Point KT

L’important n’est pas d’arriver

image_pdfimage_print

Pour se poser quelques questions à propos de ce que nous faisons en matière de catéchèse.
Les ministres et catéchètes en charge de différents mandats catéchétiques savent souvent où ils vont. Ils connaissent leurs objectifs, ils ont, pour la plupart, une formation qui leur permet de s’adresser « correctement à leur public cible », bref ils ont une visée… Mais cette dernière, n’est-elle pas à ce point présente qu’elle les empêche de voir le chemin qu’ils parcourent, la route sur laquelle ils peuvent faire des rencontres importantes, la disponibilité toute simple que requiert quoiqu’on fasse un jeune ? En une phrase : et si l’important n’était pas d’arriver mais d’avancer ?

Je ne parierai pas toute ma fortune en soulignant que la rentrée est encore dans toutes les têtes. Mais comme on est responsable du KT ou en charge d’une équipe KT dans la paroisse, inutile de dire qu’on est gonflé à bloc, rôdé à ces parcours qui en étonnent plus d’un. Pas étonnant, par conséquent, que nous soyons même assez bien équipé, depuis le temps…

Seulement voilà, il n’y a pas que le KT dans notre univers ! Les 100% KT sont très rares, il y a… qu’est-ce qu’il y a ? Et bien, il y a… Commençons par ce qui est… ou plutôt non ! Prenons les choses dans l’ordre avec lequel elles surgissent à notre esprit, un peu comme ce qui défile sur la route et qui s’enchaîne à vive allure, c’est plus intéressant. Prêt ? Alors, il y a : le culte, le conseil de paroisse, l’école du dimanche, la vente de paroisse, les comptes à vérifier, la commission régionale, la présidence de la Pastorale, la C.O.M.C.O.P.I.C.O. Et puis… Le temple bien sûr, le temple à ranger avant demain, et le nouveau curé qui débarque d’Afrique, les visites, la présence au marché de samedi et par-dessus le marché, la disponibilité pour donner ce petit plus qui fait que tout change ! Voilà ce qu’il y a !

Alors ! Alors quoi ? Et bien…

– Pas une seconde à perdre !
– Pas un laps de temps qui ne soit pas déjà dans une case !
– Pas un objectif à louper !
Et comme l’expérience fonctionne à plein, nourri par un Super 98 ou 95, aucun risque de serrer un piston. Ça carbure même parfaitement ; objectif en vue sans même être atteint ! Fabuleux quand même… Quand on vous dit que la jeunesse booste le ministère, c’est un euphémisme. Elle vous donne des ailes, le don d’ubiquité, le rêve, quoi !

Fruiiiit ! Stop ! Mettez-vous à droite s’il vous plaît !
Aïe…
Excès de vitesse, ou accident ?
Image
Au mieux excès de vitesse ! Au pire, l’accident !
Et qu’est-ce qu’un accident dans notre métier ? Tellement de chose, au demeurant : les retards au Conseil de Paroisse, les paroissiens énervés de ne jamais vous voir, les pompes funèbres excédées de tomber sur le répondeur… Mais peut-être, et surtout pour nous qui nous occupons des jeunes, le fait de ne plus avoir de plaisir avec eux, le fait de perdre patience alors que l’un d’entre eux vient de ranger la chaise sur la pile qui en a déjà 7, alors qu’il faut la mettre sur la pile de 6 ! Le fait d’arriver ensuite en retard en séance avec une excuse bidon ! Et puis les papiers, le matos qu’on vient d’oublier en haut à la photocopieuse… Bref la sortie de route définitive, le nez encore marqué du guidon que nous collions. Une sortie propre en ordre avec ses conséquences : devoir accepter que les objectifs à atteindre ne seront pas atteints ! Dur, très dur…
C’est qu’on s’en était fixé des objectifs, des buts et Dieu sait quoi ! Mais oui, on s’en était fixé des thèmes à aborder : la drogue, les sectes, le diable et le Bon Dieu, Jésus, la Bible, le culte, la Sainte Cène et puis la confirmation et le baptême ! L’étape ultime ! L’étape finale ? Non pas finale, justement pas ! Oui, mais avec notre accident de parcours, qui va reprendre la suite ? Qui va poursuivre et faire de la confirmation le départ et pas l’aboutissement ? Y’a pas encore de jeunes de cette année qui souhaitent aller au groupe de jeunes !
Bref les questions à ne pas poser…Alors évidemment le soir, alors qu’on est sur la voie d’arrêt d’urgence ou sur le bas côté, affalé sur le canapé du salon, sous fond du Soir 3 de Marie Drucker qui enchaîne sujet sur sujet, on fait le point ! Un « point route » pour reprendre notre métaphore routière et on se demande à qui peut bien servir tous ces allées et venues. Aux autres ? En tout cas pas, ils viennent de nous le faire savoir et à nous, il faut bien se l’avouer, on s’est planté. A peine rentré et déjà mort, au bord du burn out…

