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Accueil de l’étrange

ACCUEIL DE L’ÉTRANGE… (Matthieu 25, 31-46) ? Comment se laisser interpeller par un vieux texte biblique, comment le vivre aujourd’hui. L’animation proposée par Frédéric Gangloff a été vécue lors du week-end « La Parole est dans le Pré ».     Etape 1 : Entrer dans le texte par des questions… Qu’est-ce qui m’est étranger ? Quoi (ou qui) … Lire la suite

L’étranger : de l’ennemi à l’allié

ID 1354 115
ID 1354 115  La réflexion sur notre relation aux étrangers ne relève pas seulement du champ social et politique. Elle nous concerne spirituellement. Elle renvoie à nos systèmes de convictions, aux représentations que nous nous faisons de nous-mêmes, à notre manière de parler de Dieu et de penser la foi. La question qui nous intéresse ici est de savoir en quoi l’Évangile peut modifier le regard que nous portons sur ceux qui nous sont étrangers et, plus encore, comment sa proclamation, sa prédication, peut susciter une solidarité à l’égard d’autrui ?

La réflexion sur notre relation aux étrangers ne relève pas seulement du champ social et politique. Elle nous concerne spirituellement. Elle renvoie à nos systèmes de convictions, aux représentations que nous nous faisons de nous-mêmes, à notre manière de parler de Dieu et de penser la foi. La question qui nous intéresse ici est de savoir en quoi l’Évangile peut modifier le regard que nous portons sur ceux qui nous sont étrangers et, plus encore, comment sa proclamation, sa prédication, peut susciter une solidarité à l’égard d’autrui ?

On se souvient des propos sur une prétendue inégalité des civilisations. Françoise Héritier, anthropologue, titulaire de la chaire Claude Lévi-Strauss au Collège de France, réagissait dans les colonnes du journal Le Monde (en date du 12 février 2012) en rappelant combien le rejet de l’autre relève d’une dimension infantile et primaire. « Les certitudes fondées sur des émotions, écrit-elle, ce “bon sens” partagé pour affirmer que les autres ne sont pas comme nous et, dans la foulée, nous sont inférieurs, proviennent d’un réflexe psycho-social partagé par toute l’humanité […]. Ethnologues, géographes, linguistes, historiens savent que, en règle générale, le nom sous lequel se désigne une population définie par une culture, signifie “Nous, les humains”. Les autres, autour, au loin, sont des “barbares” (littéralement “ceux qui ne parlent pas comme nous”) ou des “sauvages”, lorsqu’ils sont encore plus éloignés. »

Ce rejet de l’autre et le racisme qui l’accompagne bien souvent, relèvent d’une stratégie de défense identitaire qui tend à exclure de l’humanité ceux qui ne sont pas comme « nous ». On se souvient de l’historien Hérodote qui dessinait des cercles concentriques de populations éloignant progressivement du centre les caractéristiques humaines et identifiant les étrangers aux animaux les plus repoussants : vermines, poux, rats… Le racisme est une modalité du rapport à autrui partagée sans doute par tous et qui demeure très primitive. Françoise Héritier poursuit son analyse en en appelant à l’éducation et aux oeuvres de la culture qui seules permettent de dépasser ces réflexes identitaires primaires. « Seule la raison, écrit-elle, permet de comprendre, canaliser, maîtriser ces émotions primaires […]. L’expérience enfantine de chacun en ce domaine est relayée ensuite par un apprentissage social qui règle étroitement ouverture ou fermeture aux autres, aux non-apparentés ou à ceux qui ne partagent pas le même territoire. »

On se souvient que la réflexion de Claude Lévi- Strauss, auquel l’anthropologue se réfère, aura précisément porté sur ce point : la nécessité pour les humains de se marier entre groupes distincts de consanguinité (d’où l’instauration de la prohibition de l’inceste), nécessité qui transforme les ennemis d’hier en alliés coopératifs aujourd’hui et en consanguins demain.

Ces propos ici rapportés nous montrent ce que pourrait être la fonction éducative de la prédication chrétienne : celle d’évangéliser notre rapport à autrui. Celle de nous permettre, à nous aussi, de « maîtriser nos émotions primaires », de transformer notre vision de l’autre, pour en faire non plus un ennemi mais un allié, nous dirions un frère, et plus encore, pour passer de la prééminence du même, du familier, à l’étranger comme ce qui contribue aussi à nous structurer.

Précisons que nous entendons par prédication une réalité beaucoup plus large que la prédication du dimanche. Ce terme désigne le système de convictions dont témoigne le christianisme et dont il prétend ou voudrait être l’incarnation.

Une autre question nous requiert ici : celle de savoir pourquoi nous devrions nous intéresser, dans les Églises, à cette thématique de l’étranger ? Et plus encore, pourquoi ces mêmes Églises devraient s’en préoccuper ? Nous pouvons avoir de bonnes raisons de le faire : des raisons morales, sociales et politiques. Mais pour quelles raisons spirituelles et ecclésiales ?

Nous défendons ici que c’est précisément parce que la prédication chrétienne participe de cette vaste entreprise éducatrice de notre rapport aux autres que cette thématique de l’étranger trouve sa place dans la réflexion théologique et dans la vie des Églises. C’est parce que l’Évangile change notre regard sur les autres que la prise en compte solidaire de ces autres devient légitime sur un plan spirituel. L’Évangile éduque notre regard sur l’étranger de telle façon qu’il fait de celui-ci un proche et une source de préoccupation spirituelle.

La première réponse à cette double question (en quoi l’Évangile éduque nos relations à autrui ? Pourquoi une solidarité ecclésiale en faveur des étrangers ?) porte sur le lien entre le particulier et l’universel. Il nous semble que l’une des grandes leçons de l’Évangile est de préférer le proche au lointain. Cette préférence s’illustre à travers la préoccupation de Jésus pour des individus, des hommes et des femmes qui sont pris en compte dans ce qui les rend singuliers, dans leur unicité. S’il y a une dimension universelle dans la prédication de Jésus, si les propos qui ont été retenus de lui cherchent à dépasser les frontières, à atteindre le monde entier, c’est toujours à partir des individus, à travers la prise en compte des situations particulières. L’Évangile va toujours vers le concret. La notion même d’incarnation, si prédominante pour la théologie chrétienne, dit bien l’importance de ce mouvement d’ancrage des vérités de Dieu et de l’humain.

Cette tension entre le particulier et l’universel et la manière dont l’universel passe toujours par le particulier enrichissent notre relation à celui qui nous est étranger. Celui-ci n’est pas d’abord une abstraction, un concept ou un fantasme, il est d’abord une histoire et une situation, un itinéraire.

L’étranger est toujours d’abord une femme, un homme, un enfant, qui, en ce qui nous intéresse ici, se retrouve bien souvent en situation d’exil involontaire. Des liens ont été rompus, tout ce qui constitue le socle sur lequel nous nous construisons a été brisé et le restera pour longtemps et peut-être pour toujours. Cette rupture est d’autant plus douloureuse pour des personnes issues de sociétés où l’identité se définit principalement par l’appartenance à un groupe déterminé. Cette femme, cet homme, cet enfant, est une personne déliée qui en plus se retrouve, bien souvent, projetée dans un monde souvent incompréhensible, indéchiffrable, dont les codes lui sont en partie inconnus. Il y a là comme deux vulnérabilités qui se renforcent mutuellement : celle d’être coupé d’une partie de soi-même et celle d’être projeté dans l’inconnu d’un monde incompréhensible.

Il existe toujours une tension entre la particularité de ces situations vécues et le caractère forcément universel des lois qui réglementent ces mêmes situations. Or nous sommes perpétuellement tenus de prendre en compte ces dernières, ce vécu, ces itinéraires particuliers pour éviter que la loi ne devienne froide, mécanique et inhumaine. La philosophe Hannah Arendt a précisément défini le totalitarisme comme l’entreprise par laquelle on prétend imposer le bien en faisant comme si les gens n’existaient pas. Mais si nous sommes tenus de prendre en compte la particularité des situations, nous le sommes aussi du caractère universel de la loi. Seul celui-ci préserve du règne de l’arbitraire, de la manipulation, mais aussi du délitement du collectif.

La leçon des évangiles nous est ici utile car elle nous invite, au coeur de cette tension nécessaire et indépassable entre le particulier et l’universel, à enrichir notre rapport à l’universel à partir du concret. Cet enrichissement passe prioritairement selon nous par la pratique du témoignage. 

