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Les femmes font bouger le Congo-Brazzaville

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Meurtries mais debout, Victorine Bakassidi, Louise Bakala, Jaqueline Mizidy et les autres témoignent de leur humanité et de leur espérance. Si les épreuves renouvellent l’intelligence de la foi, alors on les envierait presque de savoir lutter ainsi. L’âpreté de l’existence lui donne aussi tout son sens. Atteints dans leur espoir en l’avenir, les Congolais voient se déliter jusqu’à leur capacité à créer du lien social. Pourtant, des femmes clament qu’elles peuvent vivre mieux, non pas en inventant un avenir, mais en saisissant leur présent. La lutte contre le sida, la microfinance, l’accueil des orphelins, les conflits ethniques et politiques sont des questions de société dans lesquelles les chrétiens s’illustrent, à leur façon. L’Église est de plain-pied dans cette réalité, elle résiste à la violence des hommes.

Les joies et les peines de Victorine Bokassidi, assistante sociale  D’une main ferme, Victorine Bokassidi empoigne son large sac en skaï rouge. Calé sur son épaule, cet accessoire élégant et féminin, la suit à travers les quartiers défavorisés de Brazzaville, lorsqu’elle part à la recherche des « perdus de vue ». Ces derniers sont les séropositifs qui, une fois le test fait, ne sont jamais revenus pour suivre un traitement, pourtant gratuit. Deux jours par semaines, cette grande femme énergique de 52 ans, assistante sociale et « conseillère en dépistage » précise-t-elle, note l’adresse des patients, remplit son sac de leur dossier et sort sur le terrain pour des visites à domicile.« Je prends des risques en me rendant dans certaines parcelles (quartiers de Brazzaville), alors je mets au point une stratégie. Je joue celle qui, passant par hasard, demande si un tel ou une telle vit bien ici ? Tout se passe dans les yeux. Je la regarde et lui dis : Il faut que je te voie… Je ne précise pas où, pour ne pas les gêner. Les séropositifs comprennent tout de suite. » En 1986, lorsqu’elle a compris l’ampleur du fléau, Victorine s’est engagée « auprès de ces malades totalement abandonnés. On m’avait dit qu’à travailler avec des séropositifs, je serai contaminée. »

Je le remonte, je dédramatise Victorine Bokassidi, ou « maman Vicky », aime inspirer la confiance ; elle reçoit à Mayangui. « Je pose les mêmes questions : puis-je me rendre chez toi ? avec qui vis-tu ? avec qui peux-tu partager ton statut ? ». Elle accompagne aussi des couples « séro-discordants » ; l’un est malade, l’autre pas, ou pas encore. « Annoncer une séropositivité me prend une heure. Je prépare le malade, je lui annonce le résultat du test, puis je le remonte, je dédramatise » explique-t-elle en faisant rouler ses mains. Elle aime son métier, malgré les inévitables écueils ; les patients impossibles à retrouver car l’adresse donnée s’est révélée fausse, ou bien ces jeunes femmes revenant enceinte, un an après avoir connu leur séropositivité, et leur mari ne connaissant rien de leur statut.

Grand couscous Une fois par mois, Victorine Bokassidi devient cuisinière, organisant un grand couscous pour les séropositifs de l’association « Aide 2 vie ». « Nous mangeons ensemble, il n’y a pas de contamination. J’aime toucher la nourriture avec eux ». C’est aussi l’occasion de composer un repas équilibré en légumes. « J’éduque les femmes enceintes, et bien sûr, nous n’oublions pas de prier. »

Remarque : Depuis la fin des années 1990, l’Église évangélique au Congo demeure une des premières institutions congolaises à lutter contre le vih-sida. Deuxième structure du Congo-Brazzaville, après le CHU de la capitale, Mayangui offre gratuitement consultations, dépistages et suivis pour les malades du sida. Ce centre appartient à l’Église évangélique du Congo (EEC), principale obédience protestante du pays, qui a fait de la lutte contre le sida une de ses priorités. Deux autres centres existent, dont un à Pointe Noire, la capitale économique. Ces centres sont des lieux uniques dans un pays où, en 2004, le pourcentage d’adultes atteints (ou taux de prévalence) était de 4, 2 %. Ce taux est peu élevé par rapport au Botswana (37,30 %) ou l’Afrique du Sud (24,30 %). Tous les malades ne sont pas identifiés. En 2008, seulement 150 000 séropositifs sont enregistrés sur une population de 3,6 millions d’habitants.

