Point KT

La Samaritaine et Jésus

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Il fait chaud, très chaud. Nous sommes en Samarie, près de Sichem, en 28 ou 29 de notre ère. Comme dans tous les villages des environs, il y a un puits. On n’aurait pas fondé un lieu de vie là où il n’y a pas de puits ou de source. Même les cours d’eaux peuvent être à sec une partie de l’année.
Ce puits sert à tout le monde : les bergers puisent de l’eau pour leurs troupeaux, les artisans envoient leurs apprentis chercher l’eau nécessaire à leur ouvrage et bien sûr, les femmes tirent l’eau nécessaire à la maison. C’est une tâche ingrate et comme souvent, elle revient aux filles dès qu’elles sont assez fortes pour transporter l’eau sur leur tête et cela jusqu’à ce qu’elles soient trop vieilles pour la charge. Comme cela existe encore dans notre monde, il nous est facile d’imaginer les scènes qui se déroulent autour de ce puits. Les femmes viennent en groupe, autant en profiter pour échanger des nouvelles et puis, c’est toujours plus agréable d’accomplir une corvée à plusieurs ! Elles évitent à la fois les bergers et leurs bêtes et la chaleur du jour. Elles viennent le matin très tôt et le soir, jour après jour, puiser de quoi boire, nettoyer, laver toute la maisonnée.

Mais à l’instant, il est midi, la chaleur est accablante, le soleil de plomb. Le puits est désert en attendant le soir. Pourtant non, il n’est pas désert, une femme s’approche avec sa cruche, et découvre qu’elle n’est pas seule. Un homme est déjà là. Il est assis au bord du puits. Ses pieds et ses vêtements sont pleins de poussière. Il a l’air fatigué. La femme hésite. Elle venait au puits à cette heure pour ne pas rencontrer les autres, celles qui la jugent, celles qui ne lui parlent pas mais qui murmurent dans son dos. Oh, elle sait bien ce qu’elles disent : elle n’est pas fréquentable. Pensez donc, 5 maris ! Peu importe pourquoi, peu importe comment. 5 maris, ça ne se fait pas. Non, cela ne se fait pas pense-t-elle amèrement. Mais quand on n’a pas d’argent et pas de fils, plus de père chez qui retourner, comment vivre ? Maintenant, elle porte malheur aux hommes, voilà ce qui se dit. Alors, plus personne ne veut l’épouser. Elle ne veut plus les voir, elle ne veut plus les entendre toutes ces femmes qui jugent sans savoir. C’est pourquoi aujourd’hui, elle a décidé de chercher l’eau en pleine chaleur plutôt que d’affronter leurs regards.

Et voilà elle ne peut même pas puiser tranquille, même à midi ! En même temps, l’homme est un inconnu, elle n’a qu’à l’ignorer. De toutes manières, il l’ignorera aussi, c’est un homme et elle est une femme, c’est un Juif et elle, elle est Samaritaine.

Et bien non, il se tourne vers elle, il la regarde et lui demande à boire.
« Ah bon, tu me demandes à boire, toi homme juif, à moi, une femme, et une samaritaine en plus ! ça c’est une première ! Depuis quand les hommes s’adressent-ils à des femmes étrangères ? »  Il est étrange ce Juif pense-elle. Il la regarde vraiment. Il lui parle vraiment, comme si elle avait de l’importance. « Si tu savais qui je suis, tu m’aurais demandé de l’eau vive et je t’en aurais donné »

« Mais tu n’as pas de seau et le puits est profond. Est-ce que l’eau va sortir miraculeusement, comme elle le faisait du temps de notre ancêtre Jacob ? »

L’homme répond, et sa réponse est encore plus curieuse que la précédente : « Cette eau du puits, tu en bois mais plus tard, tu as de nouveau soif. Avec l’eau que moi je peux te donner, tu n’auras plus jamais soif. »
La femme est interloquée, elle ne comprend pas mais répond quand même : « Donne-moi cette eau, que je ne sois plus obligée de venir ici, puiser ». Et puiser, c’est dur pense-t-elle, mais puiser en plein midi, c’est infernal !

L’homme la regarde et change brutalement de sujet. « Va chercher ton mari ». Il est bien temps de s’occuper des convenances pense la femme, cela fait un bout de temps que nous parlons de manière inconvenante. Et elle répond « Je n’ai pas de mari »

« C’est vrai, tu n’as pas de mari, mais tu en as eu 5, et tu vis avec un homme qui n’est pas ton mari »

Il dit ça comme ça. C’est vrai, mais cela n’a clairement pas d’importance pour lui. Il ne juge pas, il ne critique pas, il ne méprise pas. Cet homme plein de poussière la regarde, il la voit comme elle est, il lui dit qui elle est, simplement. Mais lui, qui donc est-il ? Un prophète ? Comment sait-il ce qu’elle a fait ? Pourquoi lui a-t-il parlé, à elle, alors qu’il savait qui elle était ? Ces questions se bousculent en elle mais finalement, elle ne les pose pas. Elle décide : « Tu es un prophète » et lui demande non ce qui importe pour sa personne, mais ce qui importe pour la foi de son peuple. Là-haut, sur la montagne, se trouvait le temple avant que le roi juif le détruise. C’est là que les prêtres samaritains enseignent qu’il faut rendre un culte à Dieu et pas à Jérusalem. Au fond, c’est essentiel : où se trouve Dieu ?  C’est une question qui concerne tout un chacun, de toute éternité. Alors elle demande « Où faut-il adorer Dieu, sur le mont Garizim ou à Jérusalem ? »