Celui-ci permet aux situations particulières de se dire. Les témoins oeuvrent socialement à raconter ce vécu, à porter ces situations particulières à la connaissance de tous et permettent ainsi au législatif de revenir toujours plus au concret, de prendre toujours plus en compte ces situations. Seuls les récits évitent ce totalitarisme de l’abstraction, de l’imposition d’un bien sans prendre en compte ceux qui en seraient les bénéficiaires. Ces témoins contribuent de manière heureuse et nécessaire à résister à la mécanisation déshumanisante de la loi. Ils obligent la loi à se particulariser toujours davantage. Dans ce sens, on pourrait dire, nous y reviendrons plus loin : la grâce anticipe sur la loi…

Cette prédication éduque notre rapport à autrui en nous rappelant aussi que la thématique de l’étranger nous concerne de près, du plus près qui soit possible car la Bible est précisément une affaire d’étrangers. « Ces autres, autour, au loin, que sont les “barbares” », comme l’écrit Françoise Héritier, ces « non apparentés » éloignés du centre de ce qui fait l’humanité, ces autres de mes réflexes identitaires primaires, ces autres, ils se retrouvent au centre même de nos littératures bibliques. On l’oublie trop souvent mais, en effet, le corpus des textes qui composent cette vaste littérature biblique à laquelle le judaïsme et le christianisme se réfèrent, est une longue histoire d’exil, de déplacement, de déportation, de déracinement, de rupture. L’exil est pour nos deux Bibles, hébraïque et grecque, une réalité tangible, vécue, et ce même exil va devenir un élément fondateur, structurant de leur propre système religieux. On le comprend aisément pour le judaïsme qui naît en situation d’exil, qui se reconstruit en tant qu’étranger et en situation de confrontation avec de l’étranger. C’est vrai aussi du christianisme qui est l’héritier de la prédication d’un autre, d’un juif, et qui va, lui aussi, se déterminer, en fonction de traditions différentes.
  On voit déjà ici combien cette thématique de l’étranger n’est pas pour la prédication chrétienne matière à option ; elle est constitutive du christianisme, de son émergence, de son histoire comme de sa dogmatique.
  On voit aussi et surtout que le « non apparenté », le « barbare » de nos réflexes identitaires primaires, est dans la Bible celui avec qui je dois nécessairement « faire avec » pour construire mon identité, et c’est aussi celui que je découvre être moi-même aux yeux de ceux qui m’entourent.
  Sur un tout autre registre, mais pour dire un peu la même chose, il est hautement significatif qu’à chaque fois que le christianisme s’est installé dans une société donnée, des mouvements de contestation sont apparus à l’intérieur de ce même christianisme pour le réveiller, et pour le réveiller en l’empêchant de trop se conformer et se confondre au monde ambiant, pour rester toujours en partie étranger au monde lui-même. C’est dans cet écart avec le monde ambiant que le christianisme pense encore pouvoir se faire entendre comme une prédication prophétique, critique, non conformiste et en partie toujours dérangeante et impopulaire.
  Cette résonance entre le christianisme et cette thématique de l’étranger prend un tour nouveau et une dimension d’autant plus forte, que la prédication de Jésus elle-même fait de l’étranger une source d’inspiration pour la théologie. L’étranger apparaît alors commela figure médiatrice d’une prédication. En affirmant que nul n’est prophète en son pays, la Bible implique logiquement que c’est toujours de l’étranger qu’arrive le prophète ; telle une manière de soutenir que seule une parole différente, autre, étrangère peut nous stimuler, nous enrichir, nous faire découvrir un Dieu qui n’est jamais là où on l’attend, qui est toujours en excès par rapport à tout ce qu’on peut dire de lui, qui n’est la propriété de personne. Cette même prédication fait de la figure de l’étranger le lieu d’incarnation, de mise en oeuvre, de concrétisation du christianisme.

Le Jésus de Matthieu 25 « J’étais un étranger et vous m’avez accueilli » qui nous appelle à le reconnaître en l’étranger nous dit bien combien la suivance de Jésus nous solidarise avec les étrangers.

Cet étranger au cœur de la Bible devient nécessairement, grâce à elle, l’objet de nos préoccupations. Plus encore, cet étranger que nos émotions primaires rendent barbare devient à la lecture de la Bible celui avec qui je me construis.
Ce qu’il est intéressant de relever aussi, c’est ce passage de l’émotion primaire, raciste, qui souligne la protection du même, à l’émotion construite, inclusive, qui souligne la part indépassable de l’autre dans la construction de soi ; ce passage est médiatisé et donc enseigné à travers de nombreux textes bibliques, tels, par exemple, certaines paraboles de Jésus.
  Cet autre, dont la figure de l’étranger est emblématique, est ce qui ne se laisse pas réduire au déjà connu, à ce que je suis, à ce que je comprends… L’autre est fondamentalement ce qui échappe aux jeux des ressemblances et des équivalences ; en lui réside toujours un inatteignable, de l’incompréhensible qui échappe à toute anticipation et à toute emprise. L’autre m’est autre, précisément parce qu’il résiste à toute compréhension. Comme le disait le philosophe Emmanuel Levinas, dans son Totalité et infini : « L’autre, qui m’est autre, ne se résorbe pas dans mon identité de pensant et de possédant… ». La relation à cet autre, comme étranger, se devrait de préserver l’incognito auquel il renvoie. Accepter l’autre, comme étranger, ne revient pas à se l’annexer, à s’en faire un semblable. On se souvient ici de ce texte de la Genèse qui raconte la visite des étrangers dans la ville de Sodome. Le rejet de ces derniers qui déclenchera la colère que l’on sait, s’exprime dans les termes d’une sorte de trop plein d’hospitalité ! Ils sont exclus en se retrouvant connus, assimilés, phagocytés. On pourrait affirmer ici que si le dialogue a pour grande vertu d’opérer des traductions, de relier des dissemblances, de promouvoir des mondes communs, il lui revient aussi de laisser poindre les différences, voire des différends, et de se défendre d’emblée de tout comprendre, de tout intégrer. « Comprendre, c’est dominer », écrivait à juste titre le théologien Auguste Sabatier (1839-1901).

 