Par Linda Caille, DEFAP, envoyée spéciale au Congo-Brazzaville

Louise Bakala la battante, offre six jours sur sept, le repas de midi à des orphelins. Ce n’est pas encore la rentrée ce matin de septembre, mais l’école paroissiale de la section de Ouenzé à Brazzaville est très animée. Dans la cour où déjà les institutrices sont réunies pour organiser l’année scolaire, Louise Bakala vient à notre rencontre. Nous sommes tout de suite sous le charme de son sourire chaleureux, de sa spontanéité. Elle semble être présente sur tous les fronts, un chef d’orchestre en quelque sorte. Notre regard est attiré par un groupe d’enfants de tous âges, portant un tee-shirt immaculé avec le sigle de l’ O.S.D.O. (œuvre sociale diaconale en faveur des orphelins). Ce sont ces enfants qui donnent du sens à la vie de Louise Bakala, technicienne supérieure de laboratoire en biologie végétale à l’Université de Brazzaville. Ici, c’est « maman Louise ». L’œuvre est soutenue par l’EEC (Église évangélique du Congo) et le SEL (Service d’Entraide et de Liaison). Ces enfants sont là aujourd’hui parce que nous sommes venues. Nous nous regroupons dans une salle de classe. Nous sommes accueillies par des chants de bienvenue. Sans elle, ces enfants seraient livrés à la rue : « La rue donne une mauvaise éducation, les adultes baissent les bras, nous sommes obligées d’apprendre aux enfants à se laver les mains, à entretenir leurs vêtements, nous suivons leur travail scolaire. » Sur le tableau noir, les inscriptions pour prévenir des dangers de la rue ne laissent place à aucune ambiguïté : viol, prostitution, sida.

70 repas par jour Qui dit école, dit cantine. Aujourd’hui plus de la moitié des enfants n’ont rien mangé depuis la veille. Pendant la période scolaire Louise prend en charge ces enfants en leur offrant un repas par jour, six jours de la semaine. Louise précise : « Ici, les enfants redoutent les temps de vacances. Avec la rentrée des classes, ils sont au moins assurés d’avoir un repas par jour. D’ailleurs dans les familles où ils sont hébergés, leur assiette est enlevée. » Mais lors de notre visite, ce ne sera qu’un jus de fruit et un paquet de biscuits. Louise nous fait part de ses inquiétudes : « L’huile, le riz, le poisson salé, les congelés, tout augmente. Comment vais-je nourrir ces enfants ? » Deux jeunes femmes préparent chaque jour, au domicile de Louise, quelque 70 repas qu’elles acheminent, sur 300 mètres, dans une brouette. Louise nous emmène chez elle pour visiter les cuisines. Nous croisons son père, un homme âgé dont le regard s’allume à notre arrivée. Il est aussi chez lui. Lors de la guerre, il a refusé de quitter son domicile. On comprend de qui Louise tient ! « Quand j’ai dit à mon père que je souhaitais mettre quelques pièces de la maison à la disposition de l’Église pour pouvoir entreposer des denrées alimentaires et préparer des repas, il a tout de suite été d’accord : Si c’est pour l’Église, alors c’est très bien ! » Le four surtout nous a impressionnées. Imaginez un genre de petit hangar abritant un vaste foyer surmonté d’une structure en tôle, faisant office de cheminée. Ce ne doit pas être tous les jours facile pour Judith et Ninel, les deux cuisinières… Dans des pièces attenantes, des sacs de riz, de l’huile, des oignons sont entreposés. Bientôt il y aura toutes sortes de légumes, production des champs de Massissia.