La réponse de ce voyageur fatigué n’est pas celle qu’elle attend. « La question n’est pas là, dit-il. L’important, c’est de connaître le Père et seuls les Juifs le connaissent vraiment et c’est cela qui peut sauver les autres. Mais il est temps de ne plus s’intéresser à « où l’adorer » mais à « comment le faire ». Dieu est Esprit et c’est en esprit qu’il faut l’adorer. Le Père est vérité, et il faut l’adorer en vérité. »
La femme ne comprend rien. Comment le pourrait-elle ? Tant de grands savants se sont penchés depuis sur ces réponses. Mais elle commence à le regarder et tout comme il a su qui elle était, elle entrevoit qui il est. Si la question du temple n’a aucune importance, si cet homme fatigué, plein de poussière, ordinaire et même un peu impuissant, incapable de puiser de l’eau, parle de Dieu comme on parle de son père, il est peut-être, lui, ce qui vient des Juifs pour sauver. Alors, elle se lance : « Le Messie qui doit venir tout nous annoncer, ne serait-ce pas toi ? »

Alors, il répond simplement « Je le suis, moi qui te parle ». La femme part en courant annoncer à tout le village, à tous ceux qui la méprisent et l’ignorent ce qu’il vient de lui arriver.

Cette histoire, c’est celle de la Samaritaine qui a rencontré un jour Jésus au bord d’un puits, Jésus dont le nom signifie « Dieu sauve »
C’est l’histoire d’une femme – catégorie inférieure d’humain, une Samaritaine – catégorie inférieure de croyants, selon les Juifs en tous cas, qui reconnait en Jésus ce que les savants juifs de Jérusalem n’ont pas compris. Elle a reconnu dans ce voyageur fatigué celui qui tous attendaient. Elle a réussi à déconstruire la vision d’un Messie triomphant, vêtu de blanc, brandissant une épée, venu nettoyer le pays pour que Dieu puisse y régner.
Cette femme en dehors des clous a pensé en dehors des clous et c’est elle qui comprend que l’heure est arrivée de changer de vision des choses.
Jusqu’ici Jésus n’a convaincu que ses disciples, et encore, il faudra attendre la résurrection pour que tout devienne clair pour eux. Est-ce que tout est clair pour la femme ? Sans doute pas. Mais l’essentiel est là, dans cette rencontre où l’eau dont il est question n’est pas toujours de l’eau ; où les hommes ne sont pas tous des maris ; où les horaires de visite au puits sont brouillés ; où les attentes sont comblées mais pas de la manière attendue ; où celui qui devait venir comme un roi vient comme un simple voyageur démuni de l’essentiel, l’eau qui étanche la soif, mais qui est capable de donner plus que l’essentiel : il donne la vie qui ne s’arrête pas, cette dimension supplémentaire de vie qui est la vie avec Dieu, qui est comme une source d’eau qui ne tarit pas, il donne des forces, de la joie, de la paix, de l’amour à tous ceux qui sont capables de reconnaître en lui celui qui sauve le monde.

J’ai raconté l’histoire, en imaginant un peu les pensées de la femme, en décrivant un peu le contexte, en simplifiant un peu le discours de Jésus. Vous pouvez lire l’histoire dans le chapitre 4 de l’évangile de Jean. Vous y retrouverez l’essentiel de la narration. Le passage a été commenté, décortiqué pendant des siècles et il continue à l’être.

On peut y voir quantité de symboles, y découvrir des allégories. J’ai voulu insister sur la femme, sur la Samaritaine, parce que Jésus est Jésus, et de lui, je ne sais qu’une partie, son humanité : la fatigue du voyage, la soif, la faim -les disciples sont partis acheter à manger. Je peux savoir la frustration de ne pas être compris par les maîtres d’Israël, de ne pas être écouté par ceux qui devraient savoir. Mais je ne peux pas connaître Jésus « Dieu sauve ». Je ne peux pas savoir ce qui lui permet de connaître la vie de la Samaritaine, ce qui lui permet de savoir qui je suis au-delà des apparences.

Et c’est là me semble-t-il un point important, un point essentiel. La Samaritaine, qui est si proche des Juifs qu’elle en partage l’espérance messianique, a appris que le Messie devait venir, tout comme elle a appris que le temple qui se dressait sur le mont Garizim était le seul lieu possible pour adorer Dieu. Mais Jésus lui a permis de voir au-delà où à côté des enseignements donnés, ou bien c’est sa propre condition de personne un peu en dehors des clous qui lui a permis de réfléchir en dehors des sentiers battus, je ne sais pas.

Qu’est-ce qui fait qu’on reconnaît Jésus dans nos vies ? Moi, je ne sais pas. Je l’ai rencontré, sinon, je ne serais pas là ce matin. Comment est-ce que je l’ai reconnu ? Je ne sais pas. De toutes manières, ce n’a sûrement pas été de la même manière que la Samaritaine qui l’a reconnu en chair et en os. Et probablement, si nous savions le dire, nous aurions tous une histoire différente à raconter. Ce que je peux vous dire par contre, c’est ce qu’il a fait et qu’il continue à faire dans ma vie. Il est présent, il me guide, il m’accueille quand je reviens vers lui après avoir fait fausse route. Il entend mes prières. Il me permet de comprendre l’amour de Dieu pour moi. Et je peux m’imaginer que cette femme inconnue de Samarie a été transformée par cette rencontre. Transformée à l’intérieur d’elle-même mais aussi transformée pour les autres, ceux qui sont allés parler à Jésus et ont compris qu’il venait sauver le monde. N’était-ce pas grâce à elle qu’ils avaient approché le Seigneur ? N’est-ce pas elle qui nous le fait voir encore aujourd’hui ? En tous cas, Je suis sûre qu’elle n’a plus jamais ressenti le besoin d’aller au puits en plein midi. Amen

Crédits : Anne Petit (EPUdF), Point KT, Pixabay