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L’apprentissage de cet incognito de l’étranger a d’autant plus sa place en christianisme, et encore plus dans un christianisme protestant, que celui-ci est structuré par la prédication d’un Dieu insoumis à toute captation, irréductible à tout ce qui voudrait l’enclore comme le dirait Calvin, et finalement le posséder. La foi chrétienne nous met à l’école de cet insaisissable. Elle nous apprend à nous dessaisir de toute forme d’appropriation et de chosification de la réalité ultime. On peut retrouver ici une lutte, au coeur même du religieux, contre le religieux lui-même, une lutte contre la dérive qui menace toujours le religieux de s’aliéner Dieu, et celui qui lui est fidèle, de se les approprier l’un l’autre, de réduire finalement l’inconnu, ce qui nous échappe, ce qui nous est autre dans le seul domaine du connu, du familier. C’est très certainement là aussi que réside la grande tâche de la prédication chrétienne, celle de constamment nous replacer devant ce qui de Dieu, des évangiles, comme de l’existence humaine, reste inatteignable, irréductible à toute captation, transcendant à tous savoirs établis.
  Cet apprentissage de l’incognito est peut-être d’autant plus nécessaire dans une société, la nôtre, qui a du mal, et peut-être de plus en plus de mal, à faire avec ce qu’elle ne maîtrise pas, ce qui lui échappe, ce qu’elle ne comprend pas. Ne faut-il pas aujourd’hui pouvoir tout comprendre, tout savoir, tout voir, tout connaître ? Si l’étranger dérange, semble tellement déranger, c’est aussi sans doute parce qu’il porte en lui cette menace d’un non maîtrisable. Un non maîtrisable que la raison théologique cherche, elle, précisément, à valoriser.
  Cette prédication chrétienne évangélise notre rapport à autrui dans le sens aussi où elle vient briser nos équilibres confortables pour tout mettre au risque de l’aventure.
  S’est bien installée l’idée, très juste au demeurant, que l’étranger est tout autant le porteur d’une menace que celui qui nous stimule et nous libère.
  Bon nombre de récits bibliques sont traversés par cette double attitude à l’égard d’autrui, de défiance et d’invitation, de méfiance et d’approbation. C’est ainsi par exemple que les traditions du particularisme de l’alliance ethnicisée, très vives notamment vers la fin de l’exil, s’opposent à celles plus universalistes et bienveillantes de l’alliance inclusive, telle la figure mythique d’Abraham.
  Le caractère ambigu de cette figure de l’étranger, de cet étranger mi-ange mi-démon, nous invite à rejeter tout autant l’accueil inconsidéré, l’idée qu’on peut accueillir tout le monde, que l’exclusion, le refus de toute ouverture. Il ne faudrait pas forcer l’hospitalité, sans s’être assuré des possibilités d’une intégration, il ne faudrait pas armer nos frontières en prétextant l’épuisement de toutes possibilités d’accueil. Sur un autre plan, on pourrait dire qu’il faut résister à l’émergence de communautés fermées sur elles-mêmes et immunisées, et cela, par exemple en christianisme, au nom du Dieu pur de la petite communauté des élus. Mais il convient aussi très certainement de penser la clôture, d’oser penser la fermeture des communautés comme ce qui permet de les identifier, de leur donner du relief, de contribuer à les rendre singulières. L’instrumentalisation politique de ce thème de la frontière pour défendre celle-ci contre ceux qui voudraient la rendre poreuse et la démanteler, ne saurait pour autant nous dessaisir de toute réflexion à son sujet. La frontière est aussi ce qui définit et identifie, elle distingue pour mieux réunir. La frontière est aussi ce qui assure les conditions d’un accueil favorable.
  Il n’en demeure pas moins que l’Évangile relève d’une dynamique autre. La prédication de cet Évangile n’est pas une leçon de sagesse et d’équilibre, elle est celle d’un basculement risqué et audacieux vers la rencontre. La vie de Jésus est celle d’une longue série de rencontres improbables avec des hommes et des femmes qui, dans le sillage du prophète, sont transformés de manière créatrice. L’action de Dieu révèle notamment sa puissance résurrectionnelle dans l’interstice des relations humaines, lorsque s’opère un changement de regard qui, précisément, transforme l’ennemi en allié et rend possible une fraternité humaine. La prédication de Jésus nous semble animée par cette dynamique qui vise à faire de la relation humaine une source d’épanouissement et de stimulation. L’autre, l’étranger, porte en lui la promesse d’un « supplément d’être », d’un « autrement » vivifiant, éminemment créatif.
  Nous l’écrivions plus haut, la grâce anticipe sur la loi. L’Évangile n’est pas une politique ; il ne peut à lui seul définir les conditions d’un vivre ensemble, organiser les différends inhérents à l’espace collectif, il ne peut réguler les dynamiques sociales et économiques à l’oeuvre dans nos sociétés. L’Évangile n’est pas une politique, de même que l’amour ou la compassion ne peuvent en devenir une. Mais sans faire de la politique, la prédication chrétienne anticipe sur le politique en tant qu’elle déploie un horizon de préoccupation et d’interpellation, en tant, aussi, qu’elle opère modestement parfois une forme de résistance, de sauvegarde de la société civile par le rappel de certaines valeurs, par une mobilisation en faveur de tout ce qui oeuvre à l’émancipation de humain.
  Puisque l’Évangile n’est pas politique, sa proclamation n’est pas forcément sage ; elle peut aussi prendre les risques d’une certaine forme d’irresponsabilité : celle de proclamer et de défendre un idéal qui entend bouleverser nos équilibres nécessaires. Si les Églises ne font pas de politique, c’est qu’elles acceptent que d’autres en fassent, et que ceux-ci leur rappellent peutêtre que l’Évangile qui les anime n’est pas forcément tenable politiquement. La grâce n’est pas la loi et ne saurait le devenir. Elle ouvre un horizon, elle sert un idéal qui, dans les faits de l’histoire, sera nécessairement objet de régulation, de certains compromis.
  Une des plus grosses difficultés à laquelle sont confrontés toutes celles et ceux qui oeuvrent en faveur des étrangers est la complexité des réglementations auxquelles ils doivent faire face, une complexité renforcée par la modification régulière de ces mêmes lois. L’un des effets négatifs, peut-être délibéré et auquel il est difficile de résister, est de rendre l’aide de plus en plus difficile et finalement de décourager la solidarité. Or c’est précisément face à ce découragement que la proclamation de l’Évangile résiste.
  Il nous faut pour cela retrouver la prédication de Jésus comme celle de l’homme debout. On se souvient ici de ces fameuses sculptures de Giacometti : cet homme debout, qui avance, en marche, délesté de ce qui le met en incapacité d’exister. Il nous faut retrouver cette prédication en résistance parfois à un certain pessimisme à l’endroit de l’humain dans ses capacités d’entreprendre et d’agir. La prédication de la justification par la grâce seule nous a trop souvent démobilisés, nous laissant penser que Dieu faisant tout, l’humain ne peut rien faire. Mais cette prédication de la grâce, n’est pas une prédication de la grâce facile et à bon marché, comme le disait le théologien Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) et avant lui le pasteur Wilfred Monod (1867- 1943), c’est une grâce qui nous libère pour les autres. La grâce libère pour l’action. La grâce de Dieu est celle qui nous est faite, lorsque nous nous croyons enfin capables, lorsque nous pouvons croire, à la suite du théologien Charles Wagner (1852-1918), que « l’homme est une espérance de Dieu ».
  Ces différentes leçons de l’Évangile nous montrent comment la prédication peut relever de cette vaste entreprise culturelle par laquelle nos pensées réflexes, premières et primaires, peuvent être éduquées, transformées. Le racisme, attitude commune et primaire, si banalisée et autorisée de nos jours, nous dirions même décomplexée, rend socialement et humainement impérieuse l’oeuvre de la culture. La culture, sous diverses formes (éducation, art, science, religion, etc.) éduque à la relation aux autres. En nous donnant de nous comprendre autrement, elle reconfigure nos identités. L’étranger, celui du dehors, ce non-apparenté presque déjà relégué dans le monde animal le plus repoussant, est replacé au coeur de l’humain que je suis, au coeur d’une humanité dont seule la culture montre le caractère indivisible. C’est cette œuvre de culture que nous attendons aussi de la prédication chrétienne.

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Les photos couleur son tirées du film documentaire Vol spécial de Fernand Melgar qui montre la vie dans un centre de rétention administrative suisse et celles en noir et blanc proviennent du livre On nous tue en silence de Denis Jutzeler, qui est le chef opérateur du film et a souhaité constituer une mémoire visuelle plus intime avec les détenus de Frambois.

Il explique, en quatrième de couverture de son livre photographique :
  « En février 2010, Fernand Melgar me confie l’image du film documentaire Vol spécial. Avec l’équipe de tournage, je me suis immergé durant deux mois dans un univers carcéral singulier, un centre de rétention administrative : Frambois.

À la fin du tournage, je propose aux détenus qui m’y autorisent de les photographier. Je voulais prendre le temps de leur dire au revoir et leur témoigner un regard personnel, silencieux, au-delà des mots. Garder une trace de leur peur, de leur colère, de leur dignité et de leur espoir malgré tout. Sans artifice, dans l’éclairage naturel, je leur ai demandé de se confier librement à l’image.
  Ces portraits nous fixent, non pas pour nous juger, mais pour exprimer ce qui se vit silencieusement, dans les vingt-huit prisons administratives de Suisse. »

Film à regarder avec les ados « VOL SPÉCIAL »  cliquer ici

Fiche pédagogique cliquer ici

 

 

 

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Le goût de Dieu -3/4 Le goût de la justice et de l’amitié

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Troisième volet du parcours « Le goût de Dieu » : le goût de la justice et de l’amitié. La faim, fatalité aveugle ou conséquence d’un système ? Manger et boire font partie des besoins fondamentaux de tous les vivants. Avoir faim et soif pousse les êtres humains à une quête désespérée jour après jour pour la survie.

I) La première partie : Le goût de l’accueil – cliquer ici
II) La deuxième partie de ce parcours : Le goût de l’espérance – cliquer ici
– Animations cliquer ici

Objectifs :

–    Spirituel et existentiel : Proverbe 27, Matthieu  6.11 et Matthieu 25.31ss.

o    Faire découvrir aux enfants que dans la Bible, l’amitié est une valeur importante.
o     Donner aux enfants l’envie de plus de justice, de penser en « nous » et non seulement en « je »
o    Susciter une réflexion sur leur responsabilité dans ce monde.
o    Faire découvrir que Dieu nous fait confiance pour être ses mains dans ce monde.

–    Culturel: S’ouvrir au monde

o    Susciter une réflexion de fond sur l’état du monde.
o    Faire découvrir que la façon dont nous vivons est en lien avec le monde entier.

–    Alimentaire :

o    Cuisiner pour les autres.
o    Faire une soupe à partir de produit d’ici pour des gens d’ailleurs.
o    Faire découvrir le plaisir de décorer une table.

Déroulement :

1.    Accueil : (13h40-14h00 min) tout le groupe.
  
–    Médiation :
i. En cuisine, il y a un sens qu’on utilise tout le temps, mais sans trop y penser : c’est l’odorat. Avant même de goûter, l’odorat nous donne le ton.
ii. Citez-moi une odeur que vous aimez beaucoup ?
iii. Poser et commenter le premier verset biblique Verset : «  La douceur de l’amitié est comme l’arôme le plus précieux » Proverbe 27.8
iv. Comment devient-on ami ?
v. Chanson : J’ai pris le train ce matin
vi. Cette chanson relie l’amitié à un deuxième thème : celui de la pauvreté. Celui qui n’a rien à manger.
vii. Poser le deuxième verset : « Donne-nous notre pain de ce jour » : Commenter le nous.
viii. Écouter la chanson des restos du cœur.
ix. Lire la phrase de Raoul Follereau.
x. Prière antiphonée : adultes – garçons – filles.