Massissia, les champs de l’espérance Louise insiste pour nous faire visiter les parcelles de Massissia, en périphérie de Brazzaville. Nous quittons les rues principales, bruyantes et poussiéreuses. Nous nous enfonçons dans des chemins de campagne où des petits enfants nous font signe. Fièrement Louise nous désigne une vaste étendue de terres cultivées, ombragées par des arbres qui ont survécu au désastre. Des champs de choux, de haricots verts, de l’oseille africaine, de l’amarante, des arbres fruitiers, manguiers, papayers, bananiers offrent une véritable oasis dans cette ville meurtrie. Des maraîchers qui vivent là avec leur famille apportent pour la rentrée prochaine quelques produits. Nous goûtons les concombres. Délicieux… Ces terres ont une histoire. C’est grâce à l’intervention de l’Église évangélique d’Alésia à Paris et de l’Association française « les Bons motifs » que ces parcelles ont pu être achetées. Elles appartenaient à un membre de la famille de Louise qui a su le convaincre de vendre à un prix intéressant. C’était pour une cause juste. Les graines ont été offertes par le SEL Cela rentre dans le cadre des projets « Ticket-Repas ». Cet apport supplémentaire est important pour varier les menus. C’est l’occasion aussi de former des jeunes dans le domaine du maraîchage et de faire un peu de commerce. C’est une sécurité en cas d’arrêt de soutien financier. Mais Louise nous fait part de son inquiétude : « Il nous faudrait des serres, à la saison des pluies nous avons beaucoup de pertes. » Rien n’est jamais gagné.

Ne plus venger son père L’accueil des enfants est l’occasion aussi de les sensibiliser à une éducation à la paix. « Quand un enfant me dit, je tuerai un militaire car un militaire a tué mon père, il y a un grand travail sur le pardon à accomplir, c’est gagné quand l’enfant déclare : oui, j’ai compris, je ne veux plus venger mon père. » Louise les engage aussi à apprendre les langues des différentes ethnies. « Pendant la guerre, j’ai été interpellée près de chez moi par des miliciens. J’ai cru ma dernière heure arrivée. En reconnaissant leur langue, j’ai pu m’adresser à eux. Ils ont pensé que j’étais de leur bord, et m’ont laissée partir. Cela m’a sauvé la vie. » Louise nous confie ses rêves pour une « Maison de la femme » qui sera bientôt terminée.Et Louise sait monter des projets, sait frapper aux bonnes portes, sait entraîner l’adhésion. Ce n’est pas  pour rien qu’elle a eu pendant 7 ans un mandat de l’E.E.C. au Conseil Œcuménique des Églises à Genève.

Par Janick Pilot, envoyée spéciale au Congo-Brazzaville

Jacqueline Mizidy : la tontine, botte secrète de la microfinance La caisse féminine d’épargne et de crédit mutuel (CFCM) est représentative de la réussite d’une initiative privée. Ce circuit financier informel, reposant sur la microfinance, est primordiale pour l’économie locale congolaise. Jacqueline Mizidy raconte son histoire. Cofondatrice de la caisse féminine d’épargne et de crédit mutuel et actuelle présidente, Jacqueline Mizidy, belle femme d’une soixantaine d’années, vous accueille, appuyée sur une canne. Elle a subi une opération de la hanche en Norvège où réside un de ses sept enfants. Elle n’est pas encore rétablie, mais comme elle s’empresse de l’expliquer : « C’est bien la Norvège, j’ai même chanté devant la beauté des fjords, mais j’ai eu hâte de revenir, le manioc, les aubergines, la vie ici, tout me manquait… » . Quelle belle déclaration d’amour pour un pays qui a subi tant de traumatismes. Pourtant, Jacqueline confesse : « En voyant le laisser-aller, les ordures éparses, les rues défoncées, j’ai pleuré. Je me souvenais de Brazzaville, si belle avant la guerre… ».


Tu ne peux vite prendre que ce qui t’appartient
(proverbe congolais) Elle parle de cette caisse qui lui tient tant à cœur, mais elle reste modeste : « Je n’ai rien inventé. Je me suis appuyée sur les coutumes bantoues qui voulaient que l’on prélève une partie de ses récoltes, de son cheptel, pour une mise en commun. » Se créer une épargne pour faire face aux aléas de la vie est sûrement la chose la plus sage qu’une femme au Congo-Brazzaville puisse envisager de faire. Il n’est pas rare qu’une femme venant de perdre son conjoint soit dépouillée par la famille de son mari. Sans compter celles qui sont chassées de chez elles quand elles sont séropositives. Ces cas dramatiques Jacqueline Mizidy en a rencontré trop souvent dans son métier d’assistante sociale pour ne pas réagir. « Ces femmes ne peuvent partir qu’avec ce qui leur appartient en propre, d’où leur très grande vulnérabilité. Chacune de nous doit exercer une activité, mais sans mise de départ, sans conseil, sans soutien, ce n‘est pas simple ». En 1991, Jacqueline et quatre autres femmes se sont lancées dans ce grand projet : créer une épargne strictement féminine. Elles étaient une centaine au départ ; aujourd’hui la caisse compte mille utilisateurs.

