La chouette de Noël
un conte d’Ottilie Bonnema
Bien avant le temps où Hedwige est devenue la chouette d’Harry Potter, il y avait déjà des chouettes. Mais au lieu de vivre en compagnie des sorciers et des sorcières, elles vivaient loin des hommes, dans les bois, les granges, des tours abandonnées.
Je vais vous raconter l’histoire de l’une de ces chouettes qui a vécu une aventure extraordinaire. Elle s’appelle Imiarouf…. Dans le rouffff on entend le bruit de ses ailes qu’on aperçoit à peine quand elle vole. Elle est secrète, elle vit la nuit. Avec ses grands yeux, il n’y a qu’elle qui voit. Elle vit la nuit, et le jour, elle s’installe sur une poutre dans une grange.
C’est une grange où il y a rarement quelqu’un. Le matin, le maître des lieux vient chercher son âne, qui y dort quand les nuits sont fraîches. De l’autre côté de la grange, il stocke le foin, quelques sacs de grains, quelques légumes…. La chouette y est très bien installée, sur sa poutre. Et si jamais une souris ou un rat rentre dans la grange pour grignoter le grain ou les légumes, la chouette les voit, les attrape et les mange.
C’est quand personne ne voit plus rien, quand la nuit est noire, qu’elle y voit très bien avec ses grands yeux. Elle voit passer la souris, et hop, elle descend de sa poutre avec son mystérieux rouffffff et elle la mange. « Au moins je suis utile, » se dit elle.
Imiarouf vit sur sa poutre dans la grange, et elle ne se trouve pas belle. « Personne ne me voit jamais puisque je vis la nuit, et c’est tant mieux, car je ne suis pas belle : mes yeux sont trop grands et mon nez est trop petit. Et quand je chante, je fais peur avec mes hululements. Ce n’est pas comme les autres oiseaux. Les gens aiment écouter les merles, les rossignols, même les petits mésanges, mais moi, quand je pousse mes cris la nuit hu, hu, hu, je fais peur aux enfants, on dit que je porte malheur. Moi, je suis très bien cachée sur ma poutre dans une grange où seuls mes yeux voient dans la nuit. »
Puis, une nuit : tout a changé. L’âne somnole dans son coin comme toujours, il fait froid dehors, même le bœuf est rentré pour la nuit. Il est tard le soir, Imiarouf est sur sa poutre les yeux ouverts, puisque il n’y a que les chouettes qui voient la nuit, quand tout d’un coup la porte s’ouvre et le maître des lieux entre avec un jeune couple, un homme et une femme.
« Vous pouvez-vous installer ici, dans le foin, mais je vous préviens, c’est provisoire, demain vous irez ailleurs ; c’est vraiment à cause de la condition de madame que je fais une exception. Si jamais, le petit naît cette nuit, au moins vous serez tranquilles. Ici, il n’y a personne, et personne ne vous verra ».
« Bien sûr, personne ne me voit et je ne compte pour personne, » se dit Imiarouf, et elle ouvre encore plus grands les yeux pour voir ce qui se passe en bas. Pas la moindre petite souris qui passe, mais là, dans le foin, vient de naître un petit d’homme. Un pauvre petit dans cette grange sans lumière.
« C’est bien la première fois que je vois ça, » se dit Imiarouf. « Un si petit homme, un enfant, dans ma grange. Je veillerai sur lui, puisqu’il n’y a que les chouettes qui voient la nuit. »
La nuit passe, et le lendemain, ce petit est toujours là…. D’étranges visiteurs viennent alors pousser la porte de la grange. Jamais de toute sa vie Imiarouf a vu autant de monde dans cette grange. Il passe des bergers, avec leurs moutons et leurs petits cadeaux en laine, il voit arriver des rois venus de pays lointains qui posent au pied de l’enfant des cadeaux les plus extraordinaires qu’on ait jamais vus. De l’or brille dans cette étable et se reflète dans les grands yeux d’Imiarouf.
Tous ces gens qui se trouvent autour de cet enfant, qui viennent le voir, qui pleurent de joie, qui lui offrent ce qu’ils ont de plus beau. « Et moi, personne ne me voit, et qu’est ce que j’aurais à lui offrir ? Moi, tout ce que je sais faire c’est voir dans la nuit avec mes grands yeux, puisqu’il y n’y a que les chouettes qui voient la nuit. »
C’est une nuit, alors que tout le monde dort, sauf Imiarouf qui surveille la grange avec ses grands yeux étranges et trop grands pour sa figure, qu’en bas, l’enfant ouvre lui aussi ses yeux. L’enfant regarde en haut vers la poutre, son regard est clair, ses yeux sont grand ouverts, et il voit. Son regard croise celui d’Imiarouf. Ils se regardent, Imiarouf en haut sur sa poutre, et l’enfant en bas, dans son berceau de foin. L’enfant n’a même pas peur de lui, il sourit.
« C’est bien la première fois qu’un humain me voit sans avoir peur, se dit Imiarouf ; c’est bien la première fois qu’un humain voit comme moi au plus profond de la nuit. Il est un peu comme moi, ce petit. Il voit, quand personne ne voit. Il voit la nuit, et la nuit ne lui fait pas peur. Peut être que je lui ai donné ce cadeau-là : de pouvoir voir quand personne ne voit, de voir ceux que personne ne veut voir. Il a un regard de lumière qui voit même la nuit. C’est beau, un regard de lumière, un regard de chouette ! » Et pour la première fois de sa vie, Imiarouf se trouve belle.