2.    Histoire biblique : Histoire de Martin (14h00-14h25)

–    Raconter le texte de Matthieu en s’aidant des enfants.

–    Qu’est-ce qu’ils auraient ressenti à la place de…
o    À la place du balayeur ?
o    À la place de la femme ?
o    À la place des mendiants ?
o    À la place de Martin ?

3.    Diviser en quatre groupes : Autour du texte biblique :                 ………………………………………

o    Sur un papier écrire : C’est pas juste….Lié à la nourriture.

=> Exemple : C’est pas juste que des gens meurent de faim. Que des parents ne puissent pas nourrir leurs enfants. Qu’un garçon m’ait volé mon goûter. Que des enfants doivent se battre pour trouver à manger.

o    Faire lire le texte biblique aux enfants :

Jésus parlait à ses disciples de sa venue, il dit un jour : « Quand le Fils de l’homme viendra dans sa gloire, il rassemblera tous les peuples. Il jugera les hommes et les séparera comme le berger sépare les brebis des chèvres : il placera les uns à sa droite, et les autres à sa gauche. Alors il dira à ceux qui seront à sa droite : « Venez, les bénis de mon Père. Vivez dans son Royaume : il l’a préparé pour vous depuis la création du monde. Car j’avais faim, et vous m’avez donné à manger; j’avais soif, et vous m’avez donné à boire ; j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli ; j’étais nu, et vous m’avez habillé ; j’étais malade, et vous m’avez visité ; j’étais en prison, et vous êtes venus jusqu’à moi ! » Alors tous ceux qui sont à sa droite lui répondront : « Seigneur, quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir ? assoiffé et de te donner à boire ? étranger et de t’accueillir ? nu et de te vêtir ? malade ou prisonnier et de venir te voir? » Et il leur répondra : »Amen, je vous le dis, chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait…A tous ceux qui sont à sa gauche, il dira : « Tout ce que vous n’avez pas fait à l’un des plus petits de mes frères, à moi non plus vous ne l’avez pas fait. »

o Lire le texte :

J’avais faim… et vous faisiez le tour de la lune. J’avais faim… et vous avez créé une commission. J’avais faim… et vous m’avez dit d’attendre. J’avais faim… et vous m’avez dit : « Nous avons des factures à payer. » J’avais faim… et vous m’avez dit : « La loi et l’ordre avant tout. » J’avais faim… et vous m’avez dit : « Mes ancêtres aussi avaient faim. » J’avais faim… et vous m’avez dit : « Après 35 ans on n’embauche plus. » J’avais faim… et vous m’avez dit : « Désolé, repassez demain. » J’avais faim… et vous m’avez dit : « Dieu vous vienne en aide. Seigneur pardonne-nous.    

D’après un texte de jeunes luthériens américains. Montrer l’image d’un cosmonaute.

=> Inventer quelques phrases d’un texte : Noter idée.
•    Tu avais faim… et j’ai………..

o    Faire le puzzle sur chaque feuille : que voyez-vous ? Lien avec le texte.

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 Le goût de la justice et de l’amitié

La faim, fatalité aveugle ou conséquence d’un système ?

Manger et boire font partie des besoins fondamentaux de tous les vivants. Avoir faim et soif pousse les êtres humains à une quête désespérée jour après jour pour la survie. Toutefois, quand ils mangent et boivent, ils accomplissent un acte qui n’est pas seulement vital pour leur survie, mais qui les relie aussi les uns aux autres. La plupart des religions connaissent des rituels alimentaires et des repas sacrés. La Sainte Cène et l’Eucharistie sont des rites alimentaires sanctifiés. La situation de près de la moitié des habitants de la planète est devenue révoltante. Elle ne dispose même pas du minimum indispensable pour calmer sa faim : un morceau de pain, une bouchée de poisson, quelques racines et une poignée de céréales. Bien que la Terre soit en mesure de produire – et produise effectivement – assez de nourriture pour satisfaire les besoins fondamentaux de chacun-e, des millions d’hommes et de femmes vivent dans une pauvreté extrême. Que s’est-il passé, qu’est-ce qui ne tourne pas rond ? La majorité des habitant-e-s du Sud et une partie de la population dans les pays du Nord aussi subissent aujourd’hui les effets négatifs du système économique mondial. Un système qui ne se soucie pas en priorité des gens et de la satisfaction de leurs besoins élémentaires, mais qui vise l’accumulation des profits entre les mains d’une toute petite minorité, qui bénéficie déjà du superflu. Ce système est responsable de la mort de 25 000 êtres humains par jour, dont 18 000 enfants, nés pour la plupart dans les pays du Sud. Ils meurent de la faim ou de ses conséquences. Cela, alors que l’agriculture mondiale est en mesure aujourd’hui de nourrir 12 milliards de personnes sans recourir au génie génétique. Cette situation nous autorise à dire qu’un enfant qui meurt de faim est un enfant que l’on assassine…

Notre foi dans le Dieu Créateur, qui aime toutes ses créatures, nous oblige à dénoncer ce scandale de manière prophétique. Nous avons faim et soif de justice. La Bible soulève le problème fondamental de la pauvreté – et donc de la faim – en opposant le riche et le pauvre. Jésus nous place devant un choix décisif : Dieu ou Mammon. «Mammon» représente la concentration des biens entre les mains de quelques riches… Donne-nous notre pain de ce jour est une demande qui figure au coeur du Notre Père. Cette injonction aux accents si simples est au pluriel, c’est un nous solidaire, il s’agit de notre pain. Prier pour notre pain quotidien nous engage ainsi à nous mobiliser pour un ordre économique plus juste, car il n’y a pas de paix sans justice…La compassion ne suffit pas. Pendant des siècles, les Eglises se sont inspirées de l’exemple du Bon Samaritain pour soigner les blessés, les malades et les affamés. Aujourd’hui, le nombre d’hommes et de femmes dans la détresse dépasse largement toutes les ressources humaines et financières de toutes les Eglises du monde… En plus de l’aide traditionnelle, nous devons aujourd’hui encourager la prise de conscience et renforcer la capacité d’action de celles et ceux qui subissent les conséquences de ce système. Le «droit à l’alimentation» est un droit fondamental prioritaire, car l’exercice des autres droits humains reste inaccessible à ceux qui ont faim. Nous devons rappeler les Etats et les gouvernements à leurs responsabilités. «La souveraineté alimentaire» ne doit pas devenir ou rester un simple slogan. Elle passe par des lois qui doivent être édictées et appliquées, ainsi que par des actions concrètes. Mettre en pratique la souveraineté alimentaire implique une volonté politique. Nous devons oeuvrer à sa réalisation là où nous vivons…    René Kruger

 
La Justice

Le mot de justice fait un peu peur, il fait penser à un tribunal, avec des accusations, des juges, des policiers, et la prison qui n’est pas bien loin. Effectivement, nous ne sommes pas parfaits et donc nous ne nous sentons jamais tout à fait à la hauteur de l’idéal que nous aimons dans l’évangile. Nous avons longtemps eu peur du jugement de Dieu. Mais le message de Jésus-Christ s’appelle évangile (= « Bonne Nouvelle ») et non pas Grand Avertissement. Et ce nom de Bonne Nouvelle est en rapport avec la justice de Dieu. La justice de Dieu, ce n’est pas une justice qui nous condamne pour nos fautes, mais c’est une justice qui justifie, qui nous rend justes, qui nous purifie, nous rend meilleurs. La justice de Dieu se traduit par notre « justification » et non par notre condamnation. Parce que Dieu nous trouve sympathiques. Et comme il n’aime pas l’injustice, il nous aide à la faire reculer en nous.

