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Des femmes messagères

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Les personnages féminins apparaissent rarement au premier plan dans les récits bibliques et pourtant nombreuses sont les femmes qui y jouent un rôle important. Beaucoup d’entre elles, à un moment ou à un autre, deviennent des messagères, porteuses de paroles ou d’actes qui font brèche, qui ouvrent des horizons ou des passages à des moments décisifs. Elles sont souvent seules et anonymes, mais si on en rassemble plusieurs, comme un collier de perles ou une série de fils colorés à tisser ensemble, on obtient des motifs parfois surprenants. Prenons simplement quelques exemples :

  • Il y a bien sûr  les femmes directement qualifiées de prophètes :

Elles sont peu nombreuses : Myriam (Exode 15,20), Débora (Juges 4) et Houlda (2 Rois 22).

Elles apparaissent toutes trois à des moments de crise et s’insèrent dans des réalités conflictuelles.

Myriam chante la guerre, la libération de son peuple de l’oppression de Pharaon et réapparaît ensuite dans un conflit entre Moïse, son frère  et elle à propos  de la question “est-ce seulement par la bouche de Moïse que Dieu parle ?”(Nb 12).

Débora, qui est non  seulement  prophétesse mais aussi stratège de guerre, poétesse et juge, doit convaincre le chef de l’armée Baraq qu’il est temps de partir en guerre contre l’oppresseur (Jg 4). Mais Baraq n’accepte que si elle l’assure de sa présence tout au long des opérations. Ce manque de confiance en la parole de Dieu transmise par la prophétesse sera sanctionné par le pire qui puisse arriver à un vaillant guerrier comme Baraq : son ennemi sera vaincu, certes, mais pas par lui; il tombera aux mains d’une femme…Et la prophétie de Débora se réalisera grâce à Yael.

Houlda, la prophétesse. Qui peut croire les paroles d’une femme ? Il faut être les partisans du  grand roi Josias, engagés dans une importante lutte idéologique pour oser  confier à Houlda la tâche de légitimer les réformes. La prophétesse Houlda joue en effet un rôle tout à fait particulier au moment de la réforme de Josias. Elle prophétise le malheur de l’exil sur Jérusalem et la mort de Josias qui ne verra pas ce malheur, et elle ne fait qu’une brève apparition en 2 Rois 22. Mais c’est elle qui va donner  autorité et légitimité au document qui semble être une première forme du Deutéronome, c’est-à-dire le cœur du texte qui sert de crédo au mouvement deutéronomiste qui soutient la réforme de Josias.

Il n’est donc pas si simple d’être prophétesse et cette question de croire ou ne pas croire aux paroles des femmes qui ont un message à transmettre de la part de Dieu ne s’arrête pas là, elle traverse Ancien et Nouveau Testament.

  • Pensons seulement aux récits de résurrection. 

Dans tous les évangiles les femmes sont les premiers témoins de cet événement qui brise tous les cadres et toutes les tombes et pourtant que de difficultés à faire entendre cette nouveauté inouïe ! Le plus fort en ce sens est certainement l’évangile de Marc, qui vraisemblablement dans sa version primitive, s’arrêtait au v. 8 du chapitre 16, avec le silence et la peur des femmes qui ne disent rien à personne. Étrange façon de terminer un évangile, l’annonce d’une bonne nouvelle…peut-être pour que d’autres prennent le relais et relancent cette parole bloquée par la peur. La peur qui, pour ces femmes disciples, arrive après coup, après tous les tourments de la Passion durant laquelle leurs compagnons ont déjà lâché prise alors qu’elles sont restées jusqu’au bout.

Tous ces textes sont à la fois le reflet d’une réalité, celle d’une société imprégnée de modèles patriarcaux, et l’expression d’une grande espérance : il est toujours difficile pour une femme de prendre la parole et de se faire entendre, mais parfois, ça marche.

  • Quand on ne peut pas prendre la parole, on peut parler, signifier l’espérance autrement.

C’est ainsi qu’on trouve aussi toute une lignée de femmes qui parlent avec leur corps : y figurent en particulier toutes ces femmes stériles qui vont en quelque sorte prophétiser par leur accouchement d’un personnage décisif dans l’histoire du peuple de Dieu : Sarah, vieille et stérile, qui rit à l’annonce de sa grossesse, Anne, mère de Samuel, que le prophète Eli prend pour une ivrogne quand elle prie, et qui accouchera aussi d’une prière qui ressemble étrangement au magnificat de Marie, la mère de Samson, sans nom, qui reçoit en plein champ la visite d’un ange et qui devra déployer des trésors d’énergie pour expliquer à son mari Manoah le sens de cette visite, Elisabeth, mère de Jean-Baptiste, enceinte alors que son mari Zacharie est privé de parole pour avoir résisté à cette nouvelle et Marie qui, non encore mariée, accepte d’être la “servante du Seigneur” et de mettre son corps en jeu pour la proclamation de la bonne nouvelle de Jésus-Christ.

On pourrait ajouter dans cette lignée les sages-femmes, dont on ne sait même pas si elles sont égyptiennes ou font partie du peuple hébreu, qui aident les femmes des hébreux à accoucher et à sauver leurs enfants, s’opposant ainsi aux ordres de Pharaon. Et peut-être, à l’autre bout de cette chaîne, peut-on faire figurer la femme au parfum qui oint Jésus, le proclamant roi au moment où commence sa passion et annonçant sa mort et sa résurrection (Mc 14,3-9). Viennent aussi les rejoindre toutes ces femmes qui par un geste interdit rompent les tabous et les interdictions et viennent à la rencontre de Jésus comme la femme cananéenne qui demande la guérison de sa fille (Mt 15,21-28) et vient se mettre dans la position des petits chiens qui mangent les miettes sous la table de leur maître devant Jésus, ou la femme atteinte d’une perte de sang (Mt 9,20-22), doublement marginalisée parce que femme et malade, impure, qui se risque à toucher la frange du vêtement de Jésus.

  • Un autre motif encore est tissé par des femmes qui disent ou font dire le vrai à des moments décisifs,

comme Rahab, la prostituée cananéenne de Jéricho (Jos 2) qui confesse devant les espions envoyés par Josué que Yahvé est Dieu dans les cieux et sur la terre, ou Marthe, qui reconnait en Jésus “le Christ, le fils de Dieu, celui qui vient dans le monde” devant la tombe de son frère aimé Lazare (Jn 11) ; c’est aussi l’histoire de la Samaritaine (Jn 4), femme d’un peuple en rupture avec le judaïsme officiel qui se met à converser avec lui au bord du puits contre les coutumes en usage, qui assume l’histoire de sa vie, reconnaît Jésus comme un prophète et repart dans sa ville rendre témoignage et faire œuvre missionnaire ; et puis, il y a aussi, dans l’ombre, la petite servante de Naaman le Syrien, chef de l’armée mais lépreux, qui sait et dit que le prophète Elisée pourrait guérir son maître (2 R 5,2-3), ou la servante du grand-prêtre qui regarde Pierre et lui renvoie son identité de disciple de Jésus au moment où le grand-prêtre interroge Jésus sur son identité (Mc 14,66-69).

Toutes ces femmes constituent une nuée de témoins qui, au milieu des violences, des souffrances et des difficultés attestent de la possibilité d’annoncer l’Évangile, de “passer sur l’autre rive” et de cheminer avec Celui qui vient dans le monde.

Crédit : Point KT