Point KT

Le vieux manteau

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Conte pour la fête des Rameaux

Il est tard, la nuit tombe sur Jérusalem. Un voyageur s’approche de la ville. Il se nomme Démétrios. C’est un marchand grec. Il s’est fait attaquer par des bandits. Son argent a été volé, ses serviteurs tués. Il retourne à Jérusalem pour que ses compatriotes lui prêtent l’argent de son voyage de retour. Mais il est trop tard pour les chercher dans la ville. A l’approche de la Pâque, il y a bien trop de soldats romains et ils sont bien trop nerveux, mieux vaut éviter d’attirer leur attention si on ne veut pas passer la nuit en prison. Démétrios a décidé de dormir en dehors de la ville, à la belle étoile. Soudain, il voit par terre un vieux manteau plein de poussière parmi toutes sortes de branches à moitié fanées. Il s’approche, le ramasse, l’examine sous toutes les coutures. Oui, c’est vrai, ce manteau n’est pas très propre. Il est aussi un peu déchiré. Mais les nuits de printemps sont froides. Un manteau de plus pour se couvrir quand on dort dehors, cela ne fait pas de mal. L’homme s’en va, s’installe en s’enveloppant dans le manteau et s’endort.
Cette nuit là, il fait un rêve très étrange.

Pensez ! Le manteau qu’il avait trouvé lui parlait ! Et voici son histoire :

Moi, je suis un vieux manteau. Je suis bien usé, j’ai eu plusieurs propriétaires. Je suis bien content de pouvoir encore servir à quelque chose. Je vais te remercier de m’avoir ramassé ce soir en te racontant ce qui s’est passé aujourd’hui.
Mon propriétaire, ou plutôt mon ancien propriétaire, Elias le maçon, est un vrai excité. Tout le temps en train de parler de politique avec ses amis. Ils détestent les Romains qui occupent le pays et obligent les habitants à payer beaucoup d’impôts. Elias parle sans cesse de révolte, de guerre. Il attend le Messie. Tu sais, le Messie que les prophètes nous ont annoncé. Celui que Dieu va nous envoyer, un roi de la famille de David qui va rendre au peuple d’Israël sa grandeur d’autrefois.

Évidemment, les choses étaient bien différentes du temps du grand roi David. Ah oui, c’est vrai, tu es grec toi, tu ne connais pas notre histoire. Alors voilà : David a su réunir les 12 tribus d’Israël en un seul État. Jamais le pays n’avait été aussi grand et puissant. C’était un grand chef de guerre. Il a battu les Philistins, il aurait bien su chasser les Romains. Il faut dire qu’il avait été choisi par Dieu et qu’il lui a toujours été fidèle. Oh, ce n’était pas un homme parfait, loin de là, mais il savait reconnaître ses fautes et Dieu l’a récompensé de sa fidélité en lui promettant une maison, c’est-à-dire une famille, qui régnerait toujours sur Jérusalem. Et des rois de la famille de David, il y en a eu, c’est sûr. Son fils Salomon, et tous ses descendants pendant plusieurs siècles.
Le problème, c’est que ce n’est plus le cas depuis longtemps.  Alors, les prophètes nous ont annoncé que Dieu enverrait un roi de la famille de David pour sauver son peuple.

Quand Élias a entendu parler de ce Jésus de Nazareth, de la famille de David, il a dressé l’oreille et s’est renseigné. On lui a dit qu’il était sage, comme Salomon ; qu’il enseignait et guérissait les malades ; qu’il chassait les démons. Ces choses-là n’annoncent-elles pas la venue du Messie selon certains ? Et ce Jésus était en route pour Jérusalem. On l’avait vu à Béthanie, tout près. Élias a décidé d’aller voir, avec ses amis à quoi ressemblait ce Jésus.

Ils n’étaient pas les seuls. De toute part, on l’acclamait sur son passage. Il était monté sur un petit âne, qu’il avait réquisitionné sans difficulté, comme s’il y avait eu droit. Il entrait dans la ville comme Salomon y était entré, après avoir été sacré roi par le prêtre Sadoq. Et les gens criaient :

Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur !
Béni soit le règne qui vient, le règne de David, notre père !
Hosanna dans les lieux très hauts !

Élias et ses amis se disaient :

Hosanna ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! C’est ce que l’on proclame lors de la fête des Tentes, des cabanes, et on sait bien que Dieu choisira cette fête pour venir régner sur terre . Et puis, on est bientôt à Pessah, la Pâque, et on sait bien que le Messie viendra lors de la nuit de la Pâque. Ce Jésus, c’est sûrement lui, c’est le Messie ! Enfin, nous allons être débarrassés des Romains ! Enfin nous serons à nouveau une grande nation.
Et hop ! Ils ont enlevé leurs manteaux et les ont jetés devant l’âne, tout comme il y a si longtemps le peuple avait jeté des vêtements sur le passage d’un autre roi envoyé de Dieu, le roi Jéhu.

Et moi, je me suis retrouvé dans la poussière du chemin. Il est passé, il est entré dans Jérusalem. La foule l’a suivi et Élias, excité comme toujours, a oublié de me récupérer.

Mais moi, vieux manteau, j’ai réfléchi. Cet homme qui est venu comme un roi n’avait pas l’air de vouloir faire la guerre. Il n’avait ni arme ni soldat. Et j’ai entendu ses disciples qui parlaient entre eux tout bas. Ils ont peur pour lui. Ils pensent que c’est très dangereux de venir à Jérusalem. Ils se rappellent qu’il leur a dit qu’il allait mourir à Jérusalem. Cela ne ressemble pas du tout à des plans de bataille cela.
Alors, quelle sorte de roi est-il ? Que va-t-il lui arriver ? Aujourd’hui, c’était la fête. Mais demain ?

Le lendemain, Démétrios se réveille et réfléchit. Les rêves viennent des dieux, c’est certain. Alors, cet homme, ce roi qui vient d’entrer dans la ville, il faut qu’il le voie. Quelle sorte de roi est-il, Démétrios ne le sait pas, mais ce qu’il a compris, c’est qu’il est venu pour lui.

Crédit : Anne Petit (EPUdF), Point KT, illustration Pixabay