 La justice dans l’Ancien Testament :

–    L’ordre cosmique. Immense système qui apparaît chaotique à l’individu mais le sage y trouve un ordre gouverné, téléguidé par les dieux. Ordre venu d’en haut, hiérarchique, inégalitaire : certains sont prédestinés à la gloire et la richesse, d’autres sont prédestinés à la misère. La justice est cet ordre majestueux dans lequel je dois m’inscrire sinon je meurs. Pas d’équité. Somme des décisions divines, donc l’arbitraire et le roi a pour fonction de veiller à cet ordre.
–    Le chemin du droit : Pour sortir de l’arbitraire, la société édicte des lois faites pour contenir, limiter la violence, notamment celle de la vengeance. Les sociétés ont retiré la vengeance au domaine privé : tribunaux. Dans les civilisations du Proche Orient, ces règles protègent les faibles. On constate cependant que le notable est plus protégé que l’homme du peuple, c’est une justice à plusieurs vitesses qui cherche à protéger l’ordre social.
–    Le chemin de la sagesse traditionnelle : Un homme avisé donne des conseils à ceux qui vont assurer l’autorité. Le sage réfléchit à l’expérience humaine pour en déduire un ordre humain ; parfois haute évaluation morale mais le « raisonnement » est de discerner ce qui réussit et ce qui échoue. C’est une justice intéressée, même si l’on dénonce l’arbitraire, la spoliation, la fraude.
–    Le cri des prophètes critiques. Ni la loi ni la sagesse ne sont efficaces pour garantir les droits des petits. Tout cela met Dieu en colère.
–    La justice comme observance de la Torah. La justice ne concerne pas qu’un segment de la vie, c’est  exposer ma vie entière à la loi de Dieu.
–    
La justice dans le Nouveau Testament :

–    Il parle peu des questions sociales comme telles, plus des relations entre personnes que la manière dont la société doit être organisée. On montre des pratiques et il y a un appel à la conscience des personnes. On rappelle des enseignements.
–    Une exigence de justice qui peut paraître exorbitante. Jésus montre un idéal de fait inaccessible mais qui reste idéal. La justice est une tension eschatologique, l’important c’est qu’on marche autant qu’on peut.
–    Un principe : l’égale dignité de tous. Plus de discrimination, même dignité fondamentale, tous frères. Toute forme de fonction dans l’Eglise, toute hiérarchie, tout cela est relatif, à ne pas sacraliser.
–    Un deuxième principe : la richesse comme bien relatif. Pas de malédiction de la richesse : la richesse est un bien. Pas d’idéal de pauvreté, la misère est une horreur, toujours à combattre. Ne pas faire de la richesse une idole, seul Dieu mérite adoration. Je ne peux pas adorer Dieu sans respecter mon frère.
–    Une logique : la gratuité. Jésus veut qu’on dépasse la logique du donnant-donnant. Jésus polémique souvent avec les scribes et les pharisiens qui ont en tête la doctrine de la rétribution. Dieu donne sa grâce gratuitement. Estime de Jésus à l’égard de personnes que d’autres trouvent indignes… Aller bien au-delà de la justice qui est le règne du donnant-donnant.
–    Une pratique idéalisée : le partage total des biens, pour que nul ne soit pauvre. Projection d’un idéal. Il n’y a de société juste  que si chacun a de quoi vivre reçoit selon ses besoins (mais on peut discuter des besoins de chacun), à négocier, débat). Il n’y a pas de justice absolue, nous cherchons ensemble.
–    Un impératif : le service d’autrui                

Jacques Vermeylen.

Matthieu 25.31-46 : Eléments essentiels

–    Le critère de choix : Ce thème du jugement dernier était déjà courant dans le Judaïsme, et Jésus se base sur des images bien connues de ces auditeurs. Il était pour eux évident qu’il y aurait un jugement à la fin des temps, et que l’humanité serait coupée en deux… Ce n’est donc pas cela qui les étonnait dans la parabole de Jésus, mais plutôt le critère de la séparation. En effet, dans le judaïsme de l’époque, le critère était clair : c’était l’appartenance au peuple de l’alliance et l’accomplissement total de la Loi de Moïse. D’un côté donc les Juifs pieux, qui accomplissaient la Loi, de l’autre les païens ou les Juifs qui avaient un comportement moral douteux. Pour Jésus, le critère de jugement n’est pas l’appartenance à un peuple ou à un groupe, ni la perfection morale, mais l’attitude que nous avons envers les plus petits de nos frères et sœurs en humanité, les plus fragiles, ceux qui n’ont pas de droit. Voilà le seul critère et voilà qui a dû profondément étonner les auditeurs ! Chacun de nous sera jugé sur son attitude envers les plus petits, l’Eglise sera jugée non en fonction de sa fidélité dogmatique ou éthique, mais sur la place qu’elle laisse aux faibles en son sein. La société est jugée selon son attitude envers ses membres les plus fragilisés !

–    Le juge : Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises ; car il nous faut regarder qui est le Juge : C’est Jésus, Celui qui lui-même a vécu ce qu’il nous demande, celui qui pendant toute sa vie s’est approché des malades pour les guérir, des pécheurs pour leur annoncer la miséricorde divine, celui qui a vécu sa mission en étant « doux et humble de cœur », témoin infatigable de la tendresse de Dieu pour tous. Celui qui se présente comme le Juge du jugement dernier est donc celui qui va entrer dans sa Passion, c’est notre Sauveur, notre médecin, ou comme le disent d’autres textes, notre avocat… Voilà qui ne peut que changer en profondeur la vision que nous pouvons nous faire du jugement. Notre Juge n’est pas impassible, le juge froid qui pèserait chacun de nos actes de manière objective, mais c’est celui qui est venu au plein cœur de notre humanité, l’homme de peine et de souffrances qui a connu les affres du doute, de la tentation, de la solitude, et qui est à même ainsi de comprendre « du dedans » toutes nos difficultés de vie et nos cheminements parfois tortueux. Ainsi, le « jugement dernier » ne peut être séparé de toute l’œuvre de « salut » ou de « guérison » opérée par le Christ. C’en est même la Révélation finale. Mais alors, il nous faut renoncer à l’idée d’une humanité séparée en deux groupes distincts, avec d’un côté les justes, de l’autre les méchants. Le jugement ne séparera pas des groupes humains, mais il passera en chacun de nous, et il sera comme la conclusion du processus de guérison opéré par Jésus dans tout son ministère terrestre, et tout particulièrement par la Croix et la Résurrection.

–  La solidarité de Jésus : Ce qu’on peut remarquer d’extraordinaire, en Matthieu 25, c’est la solidarité de Jésus avec les hommes démunis et pauvres, avec les malheureux. Une sorte d’identification étonnante avec celui qui a faim, celui qui a soif, celui qui est étranger, celui qui est nu, celui qui est malade, celui qui est en prison. Chaque fois, cet homme, c’est Jésus. Ce qu’on a fait à cet homme, c’est à Jésus qu’on l’a fait. Ce qu’on n’a pas fait à cet homme, c’est à Jésus qu’on ne l’a pas fait. Jésus, c’est le paria de tous les systèmes, de toutes les classes, de toutes les nations. Il ne sera jamais solidaire à jamais d’une classe sociale contre une autre classe sociale. C’est pourquoi l’Evangile du Christ est toujours contestataire de l’ordre établi, quel que soit cet ordre, et solidaire des victimes des puissants, quelles que soient ces victimes et quels que soient ces puissants. C’est pourquoi l’Evangile, s’il est prêché et vécu dans sa vérité corrosive, devrait toujours déranger. Il dérangera les puissances, comme il dérangera les individus que nous sommes. Il nous interpellera. Il ne nous laissera jamais en repos. Bien sûr, il est dit très clairement que Jésus s’est définitivement placé du côté des petits et des pauvres. Mais attention ! Ces petits et ces pauvres peuvent être parfois et victimes et bourreaux eux-mêmes, tant il est vrai que le bourreau et le persécuteur doit être sauvé lui aussi de lui-même, de sa misère, de sa bêtise, de sa haine, de sa maladie. Aimez vos ennemis, a dit Jésus, et priez pour ceux qui vous persécutent.

–    Des situations toujours d’actualité :  Mais il reste que Jésus cite nommément ici des situations hélas classiques. « J’ai eu faim, et vous m’avez donné à manger. » C’est toujours d’actualité aujourd’hui, c’est la malnutrition de la majorité de l’humanité, c’est le scandale et l’égoïsme des pays riches qui préfèrent dépenser en armements des sommes qui suffiraient à la relance économique des pays pauvres. « J’ai eu soif, et vous m’avez donné à boire. » D’actualité aussi, cette grande soif des pays de la sécheresse en Afrique, surtout quand s’ajoutent à la misère économique l’oppression politique, la guerre ou les déportations forcées. « J’étais étranger, et vous m’avez recueilli. » Les étrangers sont chez nous désormais, à nos portes et dans nos églises. En quoi cela est-il devenu une préoccupation dans notre vie ? Comment les accueillons-nous ?

–   Une liste ouverte : Quelle que soit la misère de mon prochain, car la liste énoncée par Jésus n’est pas close, et chaque époque, hélas, sécrète ses propres misères, mon attitude envers ce prochain, envers ce petit, qualifie toute ma vie. « Ce que vous avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Ce sera la grande surprise ! Jésus est donc vraiment présent aujourd’hui sur mon chemin ! À moi de ne pas me détourner de lui.   

J. Sylvestre

 

–    Exemple de ce que l’on peut faire :
  ……………………………………………….

o    Montrer première partie des images sur le chocolat. Commenter.

o    Faire le jeu du chocolat avec les deux types de chocolats différents.

=> Poser des feuilles en notant dessus :

•    Producteur de cacao : orange
•    Transporteur de cacao . bleu
•    Fabricant de chocolat : vert
•    Distributeur de chocolat et publicitaire : Jaune
•    Vendeur de chocolat : marron.
    
