m’interrompre. Isaac a fait venir Esaü pour qu’il prépare le rituel de la bénédiction-héritage du fils aîné. Pour le repas, comme Isaac est gourmand, il demande son plat de gibier préféré. Esaü part vite à la chasse. Rébecca prépare quant à elle le plat avec deux chevreaux et demande à Jacob de se faire passer pour son frère, allant même jusqu’à lui couvrir les bras de la peau des chevreaux puisqu’Esaü est très poilu. Isaac se fait gruger et donne sa bénédiction à Jacob, après le repas et le baiser rituel. Quand Esaü rentre de la chasse, Isaac se rend compte qu’il s’est fait avoir et n’a plus rien à donner à son fils aîné.

  • Je voudrais maintenant que vous réfléchissiez chacun pour vous pendant deux minutes, puis que vous partagiez votre réflexion avec votre voisin, en veillant à ce que les jeunes ne soient pas entre eux.
  • Qui est le pire ? Qui est responsable et de quoi ?

Qetoura reprend la parole.
– Isaac, pourquoi n’avais-tu rien pour Esaü quand il est rentré de la chasse ?
– C’est que j’avais tout donné à Jacob : mes richesses, la promesse d’une belle vie, son frère comme serviteur. C’était légal, je peux faire ce que je veux de mes biens.

Qetoura l’interrompt.
– Tu es bien pressé de dire que c’est légal. Je te demande autre chose : Etait-ce juste ? Quand ton père Abraham a senti qu’il allait mourir, il a donné à chacun de mes fils de quoi bien vivre, puis il a fait le rituel de bénédiction-héritage avec toi. Tes frères ne sont pas tes serviteurs, ils ont eu de quoi bien commencer leur vie. Ils ne sont jaloux ni de toi, ni les uns des autres.
Rébecca, pourquoi as-tu voulu tricher ainsi ? N’avais-tu pas entendu Dieu te dire que Jacob serait plus grand que son frère ? Ne penses-tu pas que Dieu peut accomplir tout seul ce qu’il a décidé ? Penses-tu qu’il voulait que tu triches, et que tu entraînes ton fils avec toi ?

N’avez-vous rien retenu de l’histoire d’Abraham et Sara qui ont voulu agir à la place de Dieu ? Que de misères sont nées de la naissance d’Ismaël, qui n’était pas le fils de la promesse. Isaac, tu peux toujours dire que c’était légal. Ce n’était pas juste. Quand ton père a dû renvoyer Ismaël, Dieu lui a promis de le protéger et de le bénir. Tu ne comptais donner aucune bénédiction à Jacob. Rébecca, tu as encouragé ton fils à tricher. Vous êtes tous les deux responsables de la situation. Au moins ne vous faites pas la guerre. Faites plutôt confiance à Dieu. Il a béni cette famille, quoi qu’il arrive. Il protègera vos fils.

Lecture du texte de Genèse 27

Frères et sœurs,
Je pourrais vous poser encore des questions, la principale étant celle de la bonne nouvelle. Quelle bonne nouvelle dans cette histoire ? Peut-être vous l’êtes-vous déjà posée ?

La bonne nouvelle évidente, c’est que la famille est totalement dysfonctionnelle. Certes, personne n’assassine personne, mais préférer de manière aussi évidente un enfant par rapport à l’autre ne peut provoquer que des jalousies entre ces derniers.

Alors, cela ne peut que nous rassurer : l’Evangile n’est pas affaire de morale. Nos familles ne sont pas parfaites ? Cela ne veut pas dire que Dieu ne les bénit pas. Il a fait une promesse à Abraham et il tient cette promesse malgré tout ce que peuvent faire ou penser les membres de cette famille. L’amour de Dieu ne dépend pas de la bonne conduite de ceux qu’il aime. Voilà donc une bonne nouvelle pour nous ce matin. Cependant, méditer un texte biblique n’a pas pour seul but de trouver une bonne nouvelle. Parfois, cela nous mène à réfléchir sur nos manières de penser le monde et nous-mêmes. C’est pourquoi je vous ai demandé plusieurs fois votre avis.
En effet, ce qui m’a poussé à adopter un mode de prédication peu conventionnel, c’est ce que j’ai lu sur cet épisode somme toute savoureux de la Genèse : Rébecca y est jugée très sévèrement, Jacob un peu moins, après tout, il est celui qui devient Israël ; et on oublie Isaac. Or, au fin fond des choses, si Esaü est obligé de s’exiler pour échapper à la bénédiction que son père a donnée à Jacob, c’est bien parce qu’Isaac n’avait rien laissé à son second fils, si ce n’est de devenir serviteur de son frère… en toute légalité, bien entendu. Or s’il avait suivi l’exemple de son père, il aurait été juste en donnant à Jacob de quoi vivre et bien commencer sa vie. De même, forte du savoir que Dieu lui a donné, Rébecca va tricher et pousser Jacob à tricher pour qu’il devienne plus grand que son frère au moyen de cette fraude. Pour Rébecca, la fin justifie les moyens.
Voici donc deux pistes de réflexion pour nous, pour vous :

La première, c’est la question de la justice face au droit : est-ce que tout ce qui est légal est juste ? Je prends un exemple dans l’actualité récente : l’élection du président des Etats-Unis est légale. Elle s’est déroulée dans les règles. Mais plus de personnes ont voté pour son adversaire que pour lui : l’élection est légale, mais elle n’est pas juste. Cet exemple est facile à comprendre. Je suis sûre que vous en trouverez d’autres, soit dans la vie quotidienne, soit dans l’actualité.

La seconde, c’est la question de la fin et des moyens. Un très grand philosophe du 19e siècle, Emmanuel Kant, a expliqué que pour lui la fin ne justifiait jamais les moyens. Ce principe pose de graves problèmes au niveau des Etats, en particulier en ce qui concerne les conflits armés. Mais cela pose aussi des questions éthiques ou morales dans notre vie quotidienne : utilisation de la violence, recours au mensonge, à la triche « pour la bonne cause ».

Ce que notre histoire raconte, c’est que l’injustice et la tricherie n’apportent rien de bon : la famille est éclatée, et si le texte biblique ne dit pas qu’Isaac et Rébecca ne forment plus un couple uni après tous ces événements, nous imaginons bien qu’il ne peut en avoir été autrement. Certes, Dieu garde son amour et sa bénédiction à chaque membre de cette famille, mais nous savons bien que nous avons besoin de l’amour et de la confiance de nos proches pour nous épanouir. Veillons donc à les cultiver pour les faire grandir.

Crédits : Anne Petit (EPUdF), Point KT, Pixabay