Aussi le regard traîne sur tout ce qui se trouve comme pour échapper aux questions qui fâchent, quand soudain, on remarque le magazine de moto du fiston. Il a 23 ans et encore à la maison mais vient de s’acheter une 7 et demi. Tiens une pub… Silence… On tourne le magazine pour le voir à l’endroit… On relève la tête… Et puis soudain quelques soubresauts, d’abord timides, puis de plus en plus intenses… Le ventre commence même à faire mal, les contractions sont de plus en plus fortes qu’on ne peut plus les contrôler. On s’étonne même d’avoir encore les forces de rire autant, avec tout ce temps passé à foncer. Et comme ça dure, la pièce s’emplit soudain d’une autre présence, l’alter ego, sans doute réveillé par le bruit qu’on n’a pas pu étouffer. Il ou elle reste comme interdit, hagard, devant cet extraordinaire spectacle nocturne. C’est alors que dans un effort ultime, entre quelques spasmes moins violents, on parvient à donner à celui ou celle qui nous regarde ce qui fut la cause de tout ça ; la page de magazine de moto du fiston, la page de pub, une pub pour une célèbre marque de moto.

Une photo d’une moto sous laquelle se trouve la légende suivante : « le plus important n’est pas d’arriver. »

Une image qui fait réfléchir
 Image

Après quelque temps et un énième café avalé au moment de la pub qui suit le journal de la nuit, on se met à verbaliser… Enfin ! Voyons ça d’un peu plus près !

1. La photo présente une deux roues d’une marque connue en train de rouler ; le flou de la route contraste avec la netteté de l’engin qui indique l’arrêt sur image, l’instantané d’une course qu’on imagine plus longue, tant en amont qu’en aval. La focalisation sur l’instant, le présent, l’hic et nunc.

2. La position de l’engin qui descend de droite à gauche, va à l’inverse d’une structure dynamique qui est de gauche à droite en montant, comme le montre cet autre pub d’une autre grande marque de moto et à deux pages de notre pub ! On irait avec cette pub à contre-courant des standards habituels ! Impensable et pourtant…
Image

3. Chevauchées par deux personnes, notre moto semble ensuite se faire doubler par un véhicule dans lequel nous pourrions être… Inédit pour une telle marque de se laisser dépasser ! Mais justement, l’important n’est pas la vitesse… Nous qui regardons cet engin, nous passons… Elle, qui se laisse doubler, reste et demeure…

4. Si nous essayons de voir à présent les lignes que révèle cette photo, nous en avons toute une série de courbes et de fluides ; celle des montagnes de l’arrière-plan, de la route au premier plan, de la moto enfin que les passagers poursuivent avec leurs casques. Qu’évoquent-elles ? Douceur, saveur, plaisir imprégnés sur un papier « glacé. » Fabuleux paradoxe !

5. Du côté du sujet en tant que tel, de la moto et des personnes ; pas de regard, ni du conducteur, ni même du passager et encore moins de l’engin, tous hommes et machines se concentrent sur la route, son tracé dans une unité qui force le respect.
6. Enfin, les couleurs, le reflet du soleil sur la visière du casque augmente encore la sensation de plaisir, de chaleur dans un paysage baigné d’une couleur chaude. Quant au bleu de l’engin, c’est la force tranquille de ce qui ne se laisse perturber par rien et surtout pas par les temps qui courent.Image
Tant de temps, mais pour faire quoi ?