=> Poser 20 carrés de chocolat, soit vrais soit faux. Chocolat normal.

– Demander aux enfants de répartir le nombre de carrés de chocolat qui représente ce que touche chacun.

– Donner la solution. Écrire solution

=> Poser 20 carrés de chocolat équitable et recommencer.

– Donner la solution. Écrire solution

– Montrer la fin des images sur le chocolat.

o    Faire le jeu du cacao.

 

 

Autour de l’amitié et de la solidarité :         ……………………………………………….

o    L’amitié comme une bonne odeur :

=> Faire sentir aux enfants des odeurs.
=> Essayer de reconnaître les odeurs.
=> Chacun en choisit une qu’il aime et essaie de dire pourquoi ?

o    Écrire une prière de reconnaissance – Noter idée

=> Merci pour l’amitié qui est comme une bonne odeur
=> Merci pour……………………….. qui est comme ……………………………………………..

o    Amitié et partage :

=> Parfois la vie n’est pas comme une bonne odeur.
•    Regarder image. Dire ce qu’ils en pensent.

=> Comment être juste : jeu.
•    Je dois distribuer ces bonbons. J’ai plusieurs solutions. Avoir un nombre de bonbons indivisibles par le nombre d’enfants. Leur dire qu’on va leur faire des propositions.
•    Proposition 1: Distribuer des numéros à chacun. -> Tirer au sort. Le premier sorti à droit à dix bonbons. -> Réaction. Est-ce juste ?
•    Proposition 2: classer les enfants par ordre de grandeur. Celui qui est le plus petit a droit à tous les bonbons. -> Réaction. Est-ce juste ?
•    Trouver avec les enfants une manière de répartir juste.

–    Faire la soupe : répartir le travail en groupe

o    Peler et couper légumes
o    Peler et émincer oignon
o    Rôtir les céréales
o    Couper les fines herbes

–    Mettre la table : répartir en groupe

o    Déplier table, mettre chaise
o    Mettre set
o    Mettre assiette et verre
o    Mettre couvert

–    Plier les serviettes.

 

 

 

 

 

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Appelés à vivre dans la liberté et dans la joie

Il en sera comme d’un homme qui, partant pour un voyage, appela ses serviteurs, et leur remit ses biens.
Il donna cinq talents à l’un, deux à l’autre, et un au troisième, à chacun selon sa capacité, et il partit… (Matthieu 25, 14-30)
La parabole des Talents est souvent lue comme l’illustration d’un principe de responsabilité : il faut faire fructifier ce que Dieu nous a confié et qui ne nous appartient pas…

Des talents au service de la catéchèse

 Image Au moment de démarrer une nouvelle année de catéchèse, la parabole des talents nous encourage à travailler pour faire fructifier ce que nous avons reçu. Cela peut nous stimuler, nous catéchètes, dans l’aventure de la transmission de la bonne nouvelle 

PARABOLE DES TALENTS : Matthieu 25/14-30 (Traduction TOB)

14 “En effet il en va comme d’un homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur confia ses biens.
15 A l’un il remit 5 talents, à un autre 2, à un autre un seul, à chacun selon ses capacités, puis il partit. Aussitôt
16 celui qui avait reçu les 5 talents s’en alla les faire valoir et en gagna 5 autres.
17 De même celui des 2 talents en gagna 2 autres.
18 Mais celui qui n’en avait reçu qu’un s’en alla creuser un trou dans la terre et y cacha l’argent de son maître.
19 Longtemps après, arrive le maître de ces serviteurs, et il règle ses comptes avec eux.
20 Celui qui avait reçu les 5 talents s’avança et en présenta 5 autres, en disant: « Maître, tu m’avais confié 5 talents; voici 5 autres talents que j’ai gagnés ».
21 Son maître lui dit: « C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai; viens te réjouir avec ton maître ».
22 Celui des 2 talents s’avança à son tour et dit: « Maître, tu m’avais confié 2 talents; voici 2 autres talents que j’ai gagnés ».
23 Son maître lui dit: « C’est bien, bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle en peu de choses, sur beaucoup je t’établirai; viens te réjouir avec ton maître ».
24 S’avançant à son tour, celui qui avait reçu un seul talent dit: « Maître, je savais que tu es un homme dur: tu moissonnes où tu n’as pas semé, tu ramasses où tu n’as pas répandu;
25 par peur, je suis allé cacher ton talent dans la terre: le voici, tu as ton bien ».
26 Mais son maître lui répondit: « Mauvais serviteur, timoré! Tu savais que je moissonne où je n’ai pas semé et que je ramasse où je n’ai rien répandu.
27  Il te fallait donc placer mon argent chez les banquiers: à mon retour, j’aurais recouvré mon bien avec un intérêt.
28 Retirez-lui donc son talent et donnez-le à celui qui a les 10 talents.
29 Car à tout homme qui a, l’on donnera et il sera dans la surabondance; mais à celui qui n’a pas, même ce qu’il a lui sera retiré.
30  Quant à ce serviteur bon à rien, jetez-le dans les ténèbres du dehors: là seront les pleurs et les grincements de dents »”.

Dans notre façon de comprendre ce texte, rappelons-nous qu’une parabole est constituée davantage sur un mouvement d’ensemble que sur la comparaison directe des personnages avec nous et Dieu. La parabole utilise des domaines familiers pour nous amener sur un étonnement, sur une autre façon de voir, pour enrichir notre connaissance de la relation de Dieu avec nous.

 

– Le maître est le premier à entrer en scène

 

Le maître est sur le point de partir, il appelle les serviteurs, il leur donne ses biens. Le fait-il avec partialité ? Pourquoi ne donne-t-il pas la même chose à chacun ?
 
Il donne en tenant compte des capacités de chacun. De la même façon qu’on ne donne pas la même charge à porter à un éléphant qu’à un âne, de même les humains sont tellement différents que ce don dépend de ce qu’ils peuvent assumer. Le maître ne distribue pas plus à celui qu’il préfère, mais il connaît ses serviteurs et mesure ce que chacun est capable de faire fructifier.

 Le talent est une monnaie qui correspond à six mille jours de travail. Même celui qui n’en reçoit qu’un seul a déjà une belle somme à faire fructifier. 

Quand le maître revient, il écoute ce que chacun a à lui dire, ce que chacun a fait de ce qu’il a reçu. Le maître est heureux de voir deux serviteurs qui lui sont restés attachés, qui se sont mis au travail pour lui. Il se réjouit de voir que la capacité de travail des deux serviteurs a porté des fruits. Sa joie, il la partage avec eux.

Mais il se fâche contre le troisième serviteur. La somme qui lui avait donné lui revient intacte. Le maître ne considère pas comme une bonne chose de récupérer son bien tel qu’il l’a donné. Il avait évalué que ce troisième serviteur pouvait aussi faire fructifier un talent. Mais rien n’est venu. Alors il le punit en le mettant dehors, c’est-à-dire en l’éloignant de lui-même et des autres.

En fait, on se rend compte que le maître ne reprend rien aux deux premiers serviteurs, puisqu’il demande qu’on donne ce talent à celui qui en a déjà dix. Les talents de départ et les autres restent à ceux qui les ont gagnés.

 

– Réactions des serviteurs

Les trois serviteurs reçoivent la somme d’argent qui leur est destinée.
La réaction du premier, c’est sa rapidité à se mettre en route pour faire travailler cet argent. Le deuxième également. Ils obtiennent alors le double de la somme de départ. 

Mais la réaction du troisième est différente : il s’éloigne, creuse et cache l’argent.
Ce serviteur a peur. Peur de ce maître qu’il juge et qu’il enferme dans une idée très négative. Il ne veut pas considérer le don du maître comme une occasion à saisir. Mais il s’éloigne lui-même de ce maître. Il refuse le don, et par là même, il refuse la confiance qui lui est faite.

– Renversements des valeurs

Quand le maître revient, les deux premiers serviteurs lui apportent le résultat de leur travail. Ils ont gagné le double d’argent. Quand on sait comment l’évangile traite les « riches » on comprend mieux pourquoi ces énormes sommes deviennent pour le maître « peu de choses ». En effet, le domaine de l’argent peut facilement être pris comme un but de vie et non comme un moyen. Si le serviteur arrive à être fidèle dans ce domaine-là, alors cela devient « peu de choses ». Cela veut dire qu’il y a autre chose qui est bien plus précieux, et qui sera confié aux serviteurs : « sur beaucoup je t’établirai »

 


– Ce qui permet de faire fructifier les talents : la fidélité

Ce qui a mis en colère le maître, c’est que ce troisième serviteur enterre ce qu’il a reçu. Que la confiance envers lui soit bloquée et même niée.

Le maître ne félicite pas les deux premiers serviteurs d’avoir été de bons calculateurs ou entrepreneurs, mais il les félicite d’être restés fidèles. On peut dire que c’est grâce à leur fidélité qu’ils ont si bien réussi. L’attachement des serviteurs leur a permis de travailler pleinement à faire fructifier cet argent, et même de doubler la mise. Leurs compétences évaluées de façon justes au début ont été mises à profit. Ils ont osé croire en leurs capacités, puisque le maître y croyait…

 

Alors que, celui qui a peur trahit la fidélité à laquelle on l’appelle. Peur de mal faire, peur de se faire exploiter, peur de donner trop de lui-même. Sa peur est un obstacle à tout mouvement, toute mise en route. Sa peur l’empêche de croire que lui aussi peut avoir confiance que cette somme peut fructifier. Sa peur l’empêche de voir que le maître, lui, a estimé ses capacités suffisantes pour assumer ce talent. Ce maître croyait en lui. Le serviteur se coupe lui-même du maître par les images qu’il se fait. Sa peur met en cause le don du maître et sa confiance.

– Un talent d’argent ou un talent personnel?

Il se trouve que le mot talent qui désigne la somme d’argent à l’époque de Jésus, désigne aussi en français nos propres capacités personnelles, ce que nous avons reçu comme potentialités particulières.
Si je regarde ma propre vie, qu’ai-je reçu en propre ? Quelles sont mes capacités ? Chacun est-il appelé à trouver pour lui-même ce qu’il considère un don de Dieu ?
Certains diront qu’il s’agit de leur propre vie, d’autres de la parole de Dieu, d’autres des liens d’amour qui les entourent, d’autres les relieront avec des dons que donne l’Esprit de Dieu.

Ce qui relie les serviteurs au maître c’est ce qu’il leur donne.

Ce récit nous fait aussi comprendre qu’il y a une limite à ce qui est donné. Chacun reçoit une part, il ne reçoit pas le tout. Cela nous renvoie inévitablement à nos limites humaines et personnelles. Si je reçois par exemple le don de la musique, je serai peut-être limité pour faire du bricolage. Reconnaître ce que j’ai reçu me rend reconnaissant. Reconnaissant et dans l’acceptation que je ne reçoive pas tout.

 

Image  QUELS TALENTS POUR QUELS CATÉCHÈTES ?

Comment cette parabole peut-elle nous aider à faire fructifier ce que nous recevons de Dieu ?

– Recevoir et faire confiance

Tout d’abord, Dieu nous connaît et nous donne. Etre catéchète, c’est déjà se poser la question de ce que j’ai reçu et de ce que j’ai envie de transmettre. Je suis là pour donner…quoi ? L’équilibre est à trouver entre le trop et le trop peu, entre l’attitude qui consiste à dire : j’ai plein de choses à dire, allons-y, et celle qui dit : je ne sais rien, je ne suis pas capable d’être à cette place, je n’ose pas.

Etre sollicité pour être catéchète, être auprès d’enfants et de jeunes dans l’aventure de la transmission de la bonne nouvelle est un défi que la société actuelle ne facilite pas. Dire oui, dire non…pourquoi ? Pour…quoi … ? Pour…qui ? C’est déjà se trouver au sein d’un jeu de relations pas toujours très confortable.

Accepter alors de recevoir. D’avoir peut-être déjà reçu. Nous l’avons vu plus haut, le sens du mot talent nous renvoie à nos capacités personnelles. Mais nous recevons encore autre chose. Nous recevons une présence, une parole, une dynamique de vie. Nous recevons Jésus-Christ. Nous recevons sa grâce. Nous nous réjouissons de la Bonne Nouvelle. Nous pouvons nous’y ancrer. Mais elle ne se garde pas pour soi. Elle se partage. La parole de Dieu fructifie quand est transmise à d’autres. Dieu nous fait confiance, il attend que nous lui fassions aussi confiance. La confiance et la fidélité sont les meilleures façons de combattre la peur.

Vivre ensuite dans la réalité de ce qui fait notre vie : nos contraintes diverses, nos capacités personnelles, notre reconnaissance de telle compétence ou telle incompétence…Comme les serviteurs, accepter que nos capacités soient limitées.

 

Ces limites ainsi reconnues, il est indispensable de s’entourer d’une équipe. Le travail seul est décourageant. A plusieurs, le travail dans sa préparation prend un autre relief, on est plus créatif à deux et plus que tout seul, on se stimule et on s’encourage. On partage nos compétences mutuelles. Tous les exemples de mûrissement dans le royaume se font en relation avec d’autres. La grâce généreuse, mesurée à nos capacités personnelles ne saurait faire de nous des paresseux…

Se poser la question de notre fidélité. A Dieu et au Christ. Que transmettons-nous dans nos séances ? Quelle image de Dieu proposons-nous ? Quel message je désire transmettre ?

Comment savoir, si je suis en train de faire un travail qui va porter des fruits, ou au contraire quelque chose qui n’apportera rien ? Ceux qui travaillent auprès des jeunes connaissent ces séances difficiles où l’on a l’impression de perdre son temps. Mais ils connaissent aussi ces moments de joie, où l’on a l’impression que quelque chose « passe ». Cette joie ressentie au sein de notre travail n’est-elle pas déjà la trace que l’on fait fructifier quelque chose ? N’est-elle pas déjà un partage dans la joie de Celui qui nous envoie?

Ce qui nous est donné de façon première dès la Genèse, c’est d’être en relation. A mon avis, quand des personnes sont en relation les unes avec les autres, comme des catéchètes avec des jeunes ou des enfants, et que les paroles échangées se font dans le respect de chacun, ce qui est donné au départ est déjà en train de fructifier. Rien ne peut remplacer la relation directe entre deux personnes. Profitons de la joie de cette présence.

 

PISTES POUR TRAVAILLER LA PARABOLE DES TALENTS AVEC LES JEUNES

 

On peut décrypter cette parabole avec les jeunes mais il sera difficile pour eux de faire des analogies sans que le thème de l’argent ne vienne brouiller les différents mouvements de la parabole. Il faudra être attentif à garder de la distance avec le texte pour ne pas faire « coller » trop près l’identification des personnages avec nous. Par exemple dans ce que nous avons à faire fructifier, la logique d’amour n’est pas la même que la logique d’argent.

Thèmes de travail possibles :

–    Qu’est-ce que je reçois ? Est-ce que cela vient de Dieu ? Puis-je trouver quelque chose qui vienne de Dieu ?
–    Ce que j’ai reçu, qu’est-ce que je peux en faire ? Cela veut dire quoi « gagner d’autres talents ? »
–    Quelle est l’image qu’on se fait de Dieu ? Notre comportement est-il dépendant de cette image ?
–    Ça veut dire quoi, travailler pour Dieu ? Est-ce qu’on ne travaille pas pour soi-même ? Pour qui finalement travaille-t-on ? Et pour quelle utilité ?

La dynamique catéchètes-jeunes est indispensable car c’est le catéchète qui peut être révélateur de ce que les jeunes ont comme potentiel de départ, et le catéchète peut ainsi encourager la confiance en soi des jeunes.

Le père Martin

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L’histoire que nous allons vous raconter est celle du père Martin. Elle se passe en décembre 1881. Le père Martin n’est qu’un pauvre cordonnier, il habite dans une pièce au rez-de-chaussée d’un immeuble qui fait l’angle de la place de Lenche et de la rue des Martégales, au centre du vieux quartier de Marseille. Une seule pièce qui lui sert d’atelier, de salon, de magasin, de cuisine et de chambre à coucher. C’est là qu’il vit ni trop riche ni trop pauvre. Assis sur son tabouret, dans son atelier bien chauffé il répare les chaussures de tout le voisinage. Dehors la bise souffle et ce vent venant du Nord glace les quelques passants.

SCÈNE 1 : Narrateur / Arthur / René 

Narrateur: L’histoire que nous allons vous raconter est celle du père Martin. Elle se passe en décembre 1881. Le père Martin n’est qu’un pauvre cordonnier, il habite dans une pièce au rez-de-chaussée d’un immeuble qui fait l’angle de la place de Lenche et de la rue des Martégales, au centre du vieux quartier de Marseille. Une seule pièce qui lui sert d’atelier, de salon, de magasin, de cuisine et de chambre à coucher. C’est là qu’il vit ni trop riche ni trop pauvre. Assis sur son tabouret, dans son atelier bien chauffé il répare les chaussures de tout le voisinage. Dehors la bise souffle et ce vent venant du Nord glace les quelques passants.

Arthur : Salut René, fait bien froid aujourd’hui, j’me d’mande s’il va pas neiger.

René : Ben quoi c’est normal, on est en décembre après tout.

Arthur : Ben oui.

René : Au fait, t’as pas remarqué que le vieux Martin ne vient plus au café des Argonautes.

Arthur : Ouais, c’est bien vrai ça. J’crois que c’est depuis qu’il est allé à ces soirées à l’église, tu sais chez le pasteur.

René : C’est vrai ce que tu dis là, il va à l’église, j’aurais pas cru ça de lui. Enfin, j’trouve qu’il va pas trop mal, il rigole un peu plus qu’avant.

Arthur : Tu sais, il n’a eu guère de chance le pauvre vieux, sa femme est morte il y a plus de vingt ans, son fils, parti comme matelot à bord du brick Le Phocéen, n’a plus reparu depuis dix ans et puis sa fille, il n’en parle jamais.

René : Ouais, il est bien seul.

Arthur : Enfin ! Le bonjour à Germaine !

 

 

Image  SCÈNE 2 : Narrateur / Martin / La voix

 Narrateur : La journée passa, le père Martin travaillait assidûment, il réparait galoches et chaussures avec beaucoup de soin. Le soir venu, le père Martin s’assit sur son lit et ouvrit une vieille Bible qu’il avait jadis reçue de ses parents.

Martin : Il n’y avait pas de place pour eux dans l’hôtellerie… Point de place… Pour lui, (il regarde sa chambre) il y aurait eu de la place pour lui ici. J’aimerais bien qu’il vienne me tenir compagnie. Si ce soir le sauveur devait venir, croyez-vous qu’il choisirait ma maisonnette pour y entrer… Comme je le servirais, comme je l’adorerais! Mais au fait, pourquoi ne se montre-t-il plus aujourd’hui ? Enfin… (il se met à lire) « Des mages de l’orient arrivèrent pour lui rendre hommage » tiens, tiens des mages ? « trouvant l’enfant ils se prosternèrent et lui offrirent des dons, de l’or, de l’encens et de la myrrhe. » Que pourrais-je lui donner ? (il se gratte la tête, se promène dans son atelier). Oui je lui donnerais ces deux petits souliers… Mais je radote… Comme si mon sauveur avait besoin de ma petite maison et de mes souliers. (Martin s’assit et s’endormit. Silence)

La voix : Martin

Martin : Qui va là ? (en sursaut, mais il ne vit personne).

La voix : Martin ! Tu as désiré me voir, eh bien regarde dans la rue demain, du matin jusqu’au soir, tu ne me verras passer plusieurs fois. Efforce toi de me voir, car je ne me ferai pas connaître à toi.

Martin : (en se frottant les yeux) C’est lui ! II a promis de passer ! Alors je l’attendrai. Mais je ne l’ai jamais vu, juste des portraits à l’église, bah, je vais bien pouvoir le reconnaître. (LA NUIT – LE MATIN – Martin se lève et s’installe derrière sa fenêtre).

 

 

Image  SCÈNE 3 : Narrateur / Martin / Le balayeur

Narrateur : Tôt le matin, il est à la fenêtre pour guetter les premiers passants, le ciel s’éclaira et le père Martin ne tarda pas à voir paraître sur la place le balayeur de rues ; il ne lui accorda qu’un regard distrait : il avait en vérité, bien autre chose à faire qu’à regarder un balayeur de rues ! Mais, comme il faisait très froid dehors, le père Martin se dit :

Martin : Le brave homme ; il a froid et c’est une fête aujourd’hui… mais non pour lui. Si je lui offrais une tasse de café ! – Entrez, venez vous réchauffer.

Balayeur : C’est pas de refus, merci… Quel temps de chien ! On se croirait en Russie.

Martin : Voulez-vous accepter une tasse de café ?

Balayeur : Ah ! Par exemple, voilà un brave homme ! Avec plaisir, pardi. Vaut mieux tard que jamais pour faire son petit réveillon. (Le cordonnier servit son hôte à la hâte, puis s’empressa de retourner vers sa fenêtre et de sonder la rue pour voir si personne n’était passé).

Balayeur : Qu’est-ce que vous regardez dehors ?

Martin : J’attends mon maître.

Balayeur : Votre maître ? Votre patron vient vous voir un jour de fête ?

Martin : C’est d’un autre maître que je parle.

Balayeur : Ah !

Martin : Un maître qui peut venir à toute heure et qui m’a promis de venir aujourd’hui. Vous savez son nom ? …  C’est Jésus.

Balayeur : J’ai entendu parler de lui, mais je ne le connais pas. Où demeure-t-il ?

Narrateur : Le père Martin se mit alors, en quelques mots à raconter au balayeur de rues l’histoire qu’il avait lue la veille, en y ajoutant quelques détails. Il se tournait vers la fenêtre tout en parlant.

Balayeur : Alors c’est lui que vous attendez ! A mon avis vous ne le verrez pas comme vous le croyez. Mais c’est égal, vous me l’aurez fait voir à moi. Me prêteriez-vous votre livre ? Je vous garantis que vous n’aurez pas perdu votre temps ce matin. Au revoir.

Martin : Au revoir.

Narrateur : Le père Martin resta seul de nouveau, front collé contre la vitre.

 

Image SCÈNE 4 : Narrateur / Femme / Martin 

Narrateur : Quelques ivrognes attardés passèrent, mais le vieux cordonnier ne les regarda pas. Puis passèrent les marchandes avec leurs petites charrettes. II les connaissait trop bien pour faire attention à elles. Mais, au bout d’une heure ou deux ses yeux furent attirés par une jeune femme, misérablement vêtue et portant un enfant dans ses bras. Elle était si pâle, si décharnée, que le coeur du vieillard s’émut. Peut-être cela le fit-il penser à sa fille. II ouvrit la porte et l’appela. La pauvre femme entendit cet appel et se retourna surprise.

Martin : Vous n’avez pas l’air bien portante.

Femme : Je vais à l’hôpital. J’espère bien qu’on m’y recevra avec mon enfant. Mon mari est en mer et voilà trois mois que je l’attends. Il ne revient pas et cependant je n’ai plus le sou et je suis malade. Il faut que j’aille à l’hôpital.

Martin : Pauvre femme. Vous mangerez bien un morceau de pain en vous réchauffant. Au moins une tasse de lait pour le petit. Tenez, voilà justement le mien, que je n’ai pas encore touché. Chauffez-vous et laissez-moi le marmot, je sais comment ça se manipule. Quoi ! Vous ne lui avez pas mis de souliers ? (Il chercha les souliers qu’il avait regardés la veille et les mit à l’enfant. Il étouffa un soupir en se séparant de son chef-d’oeuvre).

Martin : Je n’en ai plus besoin pour personne maintenant. (Il revient à la fenêtre et regarde anxieusement la rue).

Femme : Qu’est-ce que vous regardez là ?

Martin : J’attends mon maître. Connaissez-vous le Seigneur Jésus ?

Femme : Certainement. il n’y a pas si longtemps que j’ai appris mon catéchisme.

Martin : C’est lui que j’attends.

Femme : Et vous croyez qu’il va passer par là ?

Martin : Il me l’a dit.

Femme : Pas possible ! Oh que j’aimerais rester avec vous pour le voir moi aussi… mais il faut que je m’en aille pour l’hôpital.

Martin : Tenez, prenez ce petit livre (il lui tend un évangile), lisez cela attentivement, et ce sera presque comme si vous le voyiez.

Femme : Merci beaucoup. (Il reprit place près de la fenêtre)

 

 

Image  SCÈNE 5 : Narrateur / Martin /Enfant/ La voix/ Tous

Narrateur : Les heures passèrent, mais parmi les passants, le père Martin ne vit pas le maître : les jeunes gens, les vieillards, les ouvriers, les ménagères, les grandes dames, tout ce monde passa devant lui, bien des mendiants supplièrent le brave homme, son bon regard semblait leur promettre quelque chose : ils ne furent point déçus… (pause) Cependant le maître ne paraissait pas. Ses yeux étaient fatigués, son coeur commençait à défaillir (pause). Doucement vint la nuit, accompagnée de brouillard. II devenait désormais inutile de continuer à regarder par la fenêtre. Tristement il prépara son souper.

Martin : C’était un rêve. Pourtant je l’avais bien espéré.

Narrateur : II ouvrit son livre et voulut se mettre à lire, mais sa tristesse l’en empêcha.

Martin : Il n’est pas venu ! Il n’est pas venu ! Il n’est pas venu ! (Grande lumière et présence de toutes les personnes).

Chacun : Ne m’as-tu pas vu ?

Martin : Mais qui êtes-vous donc ?

Enfant : Mais lisez père Martin. (En pointant sur le livre ouvert dans les mains du père Martin).

La voix : J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger… J’ai eu soif et vous m’avez donné à boire… J’étais étranger et vous m’avez accueilli… Toutes les fois que vous avez fait ces choses à l’un de ces plus petits, vous les avez faites à moi-même.

Source: PointKT automne 1995  n° 11 – Adaptation d’un conte de Ruben Saillens