Ouverture aux enfants, puis aux hommes Jacqueline a lancé sa fabrication de jus de fruit naturel. « Avec mon père pasteur, et les missionnaires, j’ai appris à faire des conserves. C’était ma spécialité à moi. Quand je vais informer les femmes en zone rurale, beaucoup ne sont pas conscientes de l’intérêt d’adhérer à une telle structure. Alors, je me mets au travail, je prépare des gâteaux, j’organise la fête et je leur dis que, ce que moi je peux faire, elles aussi elles le peuvent, pour le bien commun. Est-ce qu’un seul doigt peut laver la figure, non ! mais avec toute la main c’est possible ! Toutes les tâches que nous pouvons partager, allons-y. Il s‘agit de valoriser les produits locaux et les savoir-faire, de chercher une complémentarité. Si on comprend que l‘on peut apporter quelque chose aux autres et qu‘eux-mêmes peuvent nous aider, c‘est gagné ! C’est une question de confiance en soi et de confiance mutuelle. Et puis se regrouper est bon pour le lien social. Nous souhaitons que tous les consistoires voient l’intérêt de cette démarche qui doit être volontaire. »

Pas pris au sérieux Au début, ce n‘était pas évident : « Quand on a décidé de monter notre petite affaire de microfinance, nous n’étions pas prises au sérieux, nous n’étions pas écoutées. Alors on s’installait sur le gazon, là, dans la cour de la présidence de l’Église évangélique du Congo. Pour cette période d‘expérimentation nous avons été seules. Mais nous avons bientôt été identifiées par l‘Église. » Le siège est situé dans les locaux de l’Église évangélique du Congo. Jacqueline nous explique : « Vous comprenez, n’importe qui peut passer, personne ne se doute de notre activité. Seuls les membres y ont accès. C’est plus prudent ». La structure reste discrète. Dès la porte franchie, nous comprenons en voyant les guichets protégés que nous sommes dans un lieu où l’on parle argent. Beaucoup de personnes retraitées y déposent, par sécurité, leur pension, d‘autres leurs économies. « Une précision tout de même, les hommes ne peuvent pas être membres adhérents mais peuvent être usagers. Les femmes membres ont le droit d’assister aux assemblées générales, mais elles ne prennent pas part directement aux décisions. Quant à la pub, c’est le bouche à oreille qui fonctionne ». La période de guerre a considérablement ralenti cette activité. Il y a eu un repli sur soi, destruction de certaines structures mises en place, de récoltes, pénurie de denrées alimentaires…

Production de jus de fruit Jacqueline exprime son regret : « J’avais reçu de l’étranger une chaîne de fabrication pour intensifier ma production de jus de fruit. Le container est bien arrivé à Pointe-Noire mais son contenu n’a jamais été livré à Brazzaville. Je ne m’en console pas ». Mais les choses ont redémarré bien que le prix des denrées alimentaires (blé, riz) ait doublé en trois ans. La Caisse a su diversifier ses activités, proposer un suivi et une formation, accorder des crédits, accompagner des projets… Cependant ce qui reste premier c’est son lien avec l’EEC et son souci permanent d’un engagement éthique. « Une structure hors Église avait voulu fonctionner avec nous. Les femmes se sont montrées trop gourmandes, nous avons arrêté la collaboration. Nous, ce que nous recherchons, ce n’est pas l’enrichissement personnel mais la solidarité tant familiale qu’ecclésiale ». Une de leurs joies est de pouvoir participer financièrement à l’œuvre de Dieu dans l’Église ; elles offrent à la paroisse des nappes brodées, des corbeilles, leur offrande permet de rémunérer un pasteur… Leur secret ? La ténacité ! « Il faut marcher doucement dans la société, en posant un pied devant l’autre et surtout se dire : demain matin, je dois être là. »

Par Janick Pilot, envoyée spéciale au Congo-Brazzaville

Articles ci-dessus publiés avec l’autorisation du DEFAP : Service protestant de mission

Extrait du mensuel protestant « MISSION » n° 185 – novembre 2008

Concernant le micro crédit, c’est une manière, pour les témoins de la Bonne Nouvelle, de  lutter efficacement contre la pauvreté en pratiquant l’économie comme une véritable science humaine : humble et généreuse !  Consulter « MISSION » n° 189 – avril 2009

Autre article paru sur PointKT, sur le sujet du micro crédit : Pourquoi pas ?    cliquer ici