« O temps, suspends ton vol ! Et vous, heures propices, Suspendez votre cours ! Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours. »

Lamartine suggéré par une publicité moderne, par un engin que d’aucuns rangent au rang de machine infernale ! J’en conviens ce n’était pas donné d’avance et pourtant en connaissant quelque peu le monde de la publicité et la force de ses messages, on n’est pas étonné par sa puissance de suggestion. Et pour une fois que nous avons ici l’insistance sur des valeurs que nous n’attribuons habituellement pas à la pub, à savoir : la douceur, le temps, le plaisir de bien faire ce que doit être fait ; nous aurions tort de ne pas nous en servir pour réfléchir à tout ce que nous faisons. La catéchèse justement, le catéchisme pour lesquels nous sacrifions tant de temps, mais tant de temps à faire quoi ? tant de temps à voir quoi ?
– Le catéchumène qui confirme ?
– Le catéchumène qui doit connaître le minimum vital ?
– Le catéchumène qui en fin de parcours aura une culture biblique ?
– Le jeune qui sera une référence et qui saura dans un monde qui ne sait plus ?
Quels magnifiques objectifs pour lesquels nous faisons tant, pour lesquels nous faisons trop, ici c’est l’Ecriture qui s’interpose : « C’est la miséricorde que je veux et non le sacrifice. » (Mt 9,13) nous dit Jésus dans l’Evangile. Moins agréable, j’en conviens que la poésie de Lamartine, mais pleine de bon sens, en ce qu’elle qualifie si bien notre pratique, notre religion depuis bien longtemps : le sacrifice. Le mot est lâché, lourd de sens et de réalité. Alors évidemment, on réfléchit, on gamberge et on finit peut-être par accepter les questions qui fâchent et les réponses qu’elles suggèrent…
Pour le plaisir d’avancer

Et si l’important en catéchèse était de partir sur la route tout simplement ! Quelle route me direz-vous ? Vers où ? Qu’importe, pourvu qu’elle soit agréable… Si le rôle de la catéchèse était d’être ensemble à parcourir ce chemin, un peu comme notre moto qui porte deux personnes, signe d’une route faite à plusieurs sur une même route ? Si le rôle de la catéchèse était de savoir prendre un virage, de calculer une trajectoire, d’anticiper ce qui peut subvenir sur le chemin de la vie ? Et puis plus précisément : est-ce de balises, de repères ou encore de signaux que les jeunes ont besoin, ou de nous voir avec eux, les appréhender ? Les voir se confronter aux interdits, aux obligations, à cette signalisation difficile et pas toujours juste ! Bref à les voir se débrouiller sur ces routes sinueuses ?

Quelle vision minable, diront les uns ; quelle réduction de la vocation catéchétique, diront les autres ! Sans doute, j’assume, parce j’arrête de rouler le nez dans l’guidon, pour concentrer toute mon énergie à être là, à être derrière les catéchumènes. Voilà pourquoi, pour revenir à notre photo, je ne me vois même pas devant en train de piloter, mais derrière. Celui qui est au guidon, c’est le jeune, le catéchumène. Moi, en position de passager, je tente la présence rassurante, j’essaie l’assistance silencieuse, j’assume la liberté que je donne en laissant rouler celui que j’accompagne. Je préfère réussir ce peu que de me planter de beaucoup.

Oups ! 1 heure 30 ! Allez au lit ! Le lit ? « Mais oui chouchou le lit ! » C’est la voix juste de l’autre, du conjoint qui vient d’avoir encore la patience d’être avec nous dans ces questions et qui interpelle. « Un bon somme avant de repartir ! » Ah non ! Avant de partir tout simplement. « Mais oui, avant de partir vers de nouvelles aventures ! »
Aventure ? Le conjoint ne croit pas si bien dire, parce qu’il faudra convaincre les collègues, les catéchètes que l’important n’est pas d’arriver… Et ça c’est pas gagné !

Crédit : Guy